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— Je n’ai envoyé personne à l’aéroport, bordel ! s’exclama-t-elle. Et le commissaire Matthews non plus, j’en suis sûre. Est-ce que tu as envoyé quelqu’un à l’aéroport, Dexter ?

— Je n’ai pas pu : ma limousine n’avait plus d’essence.

— C’est bien ce que je pensais, bordel de merde ! cria-t-elle. Et je ne pouvais que me rallier à son point de vue.

— En tout cas, au moins, on est fixés maintenant sur la valeur du remplaçant de Kyle, observai-je.

Deborah se laissa tomber sur la chaise pliante à côté de mon bureau.

— On se retrouve à la putain de case départ, dit-elle. Et Kyle est… Elle se mordit la lèvre et ne termina pas sa phrase.

— Tu as averti le commissaire Matthews ? lui demandai-je. Elle secoua la tête. Eh bien, il faut qu’il les contacte. Ils enverront quelqu’un d’autre.

— Ouais, génial. Ils vont envoyer quelqu’un d’autre qui cette fois réussira peut-être à aller jusqu’au hall de livraison des bagages. Merde, Dexter.

— Il faut qu’on les avertisse, Deb, insistai-je. Au fait, qui sont-ils exactement ? Est-ce que Kyle t’a jamais dit pour qui il travaillait ?

Elle soupira.

— Non. Il disait en plaisantant qu’il travaillait pour l’OGA, mais il ne m’a jamais expliqué ce que ça avait de drôle.

— En tout cas, il faut qu’ils soient tenus au courant, dis-je. J’ôtai la cassette du boîtier et la posai sur mon bureau devant Deb. Ils doivent pouvoir faire quelque chose.

Pendant quelques secondes, Deborah ne bougea pas.

— J’ai comme l’impression qu’ils l’ont déjà fait, et que c’était Burdett, remarqua-t-elle. Puis elle saisit la cassette et quitta mon bureau d’un pas traînant.

* * *

J’étais en train de siroter un café et de digérer mon repas de midi à l’aide d’un énorme cookie aux pépites de chocolat, lorsque je reçus un appel concernant un homicide dans le secteur de Miami Shores. Je me rendis sur les lieux en compagnie d’Angel-aucun-rapport. Un corps avait été trouvé dans la carcasse d’une petite maison au bord d’un canal que l’on avait entrepris de démolir puis de reconstruire. Les travaux avaient été interrompus car le propriétaire et l’entrepreneur étaient en procès. Deux adolescents qui séchaient l’école s’étaient glissés à l’intérieur et avaient découvert le corps. Il était disposé sur une épaisse bâche en plastique au-dessus d’une planche de contreplaqué installée sur deux chevalets de scieur de bois. Le tueur s’était servi d’une scie électrique et avait soigneusement tranché la tête, les bras et les jambes. L’ensemble avait été laissé tel quel : le tronc au milieu et les morceaux simplement détachés, éloignés de quelques centimètres.

Bien que le Passager Noir eût gloussé et murmuré des mots doux à mon oreille, je mis sa réaction sur le compte de la jalousie et m’attelai à mon travail. De fait, il y avait assez d’éclaboussures de sang pour me tenir occupé, toutes encore très fraîches, et j’aurais sans doute passé une journée efficace et satisfaisante à essayer de les repérer et de les analyser si je n’avais surpris la conversation entre le policier qui s’était trouvé le premier sur place et un inspecteur.

— Le portefeuille était juste là, à côté du corps, disait l’agent Snyder. Il a un permis de conduire de Virginie au nom de Daniel Chester Burdett.

Ah, d’accord, dis-je à la voix qui jacassait gaiement dans le siège arrière de mon cerveau. Je comprends mieux maintenant. Je considérai de nouveau le corps. Même si l’ablation de la tête et des membres avait été rapide et sauvage, la disposition soigneuse avait, certes, un côté familier, et le Passager Noir gloussa joyeusement en signe d’assentiment. Entre le tronc et chaque morceau, l’espace était précisément le même, comme s’il avait été mesuré, et l’ensemble ressemblait presque à une leçon d’anatomie. L’os de la hanche disjoint de l’os de la jambe.

— Les garçons qui l’ont trouvé sont dans la voiture, indiqua Snyder à l’inspecteur. Je lançai un regard aux deux hommes, me demandant comment leur annoncer la nouvelle. Bien sûr, il se pouvait que je me trompe, mais…

— Coño, le salopard, entendis-je quelqu’un marmonner. Je me retournai pour voir Angel-aucun-rapport accroupi de l’autre côté du corps. Cette fois aussi, il avait sorti sa pince pour attraper un petit bout de papier. Je m’approchai et regardai par-dessus son épaule.

D’une écriture tremblée, quelqu’un avait tracé le mot : “POGUE”[1] puis l’avait rayé d’un trait.

— C’est quoi Pogue ? demanda Angel. C’est son nom ?

— C’est quelqu’un qui est assis derrière un bureau et qui donne des ordres aux vraies troupes, lui expliquai-je.

Il me dévisagea.

— Comment tu sais toutes ces conneries ?

— Je regarde beaucoup de films, répondis-je.

Angel porta de nouveau son attention sur le bout de papier.

— Je crois que c’est la même écriture, remarqua-t-il.

— Comme l’autre, dis-je.

— Celui qui n’a jamais eu lieu, précisa-t-il. Je sais, j’y étais aussi.

Je me redressai et inspirai profondément, ravi d’apprendre que je ne m’étais pas trompé.

— Celui-ci n’a pas eu lieu non plus, dis-je, avant de me diriger du côté de la fenêtre, où l’agent Snyder discutait avec l’inspecteur.

L’inspecteur en question était un homme en forme de poire du nom de Coulter. Il tenait à la main une grosse bouteille en plastique de boisson gazeuse dont il buvait régulièrement de petites gorgées, le regard tourné vers le canal qui s’étirait le long du jardin de derrière.

— Ça doit valoir combien, à votre avis, un endroit comme ça ? demanda-t-il à Snyder. Au bord d’un canal. A un kilomètre à peine de la baie, hein ? Qu’est-ce que vous en dites ? Un demi-million ? Plus ?

— Excusez-moi, inspecteur, l’interrompis-je. Je crois que nous avons affaire à une situation un peu particulière. Je tentai de prendre un air important, mais Coulter n’eut pas l’air impressionné.

— Ah oui ?

— Burdett est un agent fédéral, poursuivis-je. Vous devez appeler tout de suite le commissaire Matthews pour l’avertir.

— Tiens donc ! fit Coulter.

— Ce truc est lié à quelque chose qu’on n’est pas censés toucher, expliquai-je. Des gens sont intervenus depuis Washington et ont demandé au commissaire de battre en retraite.

Coulter but sa boisson.

— Et le commissaire a battu en retraite ?

— Comme une armée en déroute, répondis-je.

Coulter se tourna et considéra le corps de Burdett.

— Un agent fédéral, dit-il. Il reprit une gorgée tout en fixant les morceaux de corps tranchés. Puis il secoua la tête. Ces types, le moindre stress les fout en l’air, déclara-t-il. Il regarda de nouveau par la fenêtre puis sortit son téléphone portable.

Deborah arriva juste au moment où Angel-aucun-rapport replaçait son matériel dans la camionnette, à savoir trois minutes avant le commissaire Matthews. Je ne veux pas paraître désobligeant ou injuste envers le commissaire. Deb n’avait pas eu besoin de s’asperger d’Aramis, alors que lui si, et refaire le nœud de sa cravate avait dû également lui prendre un certain temps. À peine quelques instants plus tard arriva une autre voiture que je commençais à connaître aussi bien que la mienne : une Ford Taurus bordeaux, conduite par le sergent Doakes.

— Salut, salut ! Ça y est, l’équipe est au grand complet ! lançai-je joyeusement. L’agent Snyder me regarda comme si j’avais suggéré que l’on se mette à danser tout nus, mais Coulter se contenta d’enfoncer l’index dans le goulot de sa bouteille, et la laissa pendre ainsi tandis qu’il marchait à la rencontre du commissaire.

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1

Mot sans équivalent français utilisé lors de la guerre du Vietnam pour désigner les soldats de l’arrière (Ndt).