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Deborah avait observé la scène du crime depuis l’extérieur et demandé au collègue de Snyder de reculer un peu le ruban jaune. Lorsqu’elle se décida enfin à venir me parler, j’étais arrivé à une conclusion surprenante. J’avais d’abord joué avec l’idée, n’y voyant qu’une sorte de lubie amusante, mais elle avait fini par s’imposer et je n’arrivais plus à la chasser. Je m’approchai de la fenêtre et regardai au-dehors, m’appuyant au mur et examinant attentivement mon idée. Pour une raison curieuse, le Passager Noir la trouvait extraordinairement drôle et commença à murmurer son affreux contrepoint. En fin de compte, même si j’avais l’impression de m’apprêter à vendre des secrets nucléaires aux Talibans, je compris qu’il n’y avait pas d’autre solution.

— Deborah, dis-je, comme elle s’avançait d’un pas raide vers moi. Il n’y aura pas de renfort cette fois.

— Tu déconnes, Sherlock, répliqua-t-elle.

— Il n’y a que nous sur l’affaire et nous ne sommes pas à la hauteur.

Elle écarta une mèche de cheveux de son visage et poussa un long soupir.

— C’est ce que je te dis depuis le début, dit-elle.

— Mais tu n’en as pas tiré la conclusion qui s’impose, Deb. Puisque nous ne sommes pas à la hauteur, nous avons besoin d’aide, de quelqu’un qui en sache un peu plus…

— Putain, Dexter ! On a offert à ce type ses victimes sur un plateau !

— Ce qui signifie que le seul candidat qui reste à l’heure actuelle est le sergent Doakes.

Il serait peut-être un peu exagéré de dire qu’elle fut estomaquée. Mais elle me dévisagea un moment, bouche ouverte, avant de se tourner du côté de Doakes, qui se tenait près du corps de Burdett et parlait avec le commissaire Matthews.

— Le sergent Doakes, répétai-je. L’ex-sergent Doakes. Des Forces spéciales. En détachement au Salvador.

Elle me regarda, puis tourna de nouveau les yeux vers Doakes.

— Deborah, dis-je, si on veut trouver Kyle, il faut qu’on en sache plus. Il faut qu’on apprenne les noms qui sont sur cette fameuse liste, qu’on comprenne de quelle sorte d’équipe il s’agissait pour y voir plus clair dans cette affaire. Doakes est la seule personne à ma connaissance qui soit au courant.

— Doakes veut ta peau, répondit-elle.

— Aucune situation professionnelle n’est parfaite, répliquai-je. Je lui adressai un grand sourire visant à lui montrer ma joyeuse persévérance. Et je crois qu’il est tout aussi pressé que Kyle de voir cette affaire réglée.

— Sans doute pas autant que Kyle, protesta Deborah. Pas autant que moi, non plus.

— Bon, eh bien, ça vaut le coup d’essayer.

Deborah, curieusement, n’avait toujours pas l’air convaincue.

— Le commissaire Matthews ne voudra pas se défaire aussi facilement de Doakes. Il faudrait qu’on obtienne son accord.

Je pointai mon doigt vers le commissaire qui était justement en train de s’entretenir avec Doakes.

— Ben, voilà, dis-je.

Deborah se mordilla la lèvre un moment avant de finir par reconnaître :

— Merde. Ça pourrait marcher.

— C’est même la seule chose qui puisse marcher, d’après moi, répondis-je.

Elle prit une profonde inspiration puis, comme si quelqu’un avait appuyé sur un bouton, elle se dirigea, mâchoires serrées, vers Matthews et Doakes. Je la suivis d’un pas nonchalant, faisant mon possible pour me fondre dans le décor afin d’éviter que Doakes ne bondisse et ne m’arrache le cœur.

— Commissaire, intervint Deborah. Il faut que nous adoptions une stratégie plus agressive.

Bien que Deb se fût efforcée d’adopter le jargon de Matthews, celui-ci la regarda comme s’il avait découvert un cafard dans sa salade.

— Ce qu’il faut, rétorqua-t-il, c’est que ces… gens… à Washington… nous envoient quelqu’un de compétent pour liquider cette affaire.

Deborah indiqua du doigt Burdett.

— Ils nous ont envoyé cet homme, dit-elle.

Matthews jeta un coup d’œil au corps et eut une moue dubitative.

— Que suggérez-vous ?

— Nous avons quelques pistes, dit-elle en faisant un geste vers moi. J’aurais vraiment préféré qu’elle s’abstienne, car Matthews tourna vivement la tête dans ma direction et Doakes également, ce qui était bien pire. À en juger par son air de chien affamé, ses sentiments pour moi ne s’étaient pas radoucis.

— Quel rôle jouez-vous là-dedans ? me demanda Matthews.

— Il assure l’expertise médico-légale, répondit Deborah. Et je hochai la tête modestement.

— Merde, lâcha Doakes.

— Il y a le facteur temps à prendre en compte, reprit Deborah. Il faut qu’on trouve ce type avant que… avant qu’il y ait de nouvelles victimes. On ne va pas pouvoir continuer à étouffer l’affaire très longtemps.

— Je crois que le terme « soumission à la loi des médias » est approprié, suggérai-je, toujours serviable. Matthews me lança un regard noir.

— J’ai une petite idée de ce que Kyle… de ce que Chutsky essayait de faire, poursuivit Deborah. Mais je ne peux pas prendre le relais parce que je ne connais rien du contexte. Elle pointa le menton en direction de Doakes. Le sergent Doakes, si.

Doakes prit l’air surpris, une expression à laquelle de toute évidence il ne s’était pas suffisamment exercé. Mais, avant qu’il puisse ouvrir la bouche, Deborah continua sa démonstration laborieuse :

— Je pense qu’à nous trois nous pouvons réussir à attraper ce type avant qu’un autre agent fédéral débarque et essaie de comprendre la situation.

— Merde, répéta Doakes. Vous voulez que je travaille avec lui ? Il n’avait pas besoin de me montrer du doigt pour que tout le monde sache de qui il parlait, mais il le fit tout de même, pointant son index noueux directement dans ma figure.

— Oui, parfaitement, répondit Deborah.

Le commissaire Matthews se mordillait la lèvre, l’air indécis, et Doakes répéta encore “Merde”. J’espérais sincèrement que la qualité de sa conversation s’améliorerait si nous étions amenés à travailler ensemble.

— Vous disiez que vous savez des choses à propos de cette affaire, dit Matthews à Doakes. Et le sergent cessa à regret de me fusiller du regard pour se tourner vers le commissaire.

— Mmm, mmm, fit Doakes.

— De votre, euh… de l’armée, précisa Matthews. Il ne semblait pas terriblement effrayé par l’expression de rage de Doakes, mais peut-être que c’était juste l’habitude de commander.

— Mmm, mmm, fit de nouveau Doakes.

Le commissaire Matthews fronça les sourcils, s’efforçant le plus possible de paraître comme un homme d’action sur le point de prendre une décision importante. Nous réussîmes tout de même à ne pas avoir la chair de poule.

— Morgan, finit par dire le commissaire. Il regarda Deb, puis s’interrompit. Une camionnette sur laquelle on lisait les mots ACTION NEWS vint s’arrêter devant la petite maison, et des gens en sortirent.

— Nom de Dieu, s’exclama Matthews. Il jeta un coup d’œil au corps, puis à Doakes. Vous pouvez le faire, sergent ?

— Ça ne va pas leur plaire à Washington, répondit Doakes. Et ça ne me plaît pas tellement non plus, d’ailleurs.

— Je commence à me moquer un peu de ce qu’ils peuvent penser à Washington, rétorqua Matthews. Nous avons nos propres problèmes. Pouvez-vous vous charger de l’affaire ?

Doakes me regarda. Je tentai de prendre un air sérieux et motivé, mais il hocha simplement la tête.

— Ouais, dit-il. Je peux m’en charger. Matthews lui donna une tape sur l’épaule.