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— On commence quand ?

— C’est déjà commencé.

— Il est trois heures du matin.

— Tu sors tout le monde du lit. Fouillez les anciens ateliers. Y a toujours des SDF dans ces squats. Peut-être ont-ils vu quelque chose. Quant au jockey…

— Le jockey ?

— Le conducteur de trains qui a découvert le corps. Je veux son PV d’audition sur mon bureau demain matin. Je veux aussi un maximum de monde dans les heures qui viennent, ici, à la gare. On quadrille tout le périmètre. On interroge tous les usagers, tous les habitués.

— On est dimanche.

— Tu veux attendre lundi ? Fais-toi aider par la BAC et les municipaux.

Le Coz prit des notes sans répondre. Son carnet était trempé par le brouillard.

— Je veux aussi un gars sur l’aspect animal de l’enquête.

Le flic leva les yeux. Il ne comprenait pas.

— Cette tête de taureau provient bien de quelque part. Contacte les gendarmes d’Aquitaine, des Landes et du Pays basque.

— Pourquoi si loin ?

— Parce qu’il s’agit d’un taureau de combat. Un toro bravo.

— Comment tu le sais ?

— Je le sais, c’est tout. Les premiers élevages se trouvent aux environs de Mont-de-Marsan. Ensuite, tu descends vers Dax.

Le Coz écrivait toujours, rageant contre la flotte qui faisait baver ses lignes.

— Bien sûr, je ne veux pas voir un journaliste sur ce coup.

— Comment tu veux les éviter ? demanda la substitute.

En tant que magistrate, elle avait un devoir de communication envers les médias. Elle devait déjà avoir planifié sa conférence de presse, et même réfléchi à ce qu’elle porterait à ce moment-là. Anaïs lui coupait l’herbe sous le pied.

— On attend. On ne dit rien. Avec un peu de chance, ce type est vraiment un SDF.

— Je pige pas.

— Personne ne le cherche. On peut donc traîner pour annoncer sa mort. Disons vingt-quatre heures. Même à ce moment-là, on oubliera de parler de la tête de taureau. On évoquera un sans-abri, sans doute mort de froid. Point barre.

— Et si ce n’est pas un zonard ?

— Il nous faut ce délai, de toutes façons. Qu’on puisse bosser en toute discrétion.

Le Coz salua les filles d’un signe de tête et disparut dans les brumes. En d’autres lieux, d’autres temps, il aurait attaqué son numéro de charme auprès des deux jeunes femmes mais il avait déjà pigé l’urgence. Les heures à venir se passeraient de sommeil, de nourriture, de famille, de quoi que ce soit qui ne serait pas l’enquête.

Anaïs s’adressa au gars de la BAC, qui restait en retrait mais n’en perdait pas une miette :

— Trouvez-moi le coordinateur de l’IJ.

— Tu penses que c’est le début d’une série ? demanda la substitute à voix basse.

Son timbre trahissait encore la même émotion ambivalente. Mi-désir, mi-répulsion. Anaïs sourit.

— Trop tôt pour le dire, ma belle. On doit attendre le rapport du légiste. Le modus operandi nous en dira plus long sur le profil du gars. Je dois aussi vérifier s’il n’y a pas un fêlé qui est sorti récemment de Cadillac.

Tout le monde connaissait ce nom dans la région. L’Unité pour Malades difficiles. L’antre des fous violents et criminels. Presque une curiosité locale, entre grands crus et dune du Pilat.

— Je vais éplucher les fichiers à l’échelle nationale, continua-t-elle. Pour voir s’il y a déjà eu un meurtre de ce genre en Aquitaine ou ailleurs.

Anaïs racontait n’importe quoi pour épater sa rivale. Le seul fichier national qui concernait les criminels en France était un programme constamment actualisé par des flics ou des gendarmes qui répondaient à des questionnaires mais n’en avaient rien à foutre.

Soudain, le brouillard se déchira. La faille révéla un des cosmonautes de l’Identité judiciaire :

— Abdellatif Dimoun, fit l’apparition en abaissant sa capuche. Je suis le coordinateur de la PTS sur cette enquête.

— Vous êtes de Toulouse ?

— Du LPS 31, ouais.

— Comment vous avez déboulé si vite ?

— Un coup de chance, si je peux dire.

L’homme eut un large sourire. Il avait des dents éclatantes qui tranchaient sur sa peau mate. Âgé d’une trentaine d’années, il avait l’air sauvage et sexy.

— On est à Bordeaux pour un autre truc. La contamination du site industriel de Lormont.

Anaïs en avait entendu parler. On soupçonnait un ancien salarié de la boîte — une unité de production chimique — d’avoir saboté des procédés techniques par vengeance. La capitaine et la substitute se présentèrent. Le technicien ôta ses gants et leur serra la main.

— La pêche a été bonne ? demanda Anaïs d’un ton qui se voulait neutre.

— Non. Tout est trempé. Y a au moins dix heures que le corps baigne dans son jus. A priori, impossible de relever la moindre marque papillaire.

— La moindre quoi ?

Anaïs se tourna vers la substitute, trop contente d’étaler sa science :

— Les empreintes digitales.

Véronique Roy se renfrogna.

— On n’a pas trouvé non plus de fragments organiques ni de liquides biologiques, continua Dimoun. Ni sang, ni sperme, ni rien. Mais encore une fois, avec cette flotte… On n’a qu’une certitude : ce n’est pas une scène de crime mais une scène d’infraction. Le tueur a simplement jeté le corps ici. Il a tué ailleurs.

— Vous nous envoyez le rapport et les analyses le plus vite possible ?

— Bien sûr. On va bosser sur place, dans un labo privé.

— En cas de question, je vous appellerai.

— Aucun problème.

L’homme écrivit ses coordonnées de mobile au dos d’une carte de visite.

— Je vous donne le mien, fit-elle en traçant les chiffres sur une page de son bloc. Vous pouvez me contacter à n’importe quelle heure. Je vis seule.

Le technicien haussa les sourcils, surpris par cette brutale confidence. Anaïs se sentit rougir. Véronique Roy l’observait d’un air narquois. Le flic de la BAC vint lui sauver la mise.

— J’peux vous voir une seconde ? C’est le chef d’escale… Il a un truc important à vous dire.

— Quoi ?

— Je sais pas au juste. Il paraît qu’on a retrouvé hier ici un type bizarre. Un amnésique. J’étais pas là.

— Où ça s’est passé ?

— Ils l’ont découvert sur les voies. Pas loin de la fosse de maintenance.

Elle salua Roy et Dimoun, en fourrant dans la paume de l’homme ses coordonnées. Elle suivit le flic à travers les rails, tout en remarquant trois types en blouse blanche qui arrivaient en direction du parking, entre les bâtiments abandonnés. Les hommes chargés du transfert à la morgue. Un fenwick ronronnait dans leur sillage. Sans aucun doute pour soulever le corps et sa tête démesurée.

Toujours sur les pas de son guide, elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. La substitute et le technicien de l’IJ bavardaient en toute complicité, à l’écart du périmètre de sécurité. Ils avaient même allumé une cigarette. Véronique Roy gloussait comme une poule. Anaïs serra avec colère le keffieh palestinien qu’elle portait en guise d’écharpe. Ça confirmait ce qu’elle avait toujours pensé. Avec ou sans cadavre, solidaires ou non, c’était toujours la même rengaine : que la meilleure gagne.