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Comme il était un peu plus de treize heures, Grace décida d’en profiter pour aller manger quelque chose et réfléchir.

Le temps qu’elle termine un plat de poisson commandé dans un pub peu fréquenté, on lui annonçait que la liste avait été transférée sur son compte habituel.

Grace s’essuya le coin de la bouche et ouvrit le fichier envoyé par l’opérateur. L’écran de son portable afficha un document dans lequel apparaissaient seize communications téléphoniques en l’espace de deux mois. Chaque conversation avait duré au minimum une quinzaine de minutes. Grace nota le premier numéro appelé sur un papier et s’apprêtait à consigner le deuxième quand elle leva son stylo : c’était le même. Et les autres étaient tous identiques.

Qui son père avait-il contacté si souvent après avoir quitté la maison ? Elle régla son addition et rejoignit sa voiture ; elle y serait plus à l’aise pour téléphoner. Une fois installée dans l’habitacle, elle composa le numéro mystérieux.

On décrocha après trois sonneries. Une voix de femme. Jeune.

— Commissaire Kyle, je vous écoute.

Grace resta muette.

— Allô ?

— Oui, bonjour, commissaire, se ressaisit-elle, inspectrice Grace Campbell à l’appareil, de la police de Glasgow. Je suis sur une affaire un peu particulière… Je voulais savoir si vous connaissiez un certain Darren Campbell.

— Grace Campbell… c’est vous qui étiez sur l’enquête du meurtre d’Iona ?

— Oui.

— Vous permettez que je vérifie votre identité dans mes fichiers, s’il vous plaît ?

— Bien sûr. Juste une question entre-temps : je suis à quel commissariat ?

— Pardon ?

— Oui, je sais ça peut paraître bizarre, mais votre numéro figure sur un carnet d’un suspect, j’ignorais qui j’appelais.

— OK, je comprends. Vous êtes au poste de Corstorphine Édimbourg. Ah, voilà, c’est bon, je vous ai trouvée. Puis-je avoir votre date de naissance ?

— 28 mai 1988.

— Bien, merci. Enchantée, inspectrice. Donc… Darren Campbell. Non, ça ne me dit rien du tout. Vous avez d’autres infos qui pourraient m’aider ?

— Il aurait appelé plus d’une quinzaine de fois votre commissariat en l’espace de deux mois, mais ça remonte à janvier et mars 1999. Vous ne deviez pas encore travailler.

— Oh, mais j’avais à peine huit ans !

— Savez-vous qui était à votre poste à cette époque ?

— Moi, non, mais je vais demander à Logan, il est là depuis longtemps. Restez en ligne.

Grace patienta en pianotant nerveusement sur son volant. Elle avait fini par croire qu’on l’avait oubliée quand finalement, au bout de cinq minutes interminables :

— Inspectrice Campbell ?

— Oui.

— Pardon pour l’attente, mais même Logan a dû chercher dans ses dossiers. Bref, on a trouvé. La personne qui occupait mon bureau durant la période que vous m’avez indiquée ne travaille plus ici. Il s’appelait Dyce. Inspecteur Scott Dyce.

– 9 –

Grace fonçait sur la route aussi vite que ses pensées défilaient dans sa tête. Pourquoi son père avait-il appelé si souvent en deux mois l’inspecteur chargé de l’enquête sur sa disparition, alors qu’il avait déclaré ne plus vouloir entendre parler de cette histoire ?

Son aigreur d’estomac s’épanchait au fur et à mesure que Grace considérait les deux hypothèses pouvant expliquer ces coups de fil. Soit son père était bien plus concerné par l’enlèvement de sa fille qu’il ne le laissait croire et faisait pression sur Dyce pour relancer une enquête au point mort. Mais, dans ce cas, pourquoi ne pas l’avoir dit ouvertement au lieu de fuir sans laisser d’adresse ? Soit Darren Campbell et Scott Dyce étaient liés à l’horreur dont Grace avait été victime. C’était le pire scénario qu’elle puisse envisager et malheureusement celui qui lui semblait de plus en plus probable. De là à ce que l’un des deux traîtres se soit repenti et lui ait déposé la lettre anonyme, ce n’était pas impossible non plus. Mais s’il espérait son indulgence, il allait brutalement déchanter.

Grace braqua et gara son SUV sur l’une des places réservées du poste de police de Govan dédié aux investigations criminelles et au contre-terrorisme. À défaut de savoir comment localiser son père, elle avait peut-être une chance de retrouver la trace de Scott Dyce.

À Glasgow, les nuages n’avaient pas encore libéré la neige qui enflait pourtant dans le ciel gris gorgé de brouillard. Apparemment indifférents au froid, quatre officiers armés de fusils d’assaut et protégés par leurs gilets pare-balles saluèrent Grace quand elle franchit le sas d’entrée du bâtiment : un portique bleu et des baies vitrées aux allures d’école élémentaire, mal assortis aux austères murs de prison qui structuraient le reste de l’édifice.

N’ayant aucune envie d’expliquer à un éventuel collègue ce qu’elle faisait là un dimanche, Grace traversa l’open space quasi vide d’un pas rapide et s’enferma dans le bureau individuel qu’elle avait récupéré depuis sa réhabilitation ; puis elle lança le logiciel d’identification des membres de la police écossaise. Si elle ne pouvait retrouver son père, ne demeurait plus que la piste de l’ancien inspecteur pour espérer faire avancer son enquête.

Ce n’était évidemment pas la première fois qu’elle envisageait de faire une recherche sur Scott Dyce. Mais elle avait toujours reculé au dernier moment, empêchée par des nausées si violentes qu’elle était incapable de pousser plus loin l’investigation. Derrière cette manifestation physique de l’angoisse se cachait évidemment sa peur de ne pas supporter la vérité sur son passé. C’était cette même crainte qui l’avait conduite à repousser la confrontation avec sa mère durant toutes ces années.

Sur l’écran, un curseur clignotait, attendant qu’elle entre sa requête. Les mains autour d’une tasse de thé brûlant, Grace ferma les yeux, se préparant à s’aventurer dans les ténèbres de son passé. Elle laissa la chaleur de la céramique contaminer ses poignets, monter le long de ses avant-bras, envelopper ses épaules et se répandre dans sa poitrine, tandis que Naïs lui chuchotait à l’oreille d’avoir confiance.

Troublée par cette sensation qui s’était invitée en elle sans crier gare, Grace rouvrit lentement mais résolument les yeux. Puis, comme si elle entrait les lettres d’un code nucléaire, elle tapa le nom de l’enquêteur et lança la recherche.

La puissance de calcul des processeurs actuels ne lui laissa pas le temps de reprendre son souffle. En moins de deux secondes, une correspondance s’afficha. Le fichier avait immédiatement retrouvé l’inspecteur Scott Dyce, à un détail près : un r minuscule était accolé à son patronyme. Ce qui signifiait que l’homme avait été radié de la police.

Grace fut parcourue d’un frisson en découvrant que la radiation datait du 22 mars 1999, soit trois mois après que l’enquête sur sa disparition avait été classée. Ça ne pouvait pas être un hasard. Les deux événements étaient trop rapprochés pour qu’il n’y ait aucun lien entre eux. Qu’est-ce que l’inspecteur Scott Dyce avait bien pu faire pour mériter une sanction si radicale ? Le dossier qu’elle avait sous les yeux ne le mentionnait pas, Grace dut fournir un code de sécurité personnel afin d’accéder à plus d’informations.