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Cette fois, l’ordinateur moulina plus longtemps et lorsque, enfin, il afficha les données, Grace manqua se sentir mal.

Scott Dyce avait été radié pour avoir commis deux viols sur mineurs, perpétrés dans la région du Lanarkshire, dont l’un avec tentative de meurtre, et pour détention de matériel pédopornographique. En avril 1999, il avait été condamné à dix ans de prison, au cours desquels il acceptait de subir un traitement de castration chimique. La suite du document stipulait que sa peine avait finalement été prolongée de deux ans parce qu’il avait agressé sexuellement son codétenu. Un mois après sa mise à l’isolement, il avait fait une tentative de suicide et avait ensuite été interné dans un hôpital psychiatrique sous haute surveillance. Il en était sorti cinq ans plus tard pour être transféré dans un centre de longue convalescence au cœur des terres forestières de Cairngorms, où il devait toujours demeurer puisque aucune date de décès n’était indiquée.

Grace recula son fauteuil, bouleversée. Elle écrasa le plat de sa main sur son bureau dans un geste de rage qu’elle ne pouvait plus contenir. La vérité qui se dessinait au fur et à mesure de ses avancées était encore pire que ce qu’elle avait imaginé : le policier chargé de la retrouver, de la sauver, était lui-même un pédocriminel. Et le plus écœurant de ces révélations : son père correspondait secrètement avec lui. Restait à savoir si Darren Campbell était ou non au courant des actes épouvantables de l’inspecteur.

Ce qui était certain, c’est que les deux hommes entretenaient une relation particulière. Leurs conversations téléphoniques avaient duré chaque fois au moins un quart d’heure, ce qui laissait entendre qu’ils avaient beaucoup de choses à se dire. Et si son père avait vraiment voulu faire avancer l’enquête sur son enlèvement, il n’aurait pas harcelé un policier incompétent et incapable, il aurait payé les services d’un détective privé, et ce contact apparaîtrait dans la liste de ses appels.

Les mains devant les yeux comme si elle ne voulait pas voir la vérité, Grace tentait de retrouver son calme. Au prix d’un intense effort de concentration sur sa respiration, elle parvint à apaiser le flot affolé de ses réflexions. Peu à peu, le vacarme de son cerveau se tut et le noir complet tomba devant son regard. Elle se laissa dériver dans cette obscurité anonyme et sans douleur. Jusqu’à ce qu’une pâleur diffuse semble émerger des profondeurs. La forme était peut-être ovale, comme celle d’un visage, le visage livide et glaçant de son père qui l’observait dans le coin le plus sombre de sa chambre.

Grace sortit de son cauchemar, le souffle coupé, la gorge nouée. Elle alla se passer de l’eau sur la figure pour essayer de chasser son angoisse.

En revenant, elle décida de mettre pour l’instant de côté la question de la complicité de son père, pour se concentrer sur Scott Dyce. Ce qu’elle venait d’apprendre sur l’ancien inspecteur éclairait d’une tout autre lumière les déboires de l’enquête sur sa disparition. Grace ne pouvait plus exclure que, si les recherches avaient tant traîné, ce n’était pas parce que Dyce était incompétent, mais parce qu’il protégeait d’autres pédocriminels comme lui. Peut-être même connaissait-il l’identité précise des ravisseurs de Grace et l’endroit où elle était détenue à l’époque. Sa hiérarchie avait forcément envisagé cette hypothèse et interrogé Scott Dyce dans ce sens.

Grace se rapprocha de son ordinateur afin de lire la suite du dossier. L’inspecteur avait effectivement été questionné sur ses liens éventuels avec le ou les responsables de l’enlèvement de la petite Hendrike Campbell. Mais il avait affirmé n’en avoir aucun. Il avait en revanche admis avoir sciemment ralenti l’enquête, par conviction et solidarité pour ses confrères anonymes qu’il qualifiait de « victimes d’une société qui était la réelle coupable de la pédocriminalité en interdisant aux enfants d’assouvir leur désir d’expérience charnelle avec des adultes, adultes condamnés dès lors à enfreindre la loi pour vivre leur amour ». Des perquisitions à son domicile et une longue enquête n’étaient en effet pas parvenues à établir de lien entre ses propres crimes et l’« affaire Campbell ».

Grace se massa les tempes en poussant un lourd soupir, partagée entre l’écœurement et la frustration rageuse.

Scott Dyce en savait forcément plus qu’il ne l’avait dit. C’est ce qu’elle avait envie de croire. Elle chercha sur Internet où se trouvait la maison de repos de Cairngorms. D’après le simulateur de voyage, en prenant la route maintenant, elle atteindrait le nord du pays et ses épaisses forêts en fin d’après-midi.

Elle effaça l’historique de ses recherches et ferma son bureau à clé, en se demandant comment l’inspecteur et pédocriminel Scott Dyce, aujourd’hui âgé de quatre-vingt-deux ans, allait réagir en voyant la lueur de colère et de vengeance dans les yeux de la petite Hendrike.

– 10 –

En vue du trajet d’au moins trois heures qui l’attendait, Grace retira sa parka, qu’elle plaça sur le siège passager. Alors qu’elle pliait son manteau, un papier glissa de l’une de ses poches. Elle pensa au message trouvé dans sa chambre d’enfance quelques heures plus tôt, les deux lettres et le chiffre, « S K 2 », mais il s’agissait d’un numéro de téléphone griffonné, suivi du prénom « Greg ».

Grace laissa échapper un soupir de regret. Elle avait pourtant tout fait pour que ce jeune adjoint à la mairie présent au cocktail de la veille ne nourrisse aucun espoir. Oui, elle avait apprécié les questions qu’il lui avait posées. Elles étaient plus humaines et surtout plus précises que celles des autres invités. Oui, sa façon de la regarder avait été plaisante et elle ne pouvait pas nier qu’elle l’avait même trouvé charmant. Mais tout cela avait été si fugace et finalement si insignifiant en comparaison de ce qu’elle avait ressenti et vécu auprès de Naïs. Ne voulant pas être de ces femmes qui jouissent de l’attirance qu’elles suscitent alors qu’elles songent tout entières à quelqu’un d’autre, elle avait mis fin à cette inégale séduction avec une attitude volontairement hautaine qui, selon elle, enterrerait toute ambiguïté. Visiblement, elle avait distribué son mépris avec trop de parcimonie.

Elle ramassa le papier, le déchira et jeta les morceaux sur le siège passager. Puis elle s’engagea sur l’autoroute M80, qui contournait Glasgow, en direction du nord-est.

Le paysage rural qui se dessina bientôt était loin de rivaliser avec l’intensité des lames de roche noire des Highlands qu’elle avait traversés durant son enquête précédente. Monotone, vaguement ondulé de collines dégarnies, le relief était en totale disharmonie avec le feu de colère qui la consumait.

Pour calmer son impatience vengeresse, Grace se remémora tous les éléments nouveaux qu’elle venait d’accumuler en l’espace d’une demi-journée. La concomitance des départs de Scott Dyce de la police et de son père du domicile familial la troublait de plus en plus, et ne faisait qu’accroître sa vigilance. Elle comptait bien obtenir des réponses de l’enquêteur à ce sujet.

Quand elle dépassa la vieille ville de Perth, d’épais nuages grisâtres s’amoncelaient à l’horizon et, en une quinzaine de minutes, la température chuta à 0 °C. Sur la route planait désormais une ombre menaçante, qui contraignit les rares automobilistes à allumer leurs phares en pleine journée. Grace venait à peine d’enclencher les siens quand une violente rafale fouetta la carrosserie de son véhicule et la força à reprendre le volant à deux mains. Sous les bourrasques, les herbes jaunes des plaines se pliaient et se relevaient telles des poupées de chiffon secouées par un enfant colérique. Le vent était si puissant qu’il parvenait à s’infiltrer par les minuscules joints de l’habitacle dans un sifflement aigu. Même le lourd SUV de Grace chassait sur le côté ; conserver sa trajectoire demandait un effort permanent.