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Elle rejoignit la policière, restée à l’entrée de la chambre.

— Le sédatif fera effet d’ici une vingtaine de minutes. Je vous laisse.

Grace la remercia d’un air entendu et attendit, l’épaule appuyée contre le cadre de la porte. Durant un instant, elle crut entendre le vieil homme marmonner quelque chose, puis au bout d’un quart d’heure, il dodelina de la tête pour la laisser tomber sur sa poitrine.

Discrètement, Grace s’avança vers lui, comme un voleur craignant de réveiller sa victime. La respiration était cette fois nettement audible et régulière. Scott Dyce dormait profondément.

Elle lui prit les avant-bras et rencontra une puissante résistance quand elle les força à s’écarter. L’ancien inspecteur grogna, et c’est avec une précaution redoublée que Grace souleva son pull, révélant une pochette orange aux tranches élimées.

Son empressement à l’ouvrir fut aussi rapide que sa déception. Elle était effectivement vide. Pas un mot n’était écrit ni dessus ni à l’intérieur. Par acquit de conscience, Grace la secoua, mais rien ne s’en échappa.

Elle s’assit sur la chaise toujours face à Scott Dyce et observa longuement ce corps avachi qui avait déjà fait tant de mal, et en ferait encore en emportant ses secrets dans la tombe.

Traversée par de violents sentiments, de la rage à l’abattement, Grace ne parvenait pas à se résoudre à tuer de sang-froid ce résidu d’homme. Elle craignait de n’y trouver aucun apaisement, mais davantage de souffrance.

Reprenant le contrôle d’elle-même, Grace replaça la pochette entre les bras du vieillard pour que l’infirmière n’ait pas de problème, et quitta la chambre, non sans avoir jeté un dernier coup d’œil sur ce monstre endormi qui, en imagination, serrait contre lui ses petites victimes.

Dans le couloir qui menait à l’escalier, elle entendit des éclats de voix provenant du bureau de la soignante de l’étage. La jeune femme avait apparemment un échange tendu avec quelqu’un au téléphone.

— Ce n’est pas comme ça que j’ai été formée ! lança-t-elle. Votre approche me semble bien trop risquée… pour le patient.

Elle s’interrompit en voyant Grace passer dans le corridor.

— Alors ? s’enquit-elle avec une main sur le micro du combiné.

— Vous aviez raison, la pochette est vide. Merci quand même de votre aide, Kathy.

Grace reprit la direction du hall d’accueil. Arrivée au rez-de-chaussée, elle aperçut sur sa droite la directrice dans ce qui devait être le salon. Allant à sa rencontre, elle entra dans la pièce, où la plupart des résidents jouaient aux échecs, aux dames ou au loto. Des discussions soutenues se faisaient entendre au milieu des tintements de cuillères sur des tasses de thé. Le contraste avec le silence du deuxième étage était presque étourdissant. Quelques personnes levèrent les yeux vers Grace, surprises de voir un nouveau visage.

— Avez-vous eu vos réponses, inspectrice ? demanda la directrice en s’éloignant des oreilles indiscrètes.

— Non. Mais il sait forcément quelque chose.

— Comme je vous le disais, même s’il détenait des informations, je doute que son état, physique et mental, lui permette de vous révéler quoi que ce soit. Il n’est déjà plus tout à fait avec nous…

Grace refusait d’admettre que son enquête n’irait pas plus loin. Que toutes ses recherches pour faire éclore la vérité sur le drame de son enfance n’aboutiraient à rien.

— Je reviendrai demain et tant qu’il faudra jusqu’à ce qu’il parle, conclut-elle avec fermeté.

La directrice plissa les coins de sa maigre bouche.

— Dans ce cas, vous devez me fournir des documents officiels pour que je vous laisse interroger régulièrement un résident qui n’a plus toute sa tête et dont le consentement ne peut être assuré. Vous comprenez que mon devoir est de veiller à la santé de mes patients… quel que soit leur passé.

Grace craignait cette requête.

— Oui, bien sûr, se contenta-t-elle d’acquiescer, en sachant qu’elle n’obtiendrait jamais ces papiers administratifs.

Elle ne voyait pas comment, malgré son nouveau statut, son supérieur l’autoriserait à travailler sur une affaire personnelle en bénéficiant des ressources publiques.

— Je vous dis donc à bientôt, acheva la directrice.

Grace salua la femme, rendit son badge de visiteur à l’accueil et quitta la chaleur de la grande bâtisse pour rejoindre le froid de la nuit.

Sa déception était telle qu’elle ne ressentit même pas la morsure du vent. Tête baissée, alors qu’elle suivait mécaniquement l’allée de gravier qui sillonnait le parc entre les bosquets et les statues jusqu’au parking, elle menait une bataille contre elle-même pour tenter de trouver une solution à son échec.

À mi-chemin, elle regarda par-dessus son épaule. Toutes les fenêtres étaient éteintes, sauf une, au deuxième étage. Les contours d’une forme humaine se tenant assise se découpaient sur une pâle clarté jaune. L’ancien inspecteur était-il de dos, comme Grace l’avait laissé, ou regardait-il vers l’extérieur ? Bousculée par les bourrasques, ses cheveux affolés fouettant son visage, Grace fixa la chambre, souhaitant presque que le moribond Scott Dyce lui fasse un signe de la main pour la narguer.

Mais ses yeux irrités s’embuèrent avant qu’elle n’ait vu un quelconque mouvement.

Elle avait abandonné son dernier espoir pour rejoindre sa voiture, lorsqu’elle entendit des pas accourir derrière elle. Le temps qu’elle se retourne, une ombre fondait sur elle.

– 12 –

Dans un réflexe professionnel, Grace recula vivement en saisissant son arme.

— Ne tirez pas ! lança une voix masculine essoufflée.

L’individu s’était immobilisé et avait levé les mains au-dessus de sa tête. Grace l’éblouit avec sa lampe tirée de sa poche de manteau.

— Je ne voulais pas vous faire peur, juste vous… vous… rattraper… avant que vous… ne partiez.

— Qui êtes-vous ?

— Je m’appelle Lachlan MacQuarie, je suis résident ici.

L’homme aux cheveux blancs, en jogging, avait posé ses mains sur ses genoux pour reprendre sa respiration.

— Que voulez-vous ? cria Grace pour couvrir le souffle du vent et l’agitation dans les branches des bosquets.

— Je vous ai reconnue dans le salon, quand vous discutiez avec la directrice, déclara-t-il, un bras devant les yeux pour se protéger de la lumière que Grace continuait à diriger vers lui. Vous êtes l’inspectrice qui est passée à la télé pour l’affaire du monastère d’Iona, c’est bien cela ?

— Oui, mais vous ne répondez pas à ma question.

— Ah, je le savais bien !

Grace redouta le moment où il allait lui demander un autographe.

— Monsieur MacQuarie, pourquoi m’avez-vous couru après ?

— Je vous ai vue descendre l’escalier, avant que vous n’entriez dans le salon, et j’ai compris que vous étiez certainement allée rendre visite au seul résident qui ne quitte jamais sa chambre. Et il se trouve que la mienne est juste à côté de celle de Scott Dyce.

— Oui, poursuivez, insista Grace, intriguée.

— Il fallait que je vous dise quelque chose.

La jeune femme baissa progressivement son arme et sa torche.

— Je vous écoute.

— Vous permettez que je m’assoie, je n’avais pas cavalé comme ça depuis un bon bout de temps… bref, mon cœur est fatigué.

Grace braqua le faisceau de sa lampe vers un banc de pierre et le vieil homme y prit place en poussant un soupir de soulagement. Elle se rapprocha de lui.

— À l’époque où c’est arrivé, commença-t-il, je n’ai pas jugé nécessaire d’en avertir la police, puisque c’est le genre de choses qu’on entend souvent ici. Mais aujourd’hui, vous êtes là, et je me dis que cela pourrait vous intéresser. Encore que… ma foi, je ne sais pas trop.