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Comme lui, elle s’affala un peu dans son fauteuil, croisa les bras sur sa poitrine, leva un instant les yeux vers le plafond, semblant y chercher l’inspiration, et la tête délicatement penchée sur le côté, de cette voix calme qui coulait avec la limpidité de l’évidence, elle formula son argumentation d’une traite.

— Je pense en fait que c’est plutôt un oui. Un oui à contrecœur, mais tout de même un oui. Premièrement, si tu confies cette enquête à quelqu’un d’autre, tu sais que je ne te le pardonnerai jamais, ce qui, en soi, n’est pas bien grave, sauf à présent que j’ai plus la cote que toi auprès des hauts fonctionnaires de la région. Deuxièmement, l’inspecteur à qui tu refileras l’affaire sera toujours moins motivé que moi pour débusquer le coupable et, en raison de la complexité du dossier, il se plantera et fera s’écrouler tes statistiques de réussite chéries. Enfin, au tréfonds de ton être subsiste une part d’humanité qui comprend l’enfer que j’ai vécu, et qui souhaite me donner une chance de m’en sortir une bonne fois pour toutes. Ne serait-ce que pour éviter une rechute dans la boulimie de « la meilleure inspectrice de Glasgow depuis dix ans », dixit The Herald, dont tu serais sans aucun doute tenu pour responsable.

Grace était consciente d’avoir poussé les curseurs de l’arrogance bien au-delà de sa réelle personnalité, mais elle savait qu’elle devait se comporter ainsi pour avoir une chance d’obtenir le consentement de son supérieur.

Elliot Baxter se leva, tourna le dos à la jeune femme et, juste avant de quitter la pièce, lança :

— Trois jours. Après, star ou non, je te signale pour insubordination.

Il referma la porte derrière lui aussi délicatement qu’il avait frappé à son arrivée.

L’adrénaline redescendue, Grace songea que Naïs aurait été fière d’elle.

Une alerte de sa messagerie la tira de sa brève rêverie. C’était un e-mail de l’officier Knox intitulé « Fouille bureau et domicile Kathy Hodges », que Grace ouvrit sans attendre.

Inspectrice Campbell,

La fouille n’a pas permis de saisir d’ordinateur, la défunte n’en possédait pas. En revanche, nous avons trouvé la somme de 45 600 livres sterling en liquide cachée au fond d’un placard. L’argent était rangé dans une petite valise ne contenant rien d’autre. Nous avons également mis la main sur son téléphone portable. Ci-joint la liste des appels reçus et émis.

À votre disposition.

Malcolm Knox.

Cette femme était donc très certainement payée pour surveiller et éliminer Scott Dyce en cas de menace immédiate. Si Grace découvrait qui tirait les ficelles, son enquête ferait un bond en avant.

Elle examina le relevé envoyé par Knox, et nota rapidement un élément perturbant. Kathy Hodges avait appelé deux fois le même numéro quelques minutes avant de mourir : à 18 h 33 pendant près de deux minutes et à 19 h 07 durant douze secondes à peine. Grace vérifia sur son portable l’heure à laquelle elle avait contacté les secours : 19 h 05. Elle repensa à l’infirmière s’énervant au téléphone, apparemment en désaccord avec son interlocuteur sur un traitement à administrer. Elle avait dû rappeler cette même personne durant sa fuite, juste avant sa chute fatale.

Grace entra le numéro dans le fichier informatique de la police, mais, comme elle s’y attendait, ne trouva aucune correspondance. Elle décida donc de transférer le relevé au département spécialisé dans l’analyse des fadettes afin qu’on lui fournisse l’identité des deux derniers appels passés par la victime.

Puis elle regarda sa montre : 6 h 32. Elle s’empara de la pochette orange et sortit en trombe de son bureau en direction du laboratoire d’analyse.

– 15 –

Grace pénétra dans l’antichambre du laboratoire de la police scientifique situé dans l’aile gauche de son bâtiment.

— Bonjour, inspectrice Campbell, commença-t-elle. Je viens pour…

Un homme d’une cinquantaine d’années, en blouse blanche, chauve, sans sourcils, terminait de glisser un CD-ROM dans une enveloppe. Il leva un doigt pour lui demander de patienter et griffonna quelque chose sur le papier kraft. Puis il tourna son regard hautain vers sa visiteuse, qui devina tout de suite que la conversation serait moins plaisante qu’avec le jeune Joan.

— Je sens au timbre de votre voix que vous êtes pressée, inspectrice.

Grace faillit lui répondre que du résultat de cette analyse dépendait la poursuite ou l’échec d’une enquête décisive pour sa vie. Mais elle jugea qu’il n’était pas nécessaire de se mettre ainsi à nu.

— À passer aux rayons X, s’il vous plaît, se contenta-t-elle de dire, en désignant du menton la pochette orange qu’elle tenait fermement serrée dans ses mains.

Le technicien scientifique lissa son arcade sourcilière imberbe.

— On cherche quoi, exactement ?

— A priori, quelque chose d’écrit à l’intérieur.

— Si c’est simplement écrit, on ne verra rien. Il faudrait une réflectographie infrarouge. Mais on va commencer par les rayons X, on ne sait jamais. Je peux ?

Grace lui tendit la chemise à contrecœur et le regarda partir dans la salle d’examen avec anxiété. De l’autre côté d’une vitre, elle le vit la positionner délicatement sur une table avant d’ajuster le bras mécanique de l’appareil de radiologie.

S’efforçant de ne pas imaginer le pire – un mauvais réglage de la machine, ou un court-circuit détériorant irrémédiablement une pièce capitale dans sa quête de vérité –, elle prit place dans l’un des fauteuils faisant face à un moniteur tout juste éclairé par une petite lampe de bureau à la lueur tamisée.

Le technicien la rejoignit, et avant qu’elle n’ait le temps de reprendre sa respiration, il pressa sur un bouton rouge qui saillait du pupitre de contrôle.

Une seconde plus tard, la radiographie de la pochette s’affichait sur l’écran.

On y distinguait clairement les contours cartonnés, les plis plus foncés des rabats, les cercles noirs des attaches métalliques et les élastiques. Mais aucune trace d’écriture.

Son front calé dans la paume de sa main, Grace s’attendait déjà à ce que le scientifique lui annonce qu’ils allaient passer à l’infrarouge, mais elle le vit prendre sa souris pour zoomer sur un endroit bien précis.

— Vous voyez là ?

Il pointa de l’index le centre de la chemise.

Grace s’approcha de l’écran.

— C’est peut-être un tout petit peu plus sombre, finit-elle par dire sans conviction.

— Exactement, c’est subtil, j’en conviens, mais vous remarquez que cette atténuation lumineuse n’apparaît pas ailleurs. Soit il s’agit d’une irrégularité de la densité du carton original, soit quelque chose a été glissé entre les deux couches de la couverture.

Grace se leva sans attendre, récupéra la pochette et la tendit au technicien.

— Vous serez plus habile que moi.

— Suivez-moi.

Il ouvrit une porte et alluma une salle bien plus vaste, semblable à un bloc opératoire. Il plaça la pochette sur une table puissamment éclairée de spots blancs, se saisit d’un scalpel et s’attela à séparer en deux le carton de la pochette.

L’opération était minutieuse, et c’est le cœur battant que Grace observait chacun de ses gestes.

— Tiens, on dirait que ça a été recollé, souffla le policier de la scientifique, alors que les pans s’écartaient plus facilement que prévu.

Il poursuivit son travail en donnant des petits coups de lame pour remonter progressivement vers le milieu de la pochette.