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Après une dizaine de minutes pendant lesquelles Grace s’était félicitée d’être une femme si patiente, notamment grâce à sa passion pour la lecture, le carton se scinda en deux.

Sous son regard médusé, le technicien troqua le scalpel pour une pince, avec laquelle il s’empara d’un minuscule rectangle de papier blanc quasi transparent.

Grace crut y voir une inscription. Mes premiers mots lors de ma réapparition, pensa-t-elle. Qu’ai-je pu lui dire de si important qu’il ait caché comme un trésor toutes ces années ?

— Une seconde, chuchota le scientifique, bien conscient de l’importance du moment. Là, vous verrez mieux.

Il plaça le papier pas plus grand qu’un timbre sous une loupe montée sur bras articulé. Derrière le hublot grossissant, l’écriture apparut.

Grace ne s’attendait pas à cela.

Dans une encre passée, quatre signes à peine lisibles se succédaient :

P G A 3

– 16 –

Grace répondait mécaniquement au salut des collègues qu’elle croisait dans les couloirs du commissariat pour rejoindre son bureau.

— Hey, j’adore quand tu me frôles comme ça ! lança un officier qu’elle manqua de bousculer devant la machine à café.

Elle n’entendit la remarque stupide que dans un lointain brouillard, l’esprit tendu vers la découverte qu’elle venait de faire. Si, comme l’avait affirmé Scott Dyce, elle n’avait cessé de répéter cette succession de trois lettres et un chiffre, c’était forcément parce qu’elle ne voulait pas l’oublier. Pourquoi avait-elle eu une telle importance à ses yeux ? Que signifiait-elle ?

Grace referma la porte de son bureau et, sans prendre le temps de s’asseoir, étala devant elle l’agrandissement de la radiographie qui venait de révéler les quatre signes. Elle fouilla ensuite dans la poche intérieure de sa parka posée sur une chaise, et en sortit le sachet en plastique contenant le morceau de papier qu’elle avait trouvé derrière la prise électrique de sa chambre d’enfance. La série de sept symboles « S K 2 » puis « P G A 3 » se déroula sous ses yeux. Les deux parties devaient être liées, mais comment interpréter cette étrange suite ?

Les mains calées sur le rebord du bureau, surplombant les deux documents, Grace s’agaçait d’être incapable de décrypter un message qu’elle s’était laissé à elle-même plus de vingt ans auparavant. Mais le traumatisme de son enlèvement avait parcellé sa mémoire. Une faille qu’elle avait dû sentir se développer très tôt en elle pour s’être empressée de répéter « P G A 3 » à l’inspecteur. Plus tard, elle avait probablement été surprise par une autre réminiscence et avait pris soin de consigner « S K 2 » sur un bout de papier.

Elle recopia chaque signe sur une feuille et les découpa un à un afin de les agencer librement, pour tenter de former quelque chose d’intelligible. Après dix minutes de manipulation fiévreuse, rien de cohérent n’était sorti de ses combinaisons.

Elle décida de revenir à l’ordre de départ. Si elle les avait mémorisés ainsi à l’époque, c’est que cela avait son importance. Elle replaça les papiers devant elle et les groupa par deux, puis par trois, et soudain, un flash. Grace n’eut pas le temps de s’asseoir. Le vertige fut si brutal qu’il la contraignit à poser un genou à terre.

Elle redevenait une enfant, accroupie, cachée derrière un arbuste, presque paralysée par la peur, tous ses membres engourdis. Elle avait la sensation d’avoir été enfermée, recroquevillée pendant des heures. Devant ses yeux qui souffraient de la lumière après avoir été longuement soumis à l’obscurité, une voiture s’éloignait, quittant l’aire de repos pour rejoindre le trafic bruyant de l’autoroute. Au-dessus de son pare-chocs arrière, oscillant au gré des cahots de la chaussée, on pouvait voir la plaque d’immatriculation du véhicule : « SK2PGA3 ».

– 17 –

Grace demeura quelques instants le regard vague. Elle revoyait cette petite fille perdue, mémorisant péniblement dans son cerveau d’enfant la plaque d’immatriculation d’un individu qui connaissait forcément son ravisseur. Cette présence d’esprit dans un tel moment l’émut tant qu’elle dut essuyer le coin de ses yeux, humide.

Elle s’assit à son bureau. Posément, elle reporta le numéro d’identification du véhicule sur son ordinateur et lança la recherche. Une seconde, deux secondes, trois secondes d’attente. Ce n’était pas bon signe. Quatre secondes. Grace inspira profondément. Cinq, six, sept secondes et la machine cherchait encore. Tant qu’il ne s’inscrivait pas « 0 correspondance » sur l’écran, on pouvait espérer, mais la probabilité ne cessait de diminuer. Huit, neuf, dix, et ce sablier qui n’en finissait pas de pivoter sur lui-même.

Et soudain, l’ordinateur afficha un résultat. Grace se redressa dans son fauteuil avec tout le contrôle dont elle était capable. La reconnaissance avait pris beaucoup de temps parce que cette plaque d’immatriculation n’était désormais plus attribuée et se trouvait dans les archives. Mais alors qu’elle s’attendait à voir enfin apparaître l’identité du propriétaire de la voiture, elle se retrouva avec le nom d’une société de location de voitures.

Amère, elle appela directement le siège social de l’entreprise. Après deux heures cumulées d’échanges téléphoniques et d’e-mails avec le service juridique, on la mit enfin en contact avec un employé susceptible de l’aider à retrouver qui avait loué le véhicule immatriculé « SK2PGA3 » en décembre 1998. Il la prévint que cela lui prendrait un peu de temps puisque les fichiers de l’époque n’étaient plus compatibles avec le système informatique actuel et qu’il allait devoir procéder de façon manuelle. Loin de s’énerver, Grace le remercia chaleureusement et l’impliqua dans son enquête en lui disant qu’il serait le premier à connaître l’identité d’un individu recherché par la police depuis plus de vingt ans.

En attendant qu’il la rappelle, Grace traversa l’open space organisé en labyrinthe cloisonné, et repéra le bureau des deux officiers chargés des télécommunications. Elle fut soulagée de voir que Lorna, la plus efficace des deux, travaillait déjà sur la liste des appels de l’infirmière Kathy.

— Merci de vous y être mise si vite.

— Je fais de mon mieux, répondit la jeune analyste filiforme aux cheveux roux très courts. Malheureusement, impossible d’identifier l’individu auquel appartient le numéro composé deux fois par Kathy Hodges juste avant sa mort. Il est crypté avec une très haute sécurité.

— C’est à la portée de tout le monde, ce genre de brouillage ? s’étonna Grace qui commençait déjà à faire une déduction.

— Non, il faut une technologie particulièrement poussée.

— Qui possède de tels moyens ?

— Eh bien… soit la criminalité organisée de grande envergure, mais on parle là de gens très fortunés et surtout très équipés, soit…

Lorna eut l’air embarrassée.

— Un État ? proposa Grace.

La jeune policière hocha brièvement la tête en regardant son inspectrice par en dessous, comme si elle risquait de se faire repérer.

Grace repensa immédiatement aux paroles énigmatiques de Scott Dyce dans l’ambulance : « On m’a fait taire… parce que j’allais tout découvrir. Cela remonte si haut, Hendrike… N’aie pas peur d’eux. Tu dois continuer mon enquête et révéler l’impensable vérité… »

— Merci, Lorna. Où en êtes-vous avec les autres numéros ?

— Au début. Pour le moment, il semble qu’elle appelait surtout la maison de repos où elle travaillait. Je vous transmets la liste d’ici une heure si je n’ai pas rencontré de nouveaux obstacles.