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— Et vous n’avez pas eu envie de vérifier par vous-même ?

— Il a assuré qu’il me transmettrait le document original, et puis le temps a passé et je ne l’ai jamais reçu. Je l’ai relancé une ou deux fois, mais il était toujours très occupé. J’ai même tenté de joindre directement les archéologues, qui n’ont jamais donné suite à mes demandes. Et, à cette époque, j’étais débordé avec ma thèse d’histoire et mes démarches pour chercher du travail. J’ai fini par laisser tomber.

— Le rapport est donc sans doute en train de moisir au fond d’un placard.

— Oui, c’est tout à fait probable. D’autant qu’Harald Schmidt est décédé.

— Où se trouve le commissariat ?

— À dix minutes à pied d’ici. À gauche en sortant, tout droit jusqu’à Lohstrasse, où vous prendrez à droite, le poste de police est au bout de la rue.

— Merci pour toutes ces explications, monsieur Brawekod.

S’apercevant que le directeur paraissait perturbé par tout ce qu’il venait de divulguer de façon officieuse, Grace s’efforça de lui adresser un sourire.

— Et j’espère que tout ce que vous m’avez raconté n’est pas du pipeau…

La bouche du directeur s’arrondit lentement pour former une expression d’étonnement, avant de se muer en un rictus amusé.

Grace quitta cette fois-ci pour de bon le musée, et pressa le pas vers le poste de police.

– 23 –

Une nuit sans lune avait jeté son linceul sur la ville médiévale de Hamelin, et des carrés de lumière parsemaient les maisonnettes à colombages, promesses d’intérieurs chaleureux abrités de l’humidité grasse qui rendait les pavés glissants. Dans le dédale des ruelles, Grace n’aurait pas été étonnée d’apercevoir une petite fille vêtue d’un capuchon rouge se faufiler sous un porche, ou une femme aux interminables cheveux descendre du sommet d’une tourelle couverte de lierre. Flottait dans ce lieu cette atmosphère irréelle et si ambivalente des contes de fées, où le merveilleux côtoie l’épouvante. Là où Grace aurait voulu s’abandonner à une rêverie délicieuse et rassurante, elle ne pouvait s’empêcher d’imaginer que, quelque part dans l’ombre d’une alcôve, des yeux menaçants l’épiaient, et qu’au-delà des murs protecteurs de la cité des créatures cruelles rôdaient au pied des remparts. Dans cette ambiance fantomatique, la jeune femme réfléchissait. Pourquoi un policier s’est-il tant intéressé à une histoire de fouilles archéologiques ? Cette question la taraudait.

Anxieuse, Grace poussa la porte du commissariat et se présenta à l’accueil, où un officier de garde bien portant était en train de jouer à Candy Crush sur son téléphone. Elle pensa avec amertume à tout ce qu’elle avait appris sur ce type d’application au cours de son enquête précédente.

— Alors, niveau combien ? demanda-t-elle d’un ton enjoué en anglais.

— Oh, 58… ce n’est pas fameux. Que puis-je pour vous ?

— J’arrive de Glasgow, je suis venue dans le cadre d’une enquête sur… vous allez trouver cela bizarre… sur le joueur de flûte de Hamelin.

— Vous êtes journaliste ?

— Non, inspectrice de police, répondit Grace en présentant son badge. Je sais que ça peut paraître saugrenu, mais l’affaire sur laquelle je travaille actuellement pourrait être reliée d’une façon ou d’une autre à la légende.

L’officier parut dubitatif.

— Alors ça, c’est bien la première fois que j’entends une chose pareille. Qu’espérez-vous trouver ici ? Vous devriez plutôt aller au musée.

— Justement, j’en viens, et j’y ai appris que le commissaire Schmidt avait encadré la sécurité, il y a des années, des fouilles archéologiques sur la colline de Coppenbrügge. Le compte rendu est certainement encore dans vos archives et j’aimerais le consulter, s’il vous plaît.

— C’est en effet une demande un peu bizarre, reprit l’officier en rendant à Grace sa carte de police, qu’il avait examinée avec attention. Mais je n’y vois pas d’inconvénient, ce n’est pas un sujet sensible. De quand date le dossier ?

— 2016, je crois.

— Je vais voir. Patientez ici, s’il vous plaît, dit-il en désignant une rangée de chaises en plastique noir.

Il revint une dizaine de minutes plus tard, soufflant sous l’effort, une lourde boîte dans les bras, qu’il laissa aux pieds de Grace.

— Tous les dossiers de l’année 2016, hors délits et crimes, sont là-dedans. Je vous laisse regarder.

— Merci. Et je vous conseille de regarder cette vidéo en attendant, dit-elle en lui tendant son téléphone. Vous apprendrez notamment comment les applications et les réseaux sociaux vous font perdre du temps et votre vie[1]

L’officier considéra la jeune femme d’un œil méfiant mais, n’ayant rien de mieux à faire, il prit le portable et retourna derrière son comptoir.

Grace s’accroupit près du carton rempli de paperasserie qu’elle commença à éplucher. Mais il s’agissait principalement de litiges de voisinage, ou de plaintes déposées par des habitants contre la mairie pour des manquements sur l’aménagement de la voirie.

— Tout est là, j’imagine ? demanda-t-elle à l’agent, qui semblait absorbé par le film qu’elle lui avait recommandé.

— Euh, oui…

Où peut bien être ce compte rendu ? s’interrogea Grace. Pourquoi ne se trouve-t-il pas là-dedans ?

Elle porta la boîte jusqu’à l’accueil et la déposa un peu brutalement sous le nez du policier, afin d’attirer son attention.

— Pouvez-vous me donner le registre d’archivage des dossiers de 2016 ? quémanda-t-elle de son plus charmant sourire.

L’homme soupira, mais accepta d’aller fouiller dans une grande armoire métallique de laquelle il tira un porte-documents, qu’il remit à cette inspectrice décidément bien exigeante.

— Merci, officier.

Elle ouvrit la chemise beige et suivit du doigt les lignes consignées.

Mois par mois, le registre indiquait le nom des dossiers archivés, leur numéro, le nombre de pages, et parfois la date de sortie et de retour ainsi que l’identité de l’emprunteur. Elle ne découvrit rien d’intéressant en parcourant cette liste fastidieuse, jusqu’à l’entrée du 22 janvier 2016, où apparaissait clairement la mention : « “Dossier fouilles archéologiques Teufelsküche”, 163 pages ». Le compte rendu comportait donc près de cent cinquante pages de plus que la synthèse qu’elle avait consultée. Grace avait désormais la certitude qu’un rapport plus complet existait et elle pouvait légitimement se demander si celui-ci n’était consacré qu’à des relevés topographiques sans conséquence comme le supposait le directeur du musée. Pourquoi les auteurs se seraient-ils amusés à faire du remplissage ?

Intriguée par cette découverte, Grace le fut encore davantage quand elle constata que le dossier avait été emprunté le jour même de son archivage, par quelqu’un qui n’avait inscrit qu’un point d’interrogation à la place de son nom et de la date de retour.

— Excusez-moi, dit Grace en faisant un petit signe de la main à l’officier toujours concentré sur son téléphone.

— Moui ?

— J’imagine que tout le monde ici est obligé d’enregistrer avec soin ses emprunts aux archives ?

— Affirmatif.

— Alors, pourquoi cette section est-elle vide ? demanda Grace en pointant du doigt la ligne qui aurait dû indiquer l’identité de l’emprunteur.

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1

Allusion au tome précédent, Le Dernier Message (XO Éditions).