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Grace poursuivit son tri méticuleux, allant même jusqu’à examiner des petits morceaux déchiquetés. L’énergie que lui demandaient les efforts de traduction avec son téléphone finirent par provoquer des vertiges et des maux de tête que l’émulation de la recherche parvenait tout juste à apaiser.

Lorsque, soudain, un lambeau de feuille provoqua dans son corps une décharge d’adrénaline. On pouvait y lire les lettres « äologie », sans doute la fin du mot « Archäologie » en allemand. Les cambrioleurs, surpris par l’alarme, avaient probablement agi dans la précipitation, et déchiré par mégarde une page du rapport en le tirant du tas de paperasse. Grace en était convaincue, à présent, c’était bien cela qu’ils étaient venus récupérer. Et peut-être avaient-ils laissé derrière eux d’autres bribes du précieux document.

Grace fouillait désormais fiévreusement, sans précaution pour les archives de l’ancien commissaire. Elle avait l’impression d’être une machine un peu folle qui ne voyait plus très clairement. Les lignes de mots et de chiffres se chevauchaient, son cerveau saturait et, à mesure que la pile diminuait, le nœud de son angoisse se resserrait. Elle n’entendait même plus le son de la télévision provenant de la pièce au bout du couloir. Le sang bouillonnait avec une telle intensité dans ses oreilles qu’elle était sourde à son environnement. Et, alors qu’elle consultait les tout derniers documents, son cœur manqua un battement.

Dans sa main tremblante vibrait un papier froissé qu’elle venait de décoller du dos d’une facture d’électricité. L’en-tête était celui de la société d’archéologie de Hanovre, et un large bandeau « confidentiel » barrait toute la feuille en semi-transparence. Il s’agissait de la page 143 du rapport sur l’exploration de la « cuisine du diable ».

Le texte, évidemment rédigé en allemand, était illustré d’un schéma très précis qui représentait un amas de rochers ainsi que des coordonnées géographiques. Une flèche semblait indiquer un lieu, mais Grace ne comprenait pas l’explication qui l’accompagnait. Elle s’empressa d’entrer le texte dans son application de traduction automatique et n’en crut pas ses yeux.

Comme nous l’avons déjà noté à plusieurs reprises, nous avons identifié à cet endroit, aux coordonnées 52.107236, 9.537143, ce qui s’apparente à une ancienne ouverture naturelle vers l’intérieur d’une des cavités de la colline répertoriée sous le numéro 33-56. L’autorisation d’opération archéologique n’ayant pas été accordée, nous ne sommes pas en mesure d’en produire ici une description. Mais le sondage par électroacoustique a révélé la présence d’un goulet menant à une chambre souterraine, qui selon les courbes rocheuses observées pourrait avoir été aménagée par l’action humaine.

1. 

– 24 –

Dans la fade lumière du petit jour, les troncs décharnés de la forêt tentaient d’échapper à la brume comme autant de poils hérissés sur une peau de feuilles mortes. Guettant sans cesse le signal de son GPS, Grace progressait lentement sur le tapis d’humus qui craquelait sous ses pas. Sa démarche était ponctuée du cliquetis du piolet et du pied-de-biche attachés à sa ceinture. Équipement dont elle avait fait l’acquisition le matin même avant de rejoindre en voiture le village de Coppenbrügge. Chaque effort pour gravir la colline se muait en buée qui se mêlait au brouillard. Dans cette nébuleuse, elle distinguait mal les pièges de la pente percée de trous boueux, et encombrée de rochers aux angles effilés et de troncs d’arbres vermoulus.

Les mains sur les sangles de son sac à dos, Grace se retourna un instant pour reprendre son souffle et écouter attentivement. Il lui avait semblé entendre plusieurs fois des bruits en contrebas. Quelque chose qui pouvait ressembler à des craquements de branches. S’agissait-il d’animaux comme le laissaient entendre les nombreux panneaux interdisant la chasse ? De simples randonneurs ? Ou devait-elle envisager que quelqu’un de moins bien intentionné la suivait à distance ?

Ne percevant rien d’autre qu’un battement d’ailes d’oiseau et l’aboiement lointain d’un chien au fond du vallon, elle reprit sa marche en repensant aux questions qui s’étaient, la veille, imposées à elle, quand elle avait quitté le domicile de la veuve d’Harald Schmidt. Pourquoi ce dernier avait-il soustrait le rapport concernant la fouille archéologique de la Teufelsküche et fait circuler une simple synthèse ? Était-ce uniquement pour sauver la ville du scandale ou pour une raison moins avouable ? Et qui avait volé le dossier à la mort du commissaire ?

Tout en tentant de répondre à ces interrogations, Grace s’assura que son arme était bien accessible. Après une demi-heure d’effort, l’air se refroidit, les rochers sur le chemin se mirent à suinter et les troncs couchés qu’elle contournait un peu plus tôt s’amoncelèrent en une marée de membres brisés et rongés par une végétation humide. Devant elle, une ombre écrasante s’arrachait peu à peu de l’étreinte du brouillard. Une vingtaine de mètres plus loin, la pente se fit plus douce, pour se creuser au pied d’une imposante muraille minérale. Dans une fosse mal dégrossie, des rocs s’entassaient pêle-mêle, semblant avoir été jetés là par une main puissante et rageuse. Abandonnés depuis des siècles, barbus de mousse, étaient-ils les pierres tombales de cent trente petites victimes innocentes et de l’homme qui les avait perdues il y a plus de sept cents ans ? Troublée, Grace n’en oublia pas la raison de sa présence ici et vérifia de nouveau son GPS, qui indiquait plus haut la zone qu’elle cherchait à atteindre. Elle fit un détour pour éviter la dépression emplie d’éboulis et parvint à se faufiler dans un couloir étroit pour poursuivre son ascension.

Glissant sur le sol boueux, s’agrippant à des anfractuosités trempées qui trahissaient ses prises, elle se fraya péniblement un chemin entre les épaisses racines qui s’enroulaient autour des géants de pierre. Là, après s’être hissée sur un promontoire, elle s’aperçut que la paroi était percée de plusieurs grottes. Mais, selon le rapport archéologique, celle qu’elle cherchait n’était pas déblayée et restait donc invisible à l’œil nu. Pourtant, son téléphone signalait que la mystérieuse cavité n’était plus qu’à cinq mètres, juste devant elle. Grace remarqua que des arbustes avaient obstrué un passage très étroit sous un gros rocher. Un passage que seuls des enfants peuvent emprunter facilement, pensa-t-elle.

Elle se baissa et parvint laborieusement à s’y couler, pour se retrouver face à un tas de pierres massives qui montait jusqu’à hauteur d’homme. Dans sa poche, son portable vibra. Le GPS lui indiquait qu’elle était arrivée à destination.

Prudemment, elle tenta de faire bouger les énormes cailloux qui se trouvaient au sommet de l’amoncellement. Et là où elle s’attendait à un scellement immobile, elle sentit un peu de jeu. Elle répéta l’opération à plusieurs endroits et comprit que ce mur avait été érigé récemment, sans doute au cours des dernières années. Contrairement aux autres pierres de la forêt, celles-là étaient en effet dépourvues de mousse.

Faisant levier avec son piolet et son pied-de-biche, Grace réussit à déloger chaque rocher un à un. Le cœur battant d’une excitation rare, elle vit se dévoiler l’entrée d’un couloir souterrain. Repoussant avec empressement les derniers blocs qui faisaient obstacle, Grace rangea le pied-de-biche dans son sac et attacha de nouveau le piolet en le laissant pendre le long de sa cuisse. Elle saisit ensuite sa lampe torche et franchit le seuil du goulet pour s’enfoncer dans les ténèbres.