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Grace s’accroupit aussitôt et secoua Lukas, qui s’éveilla en sursaut. Elle lui plaqua une main sur la bouche et lui fit comprendre qu’elle avait entendu des bruits de pas à l’extérieur. À l’expression apeurée de son ami, elle sut que ce n’était pas normal et s’empara immédiatement de son arme glissée dans son holster. Lukas s’avança en silence vers la porte d’entrée pour récupérer son fusil, et colla son œil contre le judas, tandis que Grace se plaçait à côté de la fenêtre du salon. Ils étaient maintenant tous les deux équipés, chacun à un poste d’observation, sur le qui-vive.

Soudain Grace aperçut Lukas lui faire signe qu’une personne armée se tenait juste derrière le battant.

Que devaient-ils faire ? Rester cachés en attendant qu’il se passe quelque chose et répliquer aussitôt ? Ou attaquer les premiers en prenant le risque de s’exposer à un tir réflexe qui pourrait être fatal ?

Les doutes de la jeune femme tambourinaient dans son crâne à la même cadence effrénée que les battements de son cœur. Elle se concentra, à la recherche du moindre détail capable de faire basculer sa décision. C’est alors que les bruits de pas se firent de nouveau entendre, foulant la neige en direction de la fenêtre. Lukas, toujours fixé sur l’œilleton, n’avait pas réagi. Il y avait donc un deuxième intrus. Sa démarche se voulait discrète, sans y parvenir. Il était soit corpulent, soit, ce qui était plus probable, lourdement armé. Grace et Lukas allaient être massacrés dès la première seconde de l’assaut.

Elle signifia d’un léger claquement de langue à son acolyte qu’il fallait passer à l’action, et, d’un mouvement vif, elle se décala pour faire face à la fenêtre, son pistolet tendu devant elle. Elle vit un homme en treillis blanc s’apprêter à lancer une grenade, déjà dégoupillée, à travers les carreaux. Grace lui planta trois balles dans le thorax avant qu’il n’ait le temps de riposter. La vitre se brisa violemment sous l’impact et l’individu tomba à la renverse, lâchant sa grenade. Grace se recroquevilla en hurlant :

— Attention !

Et plaqua ses mains sur ses oreilles une demi-seconde avant que l’explosion ne souffle une partie du mur dans une projection d’éclats de bois.

Lacérée d’échardes, le visage brûlant, assourdie mais vivante, elle vit la porte d’entrée se trouer sous un déluge de coups de feu. Lukas, qui l’avait rejointe en rampant, tira à l’aveugle avec son fusil, affolé.

Grace se glissa à l’extérieur par l’ouverture béante laissée par la déflagration, dans le fracas des tirs, qui couvrait le bruit de ses pas s’enfonçant dans la mare spongieuse et gluante de l’homme déchiqueté. Elle longea le mur, espérant surprendre le deuxième assaillant, mais, arrivée à l’angle, le silence se fit, et elle eut à peine le temps de voir l’individu franchir le seuil de la chaumière. Elle se précipita à sa suite et découvrit Lukas prostré de panique sur le plancher, le tireur ajustant son arme pour l’exécuter.

Elle visa directement les jambes, une balle dans chaque cuisse. L’homme s’écroula en hurlant. Grace fonça vers lui, éloigna son fusil d’assaut d’un coup de pied et braqua son pistolet sur sa tête.

— Qui vous envoie ?

Elle n’eut pour réponse qu’un râle de mépris. Elle posa sa semelle sur l’une de ses blessures. Il enragea.

— Pour qui travailles-tu ? assena-t-elle.

L’homme crispa ses mâchoires.

Elle crut qu’il luttait contre la souffrance, et comprit trop tard.. De la bave débordait déjà de sa bouche et son corps s’agitait de convulsions. Une poignée de secondes après, il était mort.

Par terre, Lukas ne bougeait pas. Grace s’agenouilla et lui posa une main sur l’épaule.

— C’est terminé. Tu ne crains plus rien.

Lentement, il releva la tête, le regard vide, le visage déformé par le traumatisme. Elle l’aida à se remettre debout, puis à s’asseoir dans un fauteuil. Pour le rassurer, elle lui laissa son fusil, même s’il était déchargé.

Ensuite, elle retourna vers le cadavre du tireur dans l’entrée et le fouilla. Il n’avait sur lui que des armes. Rien pour l’identifier ou remonter jusqu’à ses commanditaires.

Par acquit de conscience, elle sortit et examina les environs de l’explosion qui avait frappé l’autre militaire. Elle ne trouva aucun document, ni signe ou indice pour l’éclairer. Seulement des restes éparpillés de corps humain.

Elle enjambait les décombres du mur pour regagner l’intérieur de la chaumière quand une coulée de neige tomba sur ses épaules. Grace eut la présence d’esprit de se jeter sur le côté et une rafale troua le sol qu’elle foulait la seconde d’avant. Elle roula sur le dos, et fit feu sur une silhouette qui venait de sauter d’un arbre. Mal ajustées, les balles sifflèrent dans le vide. Le temps que Grace stabilise son tir suivant, l’individu se rua sur elle et la désarma.

Elle se débattit avec une telle fureur qu’elle finit par blesser son adversaire à l’œil. Saisi d’un réflexe, il plaqua sa main sur son visage et elle échappa à sa prise. Comme une furie, elle fonça dans le salon.

— Fuis ! hurla-t-elle à son ami.

Mais il ne bougea pas de son fauteuil, complètement abasourdi.

Grace trébucha sur des morceaux de bois et s’écroula aux pieds de Lukas, toujours pétrifié de peur. À genoux, elle s’empara du fusil de chasse, avant de se rappeler qu’il n’était plus chargé.

— Les munitions ! cria-t-elle en voyant déjà son assaillant se relever à l’extérieur de la chaumière.

Lukas ne réagit pas. Elle le secoua.

— Vite !

Il plongea alors une main maladroite dans sa poche et en sortit une seule cartouche.

Grace eut l’impression qu’elle n’avait jamais été aussi proche de mourir. Tout se jouerait dans les deux secondes qui allaient suivre. En se précipitant pour enfoncer la cartouche dans le canon du fusil, celle-ci lui échappa des mains.

Elle la vit tomber à terre dans un mélange étrange de vitesse et de lenteur hors du temps. Alors que la munition rebondissait sur le plancher, un laser rouge passa dessus. Il remonta sur la poitrine de Grace, puis, elle n’eut aucun doute là-dessus, se fixa sur son front. Sur son siège, à côté d’elle, Lukas n’était plus qu’un pantin immobile.

Grace eut l’indicible certitude de n’avoir connu que quelques jours entre sa naissance et cet instant. Quelques moments heureux de son enfance qu’elle avait complètement oubliés se rappelèrent à elle, comme pour l’aider à partir plus sereine.

Le coup de feu retentit, puis la balle perça son crâne et déchiqueta son cerveau.

C’est du moins ce qu’elle crut vivre. Mais, lorsqu’elle rouvrit les yeux, l’homme qui l’avait attaquée quelques minutes plus tôt était à terre. Lukas, lui, n’avait pas bougé de son fauteuil, vivant mais atone. Que s’est-il passé ?

Elle se toucha le front, sa main était tachée de sang. Mais celui-ci provenait des lésions provoquées par les échardes lors de l’explosion de la grenade. Elle n’avait aucune blessure profonde.

À ses pieds, la cartouche qu’elle avait lâchée par mégarde était toujours là. À l’extérieur, dans la forêt blanchie, régnait la tranquillité d’une aube maussade et grise.

Jusqu’à ce que l’on entende des pas écraser la neige dans une cadence irrégulière. Quelqu’un s’approchait de la chaumière. Grace s’empressa de charger le fusil, sans faillir cette fois, et braqua le canon devant elle, prête à tirer.

Progressivement, une ombre se découpa dans l’embrasure de la porte. Quelqu’un vêtu d’un long manteau avançait en s’appuyant sur une canne. Un chapeau en cuir sur la tête, une écharpe devant le visage, il inspecta l’intérieur de la maison sans se hâter. Il demeura quelques instants face à Grace et Lukas sans mot dire. Des rafales de vent affolaient parfois son pardessus, mais il restait impassible.