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L’assassin caressa sa barbe de trois jours à la pousse inégale et gratta d’un geste agacé sa cicatrice au cou. Puis, s’assurant que la serveuse était loin d’eux, il se pencha en avant pour parler à voix basse.

— Voici ma proposition : la dernière fois, malgré tout ce que vous avez entrepris, vous n’avez pas réussi à arrêter Olympe dans sa volonté d’abrutissement de la civilisation occidentale. Sachez que la multinationale promeut également la pédocriminalité au niveau mondial en militant partout pour la baisse de l’âge du consentement, en banalisant le tourisme sexuel, en noyautant les ONG chargées des enfants abandonnés pour fournir nos clients favoris, et surtout en protégeant les coupables qui ont les moyens de se payer nos services. Bref, le groupe est trop puissant pour vous, quelle que soit votre soif de justice, inspectrice. Vous ne parviendrez jamais à arrêter une entreprise de cette dimension…

Gabriel se massa la main, comme pour faire passer une douleur.

— Juste une question : Olympe détruit tous ces enfants seulement pour l’argent ? Ou cette horreur fait-elle partie d’une stratégie plus globale ?

— La deux, candidate Campbell. Mais ne me demandez pas laquelle. Le Passager ne nous dit pas tout.

— Attendez, ce Passager qui semble faire l’admiration des pourritures du réseau Kentler a donc un lien avec Olympe ?

— Ah oui, j’ai oublié de vous présenter mon patron, Grace. Le Passager n’est autre que le fondateur d’Olympe. Si vous voulez des réponses et surtout faire tomber ce groupe, vous n’avez qu’une solution : atteindre son créateur et actuel dirigeant. Et c’est moi qui peux vous conduire à lui.

Grace n’en croyait tellement pas ses oreilles qu’elle en sourit.

— Vous, assassin dévoué à Olympe jusqu’à la moelle, responsable d’un des départements de la sécurité, vous voulez m’aider à arrêter votre chef ? Vous croyez sérieusement que je vais vous faire confiance ?

L’homme approuva d’un mouvement de tête.

— Je l’espère. Pour deux raisons. La première : c’est grâce à moi que vous êtes arrivée jusqu’ici.

— C’est ce que vous insinuez depuis le début, mais je ne vois pas pourquoi vous…

— Attendez, je vais vous expliquer d’ici quelques secondes. Deuxième raison : j’ai un intérêt tout personnel à détruire Olympe.

Grace tapota la table de son index, agacée d’avoir à se soumettre au tempo de son pire ennemi.

— Prouvez-moi ce que vous dites.

Gabriel se recula sur son siège, la mine sardonique.

— Soyons honnêtes, inspectrice, si je vous avais proposé directement de collaborer avec moi pour mener Olympe à sa perte, vous ne m’auriez jamais suivi.

— Et pourquoi le ferais-je aujourd’hui ?

— Parce que je vous ai montré ma bonne foi en facilitant votre enquête sur ce qui vous est arrivé enfant. Je vous ai aidée comme personne n’aurait pu le faire. Sans mon appui, vous seriez encore chez vous à vivre dans les tourments de l’ignorance. Vous seriez restée prisonnière de votre passé, Grace !

— Et pourquoi donc ?

— Parce que les preuves dont vous aviez besoin sont chez Olympe depuis des années !

Gabriel avait lancé sa phrase avec une intonation impatiente.

Grace se recula de la table.

— Comment ça, chez Olympe ? siffla-t-elle, la tête inclinée, incrédule.

Son interlocuteur se pencha sur le côté de sa chaise pour fouiller dans un sac à dos posé à ses pieds. Il en sortit une série de photographies qu’il dévoila au fil de son énumération.

— Les lettres « S K 2 » inscrites sur un papier dans la prise électrique chez votre mère, la pochette de Scott Dyce et la suite de la plaque d’immatriculation, les clichés de l’ancienne chambre de Lukas et bien d’autres choses à côté desquelles vous êtes passée. Tout ça, Olympe l’avait déjà trouvé et consigné dans ses coffres pour éviter à ses clients d’être inquiétés ou pour faire chanter les mauvais payeurs. Je me suis juste arrangé pour sortir les documents de nos archives et les replacer là où ils étaient à l’origine, afin que vous refassiez toute l’enquête qu’Olympe avait déjà menée il y a quelques années.

Grace scrutait les photographies étalées sur la table, sentant s’ouvrir en elle un abîme de sidération.

— Puisque nous sommes au pays des contes de fées, reprit Gabriel, j’ai joué au Petit Poucet avec vous, en semant sur votre chemin des cailloux qui vous ont conduite jusqu’à Lukas. Rassurez-vous, inspectrice, je n’ai rien inventé de ce que vous avez découvert. Tous les éléments que vous avez trouvés sont réels, je les ai seulement mis un peu mieux en valeur qu’ils ne l’étaient au départ.

Grace jeta un regard noir à son ennemi. Depuis cette lettre anonyme, c’était donc Gabriel qui la manipulait ? Elle se sentait humiliée d’avoir poursuivi une enquête factice dont il avait orchestré chaque rebondissement.

— Comment ? Comment auriez-vous pu savoir où dénicher ces indices, les mettre sur ma route et être sûr que je tomberais dessus ? C’est impossible !

— Il y a eu quelques imprévus, mais dans l’ensemble, mon plan a bien fonctionné. La preuve, vous êtes là.

Grace connaissait la perfidie de cet homme qu’elle savait capable d’un bluff de haut vol pour parvenir à ses fins.

— On n’a pas énormément de temps devant nous, reprit-il, mais votre confiance à mon égard est capitale pour la suite de notre collaboration, alors écoutez bien.

Grace se redressa sur son siège.

— Pour commencer, vous devez savoir que, chez Olympe, nous avons les moyens d’espionner toutes les personnes qui peuvent nuire d’une façon ou d’une autre à nos clients. Tous les individus suspects, les témoins ou les repentis, sont gardés en vie tant qu’on peut pour ne pas attirer l’attention. On ne les supprime qu’en dernier recours. C’est notre façon de fonctionner : maîtriser l’information, éviter les drames au maximum, mais intervenir fermement quand cela devient indispensable. Or, lorsque Olympe a mis en place la protection des membres du réseau du joueur de flûte et des participants au projet Kentler, votre mère a évidemment fait partie des gens à surveiller. Votre maison d’enfance a donc été passée au peigne fin pour y récolter tout ce qui pourrait constituer une preuve contre nos clients. Votre chambre a ainsi été inspectée et nous avons déniché le fameux papier que vous aviez caché après votre enlèvement. Nous avons compris plus tard que « S K 2 » correspondait aux trois premiers signes d’une plaque d’immatriculation. Nous nous sommes assurés sur le long terme que votre mère ne serait pas prise un jour d’une bouffée de remords l’amenant à tout confesser à la police. Cette mission de surveillance a été attribuée à son aide à domicile Freya.

— Cette femme fait partie d’Olympe ?

— Elle est payée par Olympe. Nuance. C’est-à-dire qu’elle fait ce qu’on lui demande sans discuter, contrairement à d’autres. Donc, comme je savais que vous iriez faire un tour chez votre mère après avoir lu ma lettre anonyme, j’ai ordonné à Freya de faire en sorte que vous retrouviez votre terrible canif porte-clés et le petit papier avec le fameux « S K 2 » dessus que vous aviez dissimulés à l’époque sous votre matelas. Pas de façon trop évidente, bien entendu, il fallait que vous ayez l’impression de les découvrir par vous-même. J’imagine que le jaune paille de la prise électrique repeinte par Freya vous a émue et vous a rappelé votre chambre de petite fille innocente.

Grace comprenait maintenant pourquoi elle n’avait aucun souvenir de cette cachette. Mais surtout, elle avait du mal à croire que Gabriel ait pu prévoir la suite de son enquête.

— Et vous saviez que j’allais me rendre dans l’appartement qu’avait loué mon père, rechercher la liste de ses appels téléphoniques et rejoindre la maison de repos où résidait Scott Dyce ?