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— Et les mercenaires qui ont été tués chez Lukas ?

— Comme je connaissais les mots de passe et le protocole de l’opération, je n’ai pas eu de mal à me faire passer pour l’un des mercenaires via son téléphone pour signaler des pertes importantes, mais que vous étiez éliminée. Ça ne tiendra pas plus de quarante-huit heures, ce qui nous laisse juste le temps d’agir.

Grace avait encore des difficultés à prendre la mesure de tout ce que Gabriel venait de lui révéler, mais ses explications lui semblaient crédibles. Probablement parce qu’il reconnaissait une partie de ses erreurs ou de ses manquements dans le déroulé de son plan. Restait à savoir pourquoi il s’était donné tant de mal.

— Vous m’avez dit tout à l’heure que je devais croire en votre volonté de détruire Olympe parce que vous aviez une raison personnelle de le faire. Je vous écoute.

Gabriel regarda la table un moment, en silence, visiblement dans ses pensées. Quand il parla enfin, une terrible douleur perçait dans sa voix.

– 34 –

— Olympe m’a trahi de la pire des manières. Une trahison qu’ils ne pourront jamais faire disparaître ou racheter, et qui a détruit ma vie.

Intriguée, Grace effaça son sourire moqueur. Gabriel avait perdu son attitude railleuse et supérieure. Il semblait sincèrement affecté. Elle le laissa poursuivre.

— Quand j’ai été hospitalisé entre la vie et la mort, on m’a, entre des fractures et une pneumonie, diagnostiqué un grave traumatisme rénal qui nécessitait une greffe urgente. Les médecins m’ont demandé si j’avais un frère parce que les chances de compatibilité étaient de 25 % contre 10 % avec un donneur de leur fichier. J’ai prévenu mon père parce que cela faisait des années que je n’étais plus en contact avec mon frère. Et c’est là qu’il m’a dit de ne pas me faire de faux espoir parce que celui-ci n’était pas mon frère biologique. Et ce n’était qu’un début.

Gabriel se servit un verre d’eau, l’avala et reprit, alors que Grace se demandait où il voulait en venir.

— Je vais faire bref, inspectrice, mais j’ai progressivement découvert que mon père m’avait adopté et qu’en réalité j’appartenais à Olympe. Au sens propre du terme. Dans sa grande entreprise de clonage humain, Olympe m’a conçu comme la réplique de l’un des pires tueurs à gages de l’histoire, Richard Kuklinski.

Grace eut instinctivement un léger mouvement de recul. Elle savait évidemment qui était ce criminel américain, qui avait probablement éliminé deux cent cinquante personnes au cours de sa carrière d’assassin, notamment pour le compte de la mafia. Les policiers l’avaient surnommé Ice Man, parce qu’il congelait les cadavres pour maquiller l’heure de la mort. Il avait aussi pour habitude de filmer l’agonie de ses victimes alors que celles-ci étaient dévorées vivantes par des rats.

Gabriel leva la tête vers Grace pour juger sa réaction. En le voyant ainsi, avec sa barbe mal dégrossie, son début de calvitie sur le haut du front et sans ses artifices esthétiques, elle reconnaissait effectivement les paupières tombantes et le regard sans compassion du célèbre tueur à gages. La ressemblance était même flagrante. Elle en fut déstabilisée.

— Comme vous, inspectrice, comme tout le monde, j’ai cru pendant toutes ces années que j’avais été l’acteur de ma vie, que ce métier de « nettoyeur » que vous méprisez était mon choix, ma fierté. Bref, j’étais heureux et, par-dessus tout, je me pensais libre, libre !

Gabriel tapa du plat de la main sur la table.

— Je n’étais et je ne serai jamais rien d’autre que ce qu’Olympe a voulu que je sois, avec la complicité de celui que je croyais être mon vrai père ! Je suis une copie génétique d’un monstre et on m’a élevé comme lui afin que je devienne, moi aussi, un fanatique du meurtre. Ils ont conditionné mon existence ! Ils m’ont emprisonné, ils m’ont déterminé ! Ils ont fait de moi un outil, Grace. Pas un humain avec son libre arbitre, mais une arme qu’ils ont utilisée pour traquer mes semblables sans même me l’avouer !

L’assassin se rendit compte qu’il avait monté la voix et siffla ses derniers mots entre ses dents.

— Jamais je ne pourrai devenir celui que je veux, puisque je suis déjà quelqu’un d’autre.

Il pinça la peau de son visage, tira sur les pointes de ses cheveux, frappa sa poitrine.

— Rien de tout ça n’est moi ! Je ne suis que la copie d’un autre, pour le restant de mes jours ! Et ça, je ne l’accepterai jamais, je ne le pardonnerai jamais à Olympe. Voilà pourquoi je veux qu’ils tombent. Si le Passager et son œuvre disparaissaient, j’aurais le sentiment de retrouver ma liberté. Je ne peux, comme tout enfant, tuer symboliquement le père pour devenir un homme, alors je serai la créature qui détruit son créateur pour briser ses chaînes.

Grace était stupéfiée par ce qu’elle entendait. Si elle n’avait pas elle-même découvert les activités d’Olympe dans le domaine du clonage, jamais elle n’aurait cru Gabriel. Sans pour autant avoir de la compassion pour lui, elle ne pouvait que ressentir la détresse infernale de cet individu prenant conscience de son identité prédéterminée.

— Vous voulez trahir Olympe par vengeance…, conclut-elle.

— Je veux qu’ils regrettent jusque dans la mort d’avoir décidé de ma vie à ma place.

Grace ne doutait plus de la soif de revanche qui assaillait Gabriel. Cependant, elle ne comprenait pas quel rôle elle avait à jouer dans cette vendetta.

— Pourquoi n’allez-vous pas tuer vous-même celui que vous appelez le Passager ? Vous êtes le fameux « nettoyeur », vous avez mille fois plus de chances que moi de l’atteindre. En quoi suis-je utile dans cette histoire ?

— Tout d’abord, il va falloir être deux pour l’approcher, mais j’y reviendrai plus tard. Ensuite, je ne veux pas tuer le Passager, mais l’envoyer devant la justice. Je veux que tous les crimes d’Olympe soient dévoilés. Or, si c’est un type comme moi qui livre les informations, elles seront immédiatement discréditées et l’affaire étouffée. En revanche, si c’est une inspectrice de police à l’éthique irréprochable, les tribunaux et la presse ne pourront pas fermer les yeux et le scandale éclatera au grand jour. C’est vous ou personne, Grace.

Elle détestait qu’il l’appelle par son prénom, cette insupportable tentative d’intimité lui hérissait le poil.

— En imaginant que je parvienne à l’arrêter…, reprit-elle. D’ailleurs à quoi ressemble-t-il, ce Passager ?

— On ne sait pas. Je ne l’ai jamais vu. La plupart des agents d’Olympe, même les plus haut placés comme moi, n’ont aucun contact direct avec le grand patron. Il communique ses ordres par l’intermédiaire d’une poignée de proches conseillers. Le Passager se montre rarement au grand jour. Ceux qui ont pu le voir restent très évasifs. Certains disent que c’est un homme, d’autres une femme. Un vrai mystère entoure son identité.

— Après tout, peu importe. Ce qui m’inquiète, c’est votre soudaine naïveté. Vous pensez vraiment que cet individu va se confesser et tout avouer ? Je ne le connais pas, mais pour diriger un groupe aussi tentaculaire qu’Olympe, il ne doit pas craindre grand-chose, et probablement pas un tribunal. Il nous faut des preuves.

Gabriel approuva, un air de satisfaction brillant au fond des yeux. Non, il n’a pas perdu son cynisme.

— Nous sommes bien d’accord. Je ne vous demande d’ailleurs pas d’arrêter le Passager, mais de mettre la main sur ses dossiers personnels afin de révéler la véritable nature du Plan d’Olympe.

— Qu’entendez-vous par là ? D’après Lukas, les membres du réseau Kentler évoquaient aussi ce « plan ».

— Le Plan, avec un grand p, est la stratégie globale du Passager. Je crois qu’Olympe tend à forger les conditions d’une nouvelle forme de civilisation à l’échelle planétaire.