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Sur ce « paf », Grace toucha une surface plus lisse que celle des petites pierres. Hélas, son interlocutrice la fixait, attendant visiblement une réaction de sa part.

— Pourquoi cela n’a-t-il pas été fait plus tôt ? répliqua-t-elle donc, les yeux au ciel. C’est une idée brillante. Trinquons à sa réussite.

— Volontiers ! s’exclama la Française, avant de lever la tête pour vider son verre.

Habilement, Grace parvint à saisir l’oreillette entre ses doigts et fit semblant de boire à son tour

— Vous me plaisez beaucoup, Elinda, déclara-t-elle. Et je vais vous faire une confidence, je suis heureuse d’avoir rencontré une personne comme vous pour mon premier gala de la Fondation Olympe. D’ailleurs, vous qui connaissez apparemment bien l’endroit, savez-vous où se trouvent les toilettes ?

— Oh, oui, c’est après le piano. Vous ouvrez la porte vitrée et ce sera sur votre droite. Vous verrez, c’est aussi luxueux que dans le salon.

— Merci, à plus tard.

Grace se fraya calmement un chemin entre les convives, passa derrière la musicienne qui la salua sans s’arrêter de jouer, puis fit coulisser le panneau de bois vitré pour se retrouver dans un long corridor tapissé d’une moquette bordeaux, et donnant sur une série de portes, dont l’une indiquait « toilettes ». Elle y entra et, ne s’attardant ni sur le marbre ni sur les dorures, elle installa l’appareil dans son oreille droite. Après s’être assurée qu’elle était vraiment seule, elle l’enclencha. Un bip lui signala qu’il était en marche.

— Gabriel, chuchota-t-elle. Je suis dans les toilettes après le piano.

— Parfait, répondit une voix éraillée. Vous êtes dans le bon sens. Les appartements du Passager sont au bout du train. Dirigez-vous vers le fond, vous allez tomber sur une porte métallique blindée. Placez-vous devant, je vous ouvrirai.

— Vous pouvez me voir ?

— Oui. Prête ?

— On y va.

Grace sortit des toilettes après avoir jeté un coup d’œil vers la porte du salon, puis rejoignit rapidement l’autre côté du wagon, ses talons s’enfonçant dans l’épaisseur veloutée du tapis. Son regard fut attiré par le paysage nocturne qui défilait à toute allure derrière les vitres. Elle aperçut les flancs de montagnes rocheuses en partie enneigés, qu’éclairait une lune blanche. Ils devaient être en train de traverser les Alpes suisses.

— Vous ne saviez vraiment pas que le Passager était un couple ?

— Quoi ? Vous tirez ça d’où ?

— Une des invitées vient de me le dire.

— Je n’ai jamais entendu cela en interne.

— Cela ne change pas grand-chose à ma mission, répondit Grace en retirant ses chaussures.

Elle continua pieds nus, pour s’arrêter devant une porte recouverte d’un placage de bois laqué.

— Je suis devant…

— Je sais. Attendez !

— Pourquoi ?

— Il y a quelqu’un.

— Un garde ?

— Si on veut.

— Il vient vers moi ?

— Non… Attendez encore, encore un peu. C’est bon, allez-y.

On entendit alors un verrou tourner.

— Il y a quoi de l’autre côté de la porte ?

— Il y a du monde, mais ils ne vous dénonceront pas. Passez à travers comme si tout était normal.

— Quoi ? répliqua Grace, inquiète.

Elle collait son oreille à la porte, quand cette dernière s’ouvrit dans un souffle de décompression.

– 37 –

La surprise fut totale. Là où elle s’attendait à découvrir un salon plus intime, un bureau, ou un restaurant peut-être, se trouvait une salle de jeux encombrée de cerceaux, de toboggans, de tapis d’éveil, de piscines à balles. Et dans un brouhaha de garderie, plusieurs jeunes enfants s’amusaient, se couraient après et riaient, passant d’une activité à l’autre.

— Des enfants, murmura Grace. Vous ne m’aviez jamais dit ça ! vociféra-t-elle à l’adresse de Gabriel.

— Ça ne change rien à notre plan.

— Si, ma présence les met en danger.

— Ne traînez pas.

Grace évolua entre les bambins aussi vite qu’elle le put, en prenant soin de ne pas les bousculer.

— Gabriel, que font ces enfants ici ? demanda-t-elle.

— N’imaginez pas le pire, ce sont certainement ceux des membres du personnel du train. Hâtez-vous.

— Madame, tu veux jouer avec nous ?

Une petite voix venait de monter aux oreilles de Grace. Quand elle baissa les yeux, elle vit une fillette, de huit ans peut-être, blonde, des couettes dans tous les sens et un sourire auquel il manquait deux dents de lait.

— Désolée, ma chérie, je n’ai pas le temps, répliqua Grace sans s’arrêter de marcher.

— Comment tu t’appelles ?

— Ruby, mentit-elle.

— Moi, c’est Eliza. Elle est jolie, ta robe, dit-elle en sautillant.

— Merci, Eliza.

— Elle est plus jolie que celle de notre maman.

— Ah, ta maman est ici, alors ?

— On n’a pas le temps pour ça ! s’énerva Gabriel dans l’oreillette.

— Oui, c’est notre maman à tous, mais là, elle est partie. Elle va bientôt revenir et tu la verras.

Grace pressa le pas. Elle était maintenant à mi-chemin du long wagon.

— Comment ça, votre maman à tous ? Vous n’avez pas une maman chacun ?

— Euh, non. C’est la même pour tout le monde.

— Et un papa ?

— Bah, ceux qui ont le droit d’aller le voir passent par la porte du fond et ne reviennent plus jamais ici. Alors, je sais pas trop. Faudrait que je regarde ce qu’il y a derrière cette porte pour te répondre.

— Inspectrice, intervint Gabriel. J’ai entendu, mais si vous voulez sauver ces gamins, ce n’est pas en vous attardant ici que vous y parviendrez. Vous ne pouvez rien faire pour le moment. Avancez !

— Je vais aller voir derrière cette porte et je te raconterai ensuite ce que j’ai vu, dit Grace, la gorge serrée. Mais si tu veux vraiment savoir, il ne faut pas que votre maman sache que je suis passée ici, sinon, elle va m’interdire de revenir. D’accord ? Tu l’expliqueras à tes… frères et sœurs ?

Un sourire malicieux éclairant sa figure, Eliza hocha la tête avec vivacité et tenta de faire un clin d’œil à Grace, qui se termina en un battement maladroit et simultané des deux paupières.

Grace caressa ses couettes blondes. Elle parcourait les derniers mètres qui la séparaient de la porte, quand Gabriel lui cria soudain dans l’oreille.

— Quelqu’un arrive !

Grace n’eut même pas le temps de faire demi-tour. La porte s’ouvrit.

Une femme d’une quarantaine d’années, habillée en tailleur vert, les cheveux coupés court, la dévisagea d’un air paniqué. Au même moment, quelques enfants s’écrièrent « Maman ! » d’un ton enjoué.

— Qui êtes-vous ? Vous n’avez rien à faire ici ! s’emporta-t-elle en marchant droit sur Grace.

Celle-ci hésita à jouer l’ingénue perdue, mais mieux valait éviter de se rabaisser face à ce genre de personne.

— Écoutez, vous n’êtes pas obligée de me parler sur ce ton. Je fais partie des invités du Passager pour le gala de la Fondation Olympe, et je me suis a priori égarée en cherchant les toilettes. Indiquez-moi la bonne direction au lieu de me hurler dessus. Votre patron ne doit pas apprécier que vous traitiez ainsi ses généreux donateurs.