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Plaquée contre la rambarde qui la protégeait provisoirement, une douleur sauvage dans l’épaule, elle vit, impuissante, se dérouler une échelle de corde, dont le Passager s’empara avant de la regarder d’un air narquois. Il allait lui échapper et emporter avec lui les preuves décisives.

Assassinant son instinct de survie, elle se releva et bondit vers son ennemi qui s’envolait déjà. Animée par la hargne, elle parvint à lui saisir le poignet. Sa main glissa et ses doigts s’accrochèrent à la pochette noire que le Passager étreignait. Le tissu se déchira, et le dirigeant d’Olympe disparut dans les airs, tandis que le projecteur aveuglait de nouveau Grace. Elle retomba à plat ventre et se colla à la rambarde métallique juste à temps pour entendre les balles éclater sur son bouclier de fortune. Transie de peur, elle resta sans bouger jusqu’à ce que le battement des pales de l’hélicoptère s’éloigne.

— Grace ! Où êtes-vous ? grésilla une voix dans son oreillette.

Sans doute parce qu’elle était à l’extérieur des appartements du Passager, la communication avec Gabriel revenait doucement.

Mais Grace l’ignora. Elle ne voyait qu’une chose : le petit objet sombre qui reposait sur le sol de la plate-forme.

Incrédule, elle tendit le bras pour le récupérer. Il s’agissait d’un étui rouge fermé hermétiquement, qui avait tout à fait la taille pour accueillir une clé USB.

— Je l’ai, souffla-t-elle.

— Vous avez la clé ?

— Je crois…

— Le GPS qui se trouve dans votre oreillette dit que vous êtes à l’extrémité du wagon des appartements privés du Passager. Ne restez pas là ! Des gardes arrivent ! Ils ont ordre de tirer à vue pour protéger notre dirigeant. Je ne peux pas contrer cet ordre !

— Mais où voulez-vous que j’aille ? s’emporta Grace, à bout de nerfs.

Gabriel ne répondit pas tout de suite. Grace se releva. Peut-être que la passerelle se déroulait le long de tous les wagons. Mais de ce qu’elle observait de la plateforme, ce n’était pas le cas. Elle était condamnée.

À la fois dévastée et poussée par l’urgence de donner du sens à cette mort inévitable, elle dicta ses derniers ordres.

— Je vais jeter la clé USB, vous la récupérerez le long de la voie ferrée. Notez mes coordonnées GPS ! cria-t-elle à Gabriel.

— Attendez ! Vous devez survivre. Sans vous, ces preuves ne valent rien.

— Il y a d’autres personnes de bonne foi. Jurez-moi que vous retrouverez la clé, que vous ferez tomber Olympe et qu’avant tout vous sauverez les enfants prisonniers de ce train maudit.

— Non ! Vous allez vous en sortir, Grace ! Le GPS m’indique que, dans deux kilomètres, vous allez passer sur un pont qui enjambe une rivière. Quand je vous le dirai, vous sauterez.

Grace savait que ses chances de survie étaient infimes. À une telle vitesse, il était presque impossible qu’elle se lance au bon moment. Et quand bien même elle serait dans le bon tempo, à une hauteur pareille, le choc avec l’eau lui serait probablement fatal. Mais en ne bougeant pas, le sort qui l’attendait était certainement bien pire.

Dans le sas qui bordait la plate-forme, elle entendit des cris. Les gardes allaient surgir.

Elle glissa le petit étui rouge dans son corsage, puis enjamba la barrière de sécurité. À moitié aveuglée par ses cheveux, sa robe en partie déchirée claquant au vent, les bras en arrière, elle s’agrippa à la rambarde malgré la douleur qui irradiait dans son épaule blessée. Sous ses pieds, la roche n’était plus qu’un autel de pierres saillantes attendant son sacrifice sanglant.

— J’ai déjà eu votre vie entre les mains, Grace, intervint Gabriel d’une voix calme. Faites-moi confiance, ma détermination à vous sauver est aussi grande que celle dont j’ai fait preuve lorsque j’ai tenté de vous tuer il y a quelques mois. Vous y êtes presque… Dans dix… neuf… huit…

À l’autre bout du wagon, Grace discerna des silhouettes armées qui longeaient le train dans sa direction. Une lampe torche se braqua sur elle. La porte donnant sur la plate-forme s’ouvrit à la volée.

— Deux… un… maintenant !

Elle sauta dans le vide.

– 42 –

Des pleurs, des hurlements et des claquements métalliques de chaînes. Des spectres sombres et flous qui partent et reviennent. Des portes de cages que l’on frappe, les affres d’une fournaise. L’infini, l’absence de temps, le vide. La chute interminable, le tourbillon cyclonique de l’effroi. L’obscurité glaçante, la luminosité incandescente et les lamentations, encore, toujours… Puis la peur lentement se meurt, l’enfer s’éloigne. La tétanie fond, la rivière se fait douce. Les spectres ne sont plus menaçants, leurs contours se redessinent. Et soudain, un visage.

— Madame ?

Elle entrouvre fébrilement les paupières. Qui est-ce ? Où suis-je ?

— Bienvenue dans le monde des vivants, la rassure une voix masculine avec un fort accent allemand.

Elle l’observe, sans comprendre, sans parvenir à se souvenir. Tout est si brumeux, lointain.

— Ne vous inquiétez pas si vous vous sentez désorientée. Après ce que vous venez de traverser, c’est normal. Cela ne durera pas. Le scanner n’a révélé aucun traumatisme crânien.

Elle entrevoit un plafond blanc, un néon peut-être, un homme âgé, la figure parsemée de taches de vieillesse, de rares cheveux gris peignés en arrière, le regard un peu triste, mais bienveillant. Et toujours ces geignements, cette complainte déchirante qui résonne de partout. Pourquoi ces atroces clameurs dans ma tête ?

— Je suis le docteur vétérinaire Diesbach, vous êtes en pleine campagne suisse. Si je vous dis Illgau, cela ne vous aidera en rien, sourit-il. Et vous vous trouvez dans mon cabinet, que j’ai aménagé pour vous.

— Ces cris…, parvient-elle à bafouiller entre ses lèvres desséchées. Vous les entendez ?

— Ah oui, pardon, à force, je n’y prête plus attention. Ce sont les chiens et les chats qui se réveillent après leur opération. Cela peut effectivement être inquiétant et angoissant quand on n’est pas habitué.

Elle ferme les yeux en signe d’acquiescement, avec l’envie de les garder clos. Elle se sent si fatiguée.

— Vous revenez de loin, vous savez, lui dit le vétérinaire. Vous m’avez fait peur. Vous avez traversé trois jours de très forte fièvre.

— Qu’est-ce que j’ai ?

— Votre vie n’est plus en danger. Mais vous avez vraiment failli y rester. Votre blessure au trapèze s’est déchirée et vous vous êtes vidée de votre sang dans l’eau glacée. La chute que vous avez faite vous a brisé le bras gauche, luxé le genou droit et cassé trois côtes. Et je ne parle même pas des ecchymoses sur tout votre corps. Heureusement que l’homme qui vous a trouvée vous a conduite jusqu’ici.

— Qui ?

— Il a dit qu’il s’appelait Gabriel. Je n’en sais pas tellement plus.

Le brouillard des pensées de Grace fut comme chassé par un courant d’air.

— Ce brave gars était parti pêcher à la mouche sur la rivière au petit matin quand il vous a vue, étendue sur le rivage. Vous ne respiriez plus. La plupart des gens n’auraient rien tenté. Lui s’est mis à vous faire un massage cardiaque. Il s’est acharné au-delà de ce qu’un secouriste aurait fait. Et, par je ne sais quel miracle, votre cœur a redémarré. Je ne connais pas ce type, mais ce n’est pas tous les jours qu’on croise des personnes si dévouées… Il vous a ramenée d’entre les morts. Et le plus étonnant, c’est qu’il ne s’est pas arrêté là, ce bon Samaritain.