Выбрать главу

— Pour ce midi, je te laisse te régaler de l’offrande que tu voulais me faire et ce soir on dînera ensemble.

Grace se hâta, autant que son état le lui permettait, de quitter enfin son appartement afin de prendre un taxi qui la conduisit au commissariat.

Après avoir traversé l’open space et répondu à plusieurs collègues bienveillants qui prenaient de ses nouvelles, Grace se retrouva enfin seule dans son bureau et s’assit sur sa chaise en grimaçant de douleur.

À côté de l’enveloppe qu’elle s’apprêtait à décacheter, on lui avait également déposé The Scotsman. En une, le quotidien, comme sans doute nombre d’autres dans le monde, racontait la folle arrestation du train de la société Olympe à la frontière russe ainsi que la libération de plusieurs orphelins enfermés dans ses wagons. La légende de la photo illustrant l’article émut Grace : « Les vingt-trois enfants âgés de trois à douze ans attendent désormais d’être adoptés pour commencer une nouvelle vie loin de leur ancienne prison. »

Parmi les visages des petits innocents, Grace reconnut immédiatement celui, espiègle, d’Eliza. Et lui vint l’étrange sentiment que c’était elle et elle seule que la fillette regardait. Elle se souvint de l’affection immédiate qu’elle avait éprouvée pour cette enfant et de l’instinct de protection qu’elle avait eu à son égard.

Quelque chose qu’elle n’avait jamais éprouvé se déploya en elle. Comme une lumière se serait mise à irradier d’une porte jadis fermée.

— Non ! dut-elle se dire à voix haute au bout de quelques instants d’une possibilité qu’elle jugea folle et déraisonnée.

Quand tu auras prouvé que tu es capable d’adopter un chat et de t’en occuper, on en reparlera, pensa-t-elle.

Elle poussa le journal et s’empara de l’enveloppe sur laquelle était inscrit : « À l’attention de l’inspectrice Campbell, suite à sa demande d’analyse de support USB // pièces à conviction no 26543#. »

Fébrile et impatiente, elle en sortit la clé rouge et son étui, ainsi que le rapport du service informatique. Qui se résumait à une unique page. Inquiétant.

Le compte rendu très succinct précisait que l’analyse de l’appareil électronique avait été très largement compromise en raison d’une corrosion des circuits et des multiples chocs qui avaient endommagé sa mémoire. L’examen avait permis de constater la présence d’une cinquantaine de clichés pris récemment, mais dont les données graphiques avaient été détruites. Un seul fichier de cette liste avait pu être récupéré et envoyé à Grace sur le réseau interne. Comme les autres, son code binaire et sa résolution permettaient de déduire sa nature inattendue. Des photos satellite…, songea Grace, dubitative.

Ce n’était pas du tout ce qu’elle espérait dénicher sur cette clé ! Elle aurait dû y trouver des documents préjudiciables à tous les associés du Passager et les clients d’Olympe. Des photos, des vidéos, des papiers, des enregistrements audio. C’est cela qu’elle était venue chercher dans ce train de l’enfer !

Que s’était-il passé ? Gabriel lui avait-il menti ? Ce n’est pourtant pas ce qu’il avait l’air de lui dire dans sa lettre. Il s’était trompé ?

Grace reprit la clé USB entre ses doigts et fut soudain saisie d’un flash.

Elle était sur la plate-forme, au moment où elle se jetait à découvert pour tenter d’arracher la pochette des mains du Passager. Sur le moment, dans l’agitation et la panique, elle n’avait pas prêté attention à la sensation de ses doigts lorsqu’elle l’avait saisie. Mais en revivant la scène, c’était une évidence : il y avait deux clés sous le velours noir. Deux clés, mais une seule était tombée. Et apparemment, ce n’était pas celle qui contenait les informations compromettantes ! Une catastrophe.

Effondrée, Grace se raccrocha à une seule idée : que contenait cette clé de si précieux pour être gardée dans le coffre du Passager ?

Elle fut tirée de ses pensées par une agitation anormale qui provenait du hall. Probablement un conducteur trop alcoolisé qui refusait d’entrer en cellule de dégrisement. Bien qu’elle entendît surtout l’agent d’accueil élever la voix, et non les cris habituels d’un ivrogne agressif.

Elle se reconcentra. Sur le point de se connecter à son ordinateur pour ouvrir l’unique fichier qu’on avait pu lui transmettre, elle posa les yeux sur la dernière phrase du rapport : « Enfin, il est à noter que le support USB a pour nom : “Phase 3”. »

Le doigt suspendu au-dessus de la touche « Entrée » de son clavier, Grace répéta tout bas les mots du discours du Passager.

— « Avant de vous révéler la phase 2 du Plan, qui permettra enfin de crier victoire… »

Alors il existait une phase 3 ?

Grace ne savait plus quoi penser. De ce qu’elle avait entendu du projet du Passager et de ses associés, on ne pouvait pas aller plus loin dans la volonté de domination. En quoi pouvait bien consister une étape supérieure ?

Avec une application anxieuse, elle ouvrit le document intitulé « Ph3 – ECM 44 ».

Une photo s’afficha.

Au même moment, le téléphone fixe de Grace sonna. L’appel était interne. Bien trop absorbée par ce qu’elle avait devant les yeux, elle l’ignora, laissant se déclencher son répondeur.

En plein écran venait d’apparaître ce qui ressemblait effectivement à une photo satellite. On y voyait une vaste étendue vallonnée de couleur ocre. Et au centre de ce qui semblait être un désert ou une surface liquide, quatre formes sphériques et grises se rassemblaient autour d’un mât noir.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? souffla Grace.

Elle était incapable de déterminer la nature de ces étranges constructions ou l’endroit où elles se situaient. Et pourtant, il était urgent qu’elle décrypte cette nouvelle énigme si elle voulait retrouver le Passager, lui reprendre les noms de ses collaborateurs et contrecarrer la prochaine étape de son Plan forcément diabolique.

Elle composait à toute vitesse le numéro du responsable du service informatique pour qu’il l’aide à analyser l’image dans ses moindres détails, quand on frappa sèchement à la porte de son bureau.

— Oui ?

L’agent de l’accueil, un homme d’une cinquantaine d’années, l’air sévère, passa sa tête dans l’embrasure.

— Inspectrice, pardonnez-moi de vous déranger, mais quelqu’un insiste… disons très fermement pour vous voir… tout de suite.

Grace connaissait l’officier de garde. Il n’était pas du genre à se laisser intimider et en avait vu de toutes les couleurs depuis qu’il était en poste. Mais pour la première fois, il paraissait ébranlé.

— Qui est-ce ? demanda-t-elle, surprise de le voir si mal à l’aise.

— Une femme. Plus précisément une inspectrice.

— De quel secteur ?

— Elle n’est pas d’ici… Elle vient de… Enfin, il serait préférable que vous acceptiez de la rencontrer. Elle est du genre… froidement insistante.

— Qu’est-ce qu’elle veut exactement ?

— Elle a simplement dit que c’était urgent et que ça n’allait pas vous plaire.

Grace pencha la tête sur le côté, à la fois curieuse et méfiante.

— Quel est son nom ?

L’officier se retourna soudain.

— Hey ! Attendez, vous ne pouvez pas…, cria-t-il.

L’homme fut bousculé en avant.

Apparut dans l’embrasure une femme d’une quarantaine d’années. Grace remarqua immédiatement sa large cicatrice sous l’œil droit et la détermination figée de son regard bleu glacé qui contrastait avec le flamboyant de sa chevelure rousse.

Les deux femmes se jaugèrent sans mot dire. Grace savait qu’elle aurait dû la mettre dehors, mais la présence de cette inconnue était si intense qu’elle en fut troublée.