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Petite silhouette fragile sur le dos du monstre, elle prit le chemin de la sortie. Elle portait un kilt de tissu vert iridescent et des plumes vertes flottaient au-dessus de son casque. La masse de ses longs cheveux blond platine pendait en mèches folles sur le cuir noir de sa cuirasse d’hoplite.

— Lan-dry ! Lan-dry ! scandait inlassablement la foule.

Pour vous, esclaves, violeurs, cannibales, je me suis déchargé. Pour vous. Maintenant, laissez-moi partir.

De petit véhicules d’intervention médicale surgirent du tunnel d’accès et se répandirent dans l’arène pour ramener les corps paralysés. Le verrul de Felice se fit nerveux et elle le tint fermement tout en se dirigeant vers la rampe d’accès du Marteau Vert. Brusquement, il y eut des gens autour d’elle, des assistants, des entraîneurs, des garçons de verrul, des remplaçants et des supporters. Tous, ils braillaient leur admiration, leur affection. Ils se pressaient autour de leur héroïne.

Elle leur accorda un sourire discret, royal. Quelqu’un saisit la bride du verrul et lui présenta un seau.

— Felice ! Felice chérie !

Megowan, son entraîneur, arrivait en courant de la cabine d’observation, tout en haut des gradins. Il n’avait pas lâché ses bandes de plan de jeu qui flottaient derrière lui comme de bizarres serpentins.

— Fantastique, mon amour ! Splendide ! Kaléidoscopique ! Quel feu d’artifice !

— Tiens, Megowan ! dit-elle en se penchant sur sa selle pour lui tendre le fanion. C’est notre premier mais certainement pas le dernier.

Les supporters se bousculaient en criant.

— Tu l’as dit, Felice ! Tu vas leur montrer, ma jolie !

Le verrul fit entendre un grognement menaçant.

Landry, en un geste gracieux, tendit son bras ganté de noir à son entraîneur. Megowan ordonna qu’on amène une plateforme de descente. Des garçons retinrent l’animal tandis que Felice quittait la selle et acceptait la main tendue de son entraîneur.

Adulation-joie-douleur-nausée. Le fardeau. Le désir.

Elle ôta son casque grec avec ses grandes plumes vertes et le tendit à une de ses adoratrices. Un de ses coéquipiers, un énorme garçon qui jouait garde de réserve se laissa emporter par la frénésie du triomphe et il la saisit au vol avant qu’elle ait pu s’écarter.

— Une grosse bise, Landry ! cria-t-il en riant.

La seconde d’après, il allait valser contre la paroi. Felice éclata de rire et ceux qui l’entouraient l’imitèrent après une hésitation à peine perceptible.

— Une autre fois si tu veux, Benny gentil !

Ses grands yeux bruns rencontrèrent le regard de l’athlète et il eut la soudaine impression que quelque chose le serrait à la gorge.

Puis Felice, suivie de son entraîneur et d’une grande partie de la foule, se dirigea vers les vestiaires où les journalistes l’attendaient. Seul le malheureux joueur demeura en arrière, se redressant péniblement, haletant, les membres mous. Un véhicule médical le découvrit quelques minutes plus tard et on l’aida à se relever enfin.

— Nom de Dieu, mon gars !… Et tu n’as même pas joué dans cette partie !

Avec une grimace pitoyable, Benny dut leur dire ce qui s’était passé.

L’assistant médical secoua la tête, stupéfait.

— Ça, on peut dire que tu as été gonflé d’essayer ! Elle est peut-être mignonne, mais je vais te dire que cette petite garce me fait crever de trouille !

Le garde approuva d’un air sombre.

— Tu veux que je te dise ? Ça lui plaît de descendre les gars. Je crois que c’est comme ça qu’elle s’envoie en l’air. Et je pense que ça ne ferait pas de différence pour elle si les pauvres types étaient vraiment morts. Oui, elle est dingue ! Elle est jolie, elle est bourrée de talent, c’est une championne, oui… Mais cette pute est dingue !

Le médic fit une grimace.

— Et alors ? Pourquoi crois-tu qu’une femme jouerait à ce jeu de cinglés ? Allez viens, héros. Je vais te conduire jusqu’à l’infirmerie. On a ce qu’il faut pour te remettre le ventre en place.

Le garde s’installa entre deux joueurs qui ronflaient profondément.

— Dix-sept ans ! grommela-t-il. Est-ce que tu peux imaginer comment elle sera plus tard ?

— Je ne sais pas, mais les gus comme toi ne devraient pas avoir d’imagination. Ça risque de contrarier le plan de jeu.

Le véhicule démarra et suivit le couloir. Tout au bout, des cris et des rires s’élevaient.

Mais au-dehors, dans l’arène, les vivats s’étaient tus.

5.

Elizabeth Orme

— Elizabeth, essaie encore.

De toute la force de son esprit, elle se concentra sur son sens projectif, ou du moins ce qui en restait. Le cœur battant, le souffle court, elle se tendit jusqu’à avoir l’impression de flotter au-dessus du fauteuil.

La plaque était en face d’elle.

BONJOUR. SOURIRE. A VOUS, DOCTEUR KWONG CHUN-MEI. ICI L’EMETTRICE ELIZABETH ORME. SI J’AVAIS LES AILES D’UN ANGE, JE M’ENVOLERAI DE CETTE PRISON. TERMINE.

— Essayez encore une fois.

Elle essaya encore. Deux fois, trois fois. Elle émettait sans cesse le même petit message ironique qu’elle avait elle-même choisi. (Le sens de l’humour n’est-il pas la preuve d’une personnalité intégrée ?)

La porte du cabinet s’ouvrit et Kwong apparut enfin.

— Je suis désolé, Elisabeth, mais je ne reçois pas la moindre trace.

— Pas même le sourire ?

— Navré. Pas encore. Il n’y a aucune image. Rien que le vecteur simple. Ecoutez, mon petit, et si nous arrêtions pour aujourd’hui ? Le contrôle vital est au jaune pour vous. Il faut que vous vous reposiez encore. Vous n’êtes pas totalement guérie. Et vous avez trop forcé, ces jours-ci.

Elizabeth Orme se laissa aller en arrière et porta les mains à ses tempes douloureuses.

— Pourquoi faire semblant, Chun-Mei ? Nous savons que mes chances de retrouver mes fonctions métaphysiques sont proches de zéro. Après l’accident, je m’en suis bien sortie dans la cuve : pas de cicatrices, aucune séquelle… Je suis une femelle humaine en bonne santé, normale, bien équilibrée. Normale, oui. Seulement normale, les amis.

— Elizabeth… (Une trace de pitié apparut dans le regard du docteur.) Il faut tenter votre chance. Vous avez subi une régénération du néo-cortex presque totale. Nous ne parvenons pas à comprendre pourquoi vous n’avez pas retrouvé l’usage de vos méta-fonctions en même temps que vos facultés mentales. Mais avec le temps et beaucoup de pratique, vous y arriverez.

— Cela ne s’est jamais vu dans un cas comme le mien.

— Non, fit Chun-Mei à regret. Mais il nous reste encore un espoir et nous devons encore essayer. Vous êtes toujours l’une des nôtres, Elizabeth. Quel que soit le temps que nous y mettrons, vous redeviendrez opérationnelle. Il faut continuer.

Continuer d’apprendre à une aveugle à voir les trois pleines lunes de Denali. D’apprendre à une sourde à apprécier Bach, à un muet de chanter du Bellini… Oui, oui…

— Chun-Mei, vous êtes un excellent ami, et Dieu sait que vous avez travaillé dur avec moi. Mais est-ce qu’il ne serait pas plus sain pour moi d’accepter cette perte ? Après tout, il suffit de penser aux millions de gens ordinaires qui réussissent leur vie et connaissent le bonheur sans pouvoirs métaphysiques. Il faut simplement que je m’adapte à cette perspective nouvelle.

Effacer le souvenir des ailes d’ange. Se satisfaire de la prison de son cerveau. Oublier la merveilleuse Unité, la synergie, le contact exultant entre deux mondes, la chaleur paisible des âmes, le bonheur d’élever des enfants-métas jusqu’à ce qu’ils soient pleinement opérationnels. Oublier le cher Lawrence… Oh, oui…