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Ils tentèrent de dévier son narcissisme vers la comédie, mais ses compagnons de troupe faillirent le lyncher quand il commença à saboter les représentations par ses farces. On essaya alors de dompter ses dons pour la mécanique. Mais il utilisa les installations et le matériel de l’école pour mettre au point des boîtes noires qui permettaient d’accéder illégalement aux systèmes de crédit de tout le Secteur. On passa alors au conditionnement de privation, à la stimulation métaphysique profonde, à l’électro-choc multiphase, à la narcothérapie et aux religions anciennes.

La méchanceté absolue d’Aiken triompha de tout.

Ainsi, lorsqu’il atteignit son vingt-et-unième anniversaire, ne montrant toujours aucun signe de remords, Aiken Drum se retrouva-t-il devant une option qui allait déterminer son avenir :

En tant que récidiviste notoire, antagoniste de l’ultime harmonie du Milieu Galactique, quel est votre choix ?

a. Incarcération perpétuelle à l’institut Correctionnel de Dalriada.

b. Implantation psycho-chirurgical d’une unité de docilisation.

c. Euthanasie.

— Rien de tout ça, répondit Aiken Drum. Je choisis l’Exil.

7.

Anna-Maria Rocaro

Claude Majewski

Sœur Anna-Maria Rocaro rencontra Claude pour la première fois lorsqu’il amena sa femme mourante à l’Hospice d’Oregon Cascade.

Tous deux étaient vieux, tous deux avaient été exopaléontologues – Claude Majewski s’était spécialisé dans les macrofossiles et Geneviève Logan dans les microfossiles. Ils étaient mariés depuis plus de quatre-vingt-dix ans avec un seul rajeunissement. Ensemble, ils avaient étudié les formes de vie éteintes de plus d’une vingtaine de planètes colonisées par l’humanité. Mais Geneviève s’était dite lassée et elle avait refusé un troisième temps de vie. Claude avait respecté sa décision ainsi qu’il l’avait toujours fait durant leur existence commune. Ils avaient poursuivi leur travail aussi longtemps que possible, puis ils s’étaient retirés pour vivre leurs dernières années dans leur maison de la Côte Pacifique, sur le Continent nord-américain du Vieux Monde.

Jamais, jusqu’au dernier instant, Claude ne pensa à la fin inéluctable. Il se contentait de songer vaguement qu’un moment viendrait où, peut-être au creux de leur sommeil, ils dériveraient tranquillement ensemble. Mais la réalité, bien sûr, fut moins clémente. Claude était de souche paysanne polonaise et son organisme se montra vers la fin bien plus résistant que celui de son épouse afro-américaine. Il lui fallut conduire Geneviève à l’Hospice. C’est là qu’ils furent reçus par Sœur Roccaro. Elle était grande, le visage ouvert et elle prit comme une charge personnelle le réconfort physique et spirituel des deux scientifiques.

Geneviève, affligée d’ostéoporose, à demi paralysée, connut une longue fin, atténuée par une série d’injection. Sa conscience s’estompa et elle ne parut guère se rendre compte des efforts de son époux pour soulager ses derniers instants. Elle ne souffrait pas et, jusqu’au bout, elle ne vécut que dans le sommeil ou dans un demi rêve. Sœur Roccaro s’aperçut que, de plus en plus, elle se consacrait à Claude qui était profondément déprimé par le lent voyage de sa femme vers le terme de sa vie.

A cent trente-trois ans, il était encore vigoureux et elle l’accompagnait souvent en promenade dans les montagnes. Ensemble, ils explorèrent les forêts humides et toujours vertes de la Cascade Range et péchèrent la truite dans les torrents qui dévalaient les pentes du Mont Hood. L’été s’installait et ils prirent des notes sur les fleurs de montagne, sur les oiseaux à chacune de leurs escalades. Au plus chaud de l’après-midi, ils s’asseyaient à l’ombre du mont et restaient là sans rien dire, car Majewski ne voulait pas ou ne pouvait pas exprimer par des mots le chagrin qu’il éprouvait.

Un matin, au début de juillet 2110, Geneviève Logan se mit à décliner rapidement. Claude ne pouvait plus désormais que la toucher, puisqu’elle ne voyait plus, n’entendait plus, ne parlait plus. Lorsque l’unité de contrôle de survie fit apparaître que les fonctions cérébrales avaient cessé, la Sœur dit la Messe du Repos et lui donna l’extrême onction. Ce fut Claude lui-même qui éteignit tous les appareils avant de s’asseoir au chevet de sa femme et de lui tenir sa main décharnée jusqu’au moment où elle devint froide.

Sœur Roccaro, doucement, ferma les paupières brunes de Geneviève et demanda :

— Voulez-vous rester un peu avec elle, Claude ?

Le vieil homme eut un sourire absent.

— Elle n’est plus là, Anny. Voulez-vous venir avec moi, si personne n’a besoin de vous en ce moment ? Il est encore tôt. Je crois que j’aimerais bavarder.

Ils chaussèrent des bottes et prirent le chemin de la montagne. En œuf, il ne leur fallut que quelques minutes pour gagner Cloud Cap. Ils firent l’ascension de l’Aiguille de Cooper par la voie la plus facile et s’arrêtèrent sous le Rocher Noué, à 2 800 mètres. Ils trouvèrent un emplacement confortable et déballèrent leurs provisions. Le glacier Eliot était juste en dessous d’eux. Au nord, par-delà les gorges de la Columbia, se dressaient le Mont Adams et le Mont Rainier, bien plus loin, tous deux couronnés de neige comme le Hood. Vers l’ouest, en aval de la rivière, le cône symétrique du Mont St-Helens crachait une mince colonne de fumée et de vapeur.

— C’est beau, n’est-ce pas ? s’exclama Majewski. Quand nous étions tout gosses, Geneviève et moi, le St-Helens n’était pas en activité. On abattait encore des arbres dans les forêts. Il y avait des barrages sur la Columbia, et les saumons devaient remonter le cours en empruntant les échelles à poissons. La Métropole de Port Oregon s’appelait encore Portland et Fort Vancouver. Il y avait encore du smog et la surpopulation accompagnait le travail. Mais, l’un dans l’autre, la vie était plutôt agréable, même durant cette affreuse période où le St-Helens est entré en éruption. Je crois que c’est tout à fait vers la fin, juste avant l’intervention, quand la techno-économie s’effondrait et que le monde était menacé d’être à court d’énergie que cette région du nord-ouest s’est jointe aux lamentations du reste de la planète.

Il tendit le doigt vers l’est, vers les canyons à sec et les étendues désertiques des hauts-plateaux de lave, au-delà des Cascades.

 »Là-bas, ce sont les gisements fossiles de John Day. C’est là que nous avons fait nos premières fouilles d’étudiants, Ginny et moi. Il y a trente ou quarante millions d’années peut-être, ce désert était une splendide prairie avec des collines boisées. Les mammifères abondaient : des chevaux, des rhinos, des chameaux, des oréodontes. Nous les appelions les gentils monstres. Mais il y avait aussi des chiens géants et des chats à dent-de-sabre. Et puis, un jour, les volcans sont entrés en éruption. Une épaisse couverture de cendres et de débris s’est abattue sur toutes ces plaines de l’est. Les plantes furent ensevelies, les lacs et les torrents empoisonnés. Il y eut des marées pyro-clostiques – une sorte de nuage de gaz, de cendres et de débris de lave qui peut se déplacer à plus de cent cinquante kilomètres à l’heure.

Lentement, Majewski déplia un sandwich et se mit à manger. La nonne restait silencieuse. Elle ôta sa coiffe et s’en servit pour éponger la sueur sur son grand front.