Le cratère avait près de trente kilomètres de diamètre, mais il n’était pas très profond. Il était au centre de l’ulcère brillant qui était apparu dans la terre et les tornades engendrées par l’atmosphère outragée le balayaient sans cesse. Pendant plusieurs jours, les petits planeurs tournèrent autour solennellement, sans se soucier de l’ouragan de boue qui se déchaînait, attendant que les brasiers se refroidissent au sol. Quand la pluie eut fait son œuvre, les planeurs s’éloignèrent pour longtemps.
Ils ne revinrent à la tombe que lorsque leur tâche fut accomplie et y restèrent pour un millier d’années.
2.
La petite ramapithèque était entêtée. Elle était certaine que le petit avait dû se perdre dans l’enchevêtrement du maquis. Son odeur était nette malgré les parfums lourds du thym, de la bruyère et du genêt.
Tout en lançant des appels plaintifs, la ramapithèque se fraya un chemin dans la zone autrefois calcinée, remontant vers le bord. Un vanneau, noir et jaune vif, lança un puitt ! sonore et s’enfuit en traînant l’aile. La ramapithèque savait que cette comédie était destinée à l’éloigner d’un nid sans doute proche. Mais, dans son esprit simple, il n’y avait pas place pour ce genre de proie. Tout ce qu’elle voulait, c’était son petit.
Elle s’échina sur la pente, se servant parfois d’une branche cassée pour repousser les buissons qui contrariaient sa marche. Car elle était capable de se servir d’un tel outil ainsi que de quelques autres. Elle avait le front bas, mais son visage était nettement vertical, avec une mâchoire inférieure plutôt petite, humanoïde. Son corps, qui ne dépassait guère un mètre de hauteur, était légèrement voûté et revêtu, à l’exception du visage et de la paume des mains, d’une courte toison brune.
Elle continuait d’appeler. C’était un message formulé sans paroles que chaque jeune pourrait reconnaître : « C’est Maman. Reviens, elle te protégera et te consolera. »
Comme elle atteignait la crête, le maquis se fit moins dense. Elle surgit enfin à découvert, regarda autour d’elle et émit un gémissement sourd de peur. Elle se trouvait au bord d’un monstrueux bassin qui contenait un lac d’un bleu intense. De part et d’autre, la crête l’encerclait, totalement dénudée de même que la pente abrupte qui dominait le lac.
A vingt mètres environ de l’endroit où elle se trouvait, elle vit un terrible oiseau. Il ressemblait à un gros héron, mais il était aussi haut et élancé qu’un pin. Il avait des ailes, une tête, et une queue qui traînait tristement sur le serf. A partir de son ventre pendait un appendice noueux avec de larges écailles en étages. L’oiseau était dur, il n’était pas fait de chair. Il était posé dans la poussière, encroûté et revêtu de lichen orange, gris et jaune. Sa peau avait dû être autrefois mince, noire et lisse. Tout autour de la cicatrice astrale, de toutes parts, la ramapithèque apercevait maintenant d’autres oiseaux, étrangement espacés, qui tous contemplaient le lac dans les profondeurs »
Elle se préparait à fuir quand elle perçut un son familier.
Elle poussa un bref huhulement. Immédiatement, une minuscule tête apparut à l’envers par l’orifice ventral du grand oiseau. L’enfant se mit à pépier joyeusement. Son appel signifiait : « Bienvenue, maman ! C’est drôle ! Regarde ce qui se passe ! »
Epuisée, terrassée par le soulagement, les pattes ensanglantées à force de briser les épines, la mère eut un grognement de fureur pour son rejeton. Il descendit en hâte l’échelle du planeur et courut précipitamment vers elle. Elle s’en saisit et le serra contre son torse avant de le reposer et de lui lisser les côtés de la tête, à droite puis à gauche, provoquant un babil de protestations.
Pour essayer de l’apaiser, il lui montra la chose qu’il avait trouvée. Cela ressemblait à un grand anneau, mais c’était fait en réalité de deux demi-cercles d’or torsadé, épais comme le doigt, arrondis, gravés de petits sillons sineux semblables à ceux laissés par les limnaires dans les bois marins.
Avec un sourire, le jeune ramapithèque ouvrit à coups de dents deux des torsades, de l’anneau. Les autres extrémités étaient articulées par deux charnières pivotantes qui permettaient aux deux segments de s’ouvrir en plein. L’enfant mit l’anneau autour de son cou, le tordit et le referma. Le torque d’or brillait maintenant sur sa toison brune. Il était bien trop large pour lui mais néanmoins puissant. Souriant toujours, il montra à sa mère ce qu’il pouvait faire.
Elle eut un cri aigu.
L’enfant, surpris, bondit. Il trébucha sur un rocher et tomba en arrière. Avant qu’il soit parvenu à se redresser sa mère était sur lui et arrachait l’anneau si vigoureusement que le métal lui égratigna les oreilles. Douloureusement. Mais la perte qu’il éprouva était bien pire que la douleur. Il fallait qu’il le reprenne !
Sa mère cria encore plus fort que lui lorsqu’il tenta d’arracher le torque. Sa voix résonna sur le lac du cratère. Elle s’empara de la chose et la lança aussi loin qu’elle le pût, dans un épais buisson d’ajoncs épineux. L’enfant se mit alors à gémir, le cœur brisé, mais elle ne perdit pas de temps : elle lui prit le bras et l’entraîna vers la piste qu’elle s’était frayée à travers le maquis en venant.
Bien caché, à peine éraflé, le torque scintillait dans l’ombre tavelée de lumière.
3.
Durant les premières années où l’humanité, quelque peu aidée par ses amis, s’installait sur les mondes habitables des autres systèmes, un professeur de mécanique ondulatoire nommé Théo Guderian découvrit le passage vers l’Exil. Ses travaux, comme ceux de tant d’autres penseurs de l’époque, inorthodoxes mais prometteurs, étaient financés par une libre subvention de l’Administration Humaine du Milieu Galactique.
Guderian vivait sur le Vieux Monde. Parce que la science avait tellement d’autres choses à assimiler en cette période mouvante (et parce que la découverte de Guderian ne semblait promise à aucune application pratique en 2034), la publication de son article définitif ne provoqua que quelques brefs battements d’ailes dans le pigeonnier de la physique cosmologique. Mais, bien que l’indifférence prévalût, il se trouva un petit nombre de chercheurs appartenant aux six autres races unies de la galaxie suffisamment intrigués par les découvertes de Guderian pour lui rendre visite dans sa modeste maison-atelier, non loin de Lyon. Bien que sa santé déclinât, le professeur accueillit ses collègues avec courtoisie et leur déclara qu’il serait honoré de renouveler son expérience devant eux si toutefois ils voulaient bien lui pardonner l’aspect rudimentaire de son montage qu’il avait déménagé dans la cave de la villa après que l’institut s’en soit désintéressé.
Il fallut un certain temps à Madame Guderian pour s’accoutumer à ces exotiques pèlerins venus d’autres étoiles. Il fallait bien, après tout, respecter les convenances sociales en se montrant affable avec ses invités. Mais c’était bien difficile ! Après d’intenses exercices mentaux, elle finit par dominer son aversion à l’égard des grands androgynes Gi et l’on pouvait toujours faire semblant de croire que les Poltroyens étaient des gnomes civilisés. Mais elle ne devait jamais s’habituer aux effrayants Krondaku, ni aux Lylmik semi-visibles. Quant aux Simbiari, moins repoussants, on ne pouvait que déplorer la façon qu’ils avaient de laisser leurs jus vert sur le tapis.
Ceux qui devaient être les derniers visiteurs appelèrent trois jours avant que le professeur ne soit frappé par la maladie. Madame ouvrit la porte et accueillit deux humains mâles des mondes extérieurs (l’un était plutôt ordinaire mais l’autre était énorme au point d’en être inquiétant), un petit Poltroyen affable qui portait la robe chatoyante de Plein Eclaircisseur, un Gi de deux mètres et demi de haut (fort heureusement habillé) et, Sainte Vierge ! rien moins que trois Simbiari !