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» Oui, voyageurs, ce n’est pas un pays très agréable ! En tout cas, pas l’Eden dont ils ont dû vous parler en 2110. Mais aussi longtemps que vous resterez dans la caravane, vous n’aurez pas de souci à vous faire. Vous allez monter ces créatures que vous avez vues dans l’enclos. Ce sont des chalicothères, des parents lointains du cheval. On les appelle des chalikos. Ils sont intelligents et ils aiment les êtres humains. Avec leurs griffes, ils savent se défendre. Soyez gentils avec eux. Ils sont tout à la fois votre monture et votre garde du corps…

» Maintenant, au cas où vous auriez l’intention de vous écarter dans la forêt, laissez tomber. Ces torques que nous portons, nous autres soldats, nous permettent de contrôler les chalikos. C’est nous qui vous guiderons. Et nous avons aussi des amphicyons bien dressés comme escorte. Ces gros chiens-ours savent qu’ils peuvent croquer le premier d’entre vous qui s’écartera de la caravane. Alors, du calme, et nous ferons bon voyage.

» Bon ! Maintenant, je voudrais que vous rassembliez vos bagages. Vous pouvez mettre vos affaires dans les fontes ou les attacher derrière le pommeau de la selle. Je sais que deux d’entre vous ont des animaux familiers. Pour eux, nous avons prévu des paniers de bât. Pour la chèvre pleine, elle devra attendre encore une semaine la caravane de ravitaillement. La plus grande partie des armes et des outils interdits qui vous ont été confisqués à votre arrivée seront chargés sur les animaux de bât avec les bagages encombrants. Si vous le méritez, ils vous seront rendus éventuellement plus tard.

» Tout est bien clair ? Parfait. Je veux que vous soyez tous alignés ici, deux par deux, prêts à monter en selle, d’ici à une demi-heure. Quand la cloche sonnera, il vous restera cinq minutes, sinon gare à votre cul. Ce sera tout !

Il pivota sur ses talons et s’éloigna avec son escouade sans même se donner la peine de refermer la porte de l’enceinte.

En murmurant, les prisonniers regagnèrent le dortoir pour rassembler leurs affaires. Claude se dit que ce voyage de nuit ne visait qu’à les démoraliser et à étouffer tout projet de fuite, autant que la description spectaculaire de la faune du Pliocène. Des araignées grosses comme des pêches… Pourquoi pas le Rat Géant de Sumatra ? D’un autre côté, les amphicyons représentaient une menace bien réelle. Il se demanda quelle vitesse ils pouvaient atteindre avec leurs pattes de digitigrades primitifs. Quant à ces affreux Firvulag… Que diable étaient-ils donc ?

Un autre groupe de prisonniers encadré de gardes venait de passer la poterne. Des palefreniers choisirent six montures déjà sellées et les ramenèrent vers la plate-forme de monte. Claude aperçut alors une mince silhouette en lamé or que l’on aidait à grimper en selle. Et, immédiatement derrière, une autre, tout aussi familière, en combinaison écarlate. Et plus loin une troisième —

— Aiken ! lança le vieil homme. Elizabeth ! C’est moi, Claude !

La silhouette écarlate se tourna vers le chef des gardes et l’apostropha. Le ton devint très vif, jusqu’au moment où Elizabeth, ayant eu apparemment gain de cause, quitta le groupe et traversa rapidement la cour, accompagnée par un haussement d’épaules résigné du garde. Elle ouvrit la porte de l’enclos et se jeta dans les bras de Claude.

— Embrassez-moi ! souffla-t-elle d’une voix haletante. Vous êtes censé être mon amant.

Il la pressa contre lui sous le regard intéressé du garde qui l’avait suivie.

— Ils nous emmènent à la capitale, Muriah, dit Elizabeth. Mes pouvoirs métas sont revenus, Claude ! Je vais faire tout mon possible pour m’enfuir. Si j’y parviens, j’essaierai de vous aider.

— Ça suffit, maintenant, Ma Dame, dit le soldat. Je n’ai pas à tenir compte de ce que le Seigneur Creyn a pu vous dire. Il faut vous apprêter à partir.

— Au revoir, Claude.

Elle lui donna un vrai baiser avant que le garde ne l’entraîne vers une monture. Lorsqu’elle fut en selle, un soldat attacha les fines chaînes de bronze à ses chevilles.

Claude leva la main.

— Au revoir, Elizabeth.

Une silhouette majestueuse apparut alors au fond de l’enclos, chevauchant un chaliko d’un blanc immaculé, sellé et bridé de rouge et d’argent. Le captal salua et se mit à son tour en selle, imité par deux soldats.

— En avant ! Ouvrez la herse !

Lentement, les dix cavaliers s’engagèrent sous l’arcade de la barbacane. Dans le lointain, les chiens-ours poussèrent des grognements d’excitation. Le dernier prisonnier de la colonne se retourna et agita la main à l’adresse de Claude avant de disparaître dans l’ombre.

Au revoir, Bryan, pensa le vieil homme. Au revoir. J’espère que tu retrouveras ta Mercy. Où qu’elle soit. Un jour.

Il retourna au dortoir pour s’occuper de Richard. Il se sentait vieux, très las, et pas du tout content de lui.

7.

Dès qu’ils eurent quitté le Château de la Porte, ils chevauchèrent deux par deux. Creyn et son captal allaient en tête, tandis que les soldats suivaient les prisonniers. Le soleil venait à peine de se coucher. Dans le soir, ils se dirigeaient vers l’est, suivant la pente du plateau qui descendait vers le confluent du Rhône et de la Saône.

Elizabeth se tenait bien en selle, les yeux clos, les mains serrées sur le pommeau, laissant les rênes lâches. Par bonheur, le chaliko n’avait pas besoin d’être guidé, car sa cavalière, pour l’heure, ne se consacrait qu’à l’écoute…

Elle écoutait… mais elle n’entendait pas le bruit sourd des griffes des montures dans la terre tendre, les criquets qui stridulaient dans l’ombre et les coassements des grenouilles dans les marais envahis de brume.

N’écoute pas les oiseaux à l’approche de la nuit, les appels des hyænidés qui commencent leur chasse, les murmures de tes compagnons de captivité. Ferme tes oreilles et ne garde que ton esprit ouvert, sers-toi de tes facultés retrouvées, sonde, entends…

Plus loin, encore plus loin. Cherche d’autres esprits pareils au tien, d’autres émetteurs, d’autres vrais humains, oh ! plaise à Dieu ! (Honte sur toi, arrogante convalescente ! Mais qu’il te soit pardonné, pour une fois et une seule…)

Ecoute, écoute ! Les ultra-sens de celle qui vient de renaître ne sont pas tous encore totalement éveillés et opérants, mais, pourtant, elle entend des choses. Tout près, dans la troupe : la conscience exotique de Creyn. Il parle avec son captal, Zdenko, à l’esprit obscur. Tous deux sont protégés par un écran généré par leur torque. On peut le franchir aisément mais… prudence, car ils pourraient sentir la pénétration de ton esprit… Voici Aiken, et tous les autres prisonniers à torque d’argent, l’homme appelé Raimo, et la femme, Sukey, et leurs balbutiements psychiques aussi douloureux que les crissements du violoniste débutant. Passe au large des gardes et du pauvre Stein inconscient et de Bryan, avec son cerveau qui n’est plus enchaîné que par les liens qu’il s’est lui-même forgés. Laisse les tous, va plus loin, très loin.