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— Il faut que ce soit réel, dit Lamballe. Ceci est la France, ne l’oubliez pas. Ces chevaux ont été spécialement dressés pour leur intelligence et leur docilité.

En l’honneur du joli mai, la fiancée, la Princesse Bonne, était vêtue de soit vert malachite, de même que toute sa suite. Les jeunes filles nobles portaient la coiffe bizarre du début du quinzième siècle : des rubans d’or ornementés entretissés de joyaux qui étaient posés sur leurs cheveux nattés et leur faisaient comme des oreilles de chat. Le crêpage de la Princesse était encore plus extravagant, pareil à deux longues cornes dorées qui saillaient de ses tempes, avec un voile de baptiste blanc drapé autour des fils d’or.

— Envoyez les filles-fleurs, dit Gaston, de l’autre côté de la salle de contrôle.

Mercy Lamballe était assise, immobile, fascinée par l’image scintillante. L’antenne de son corset faisait paraître la coiffure médiévale de la princesse qui quittait le château presque banale en comparaison.

— Mercy, lui rappela doucement le réalisateur. Les filles-fleurs.

Lentement, elle tendit la main et sélectionna le canal pilote.

A nouveau, les trompettes sonnèrent et la foule des paysans-touristes poussa des Ooh ! Des dizaines de petites filles à fossettes, en robes courtes roses et blanches accoururent depuis les vergers, portant des corbeilles de fleurs de pommier. Elles se dispersèrent tout au long du chemin, devant la procession ducale et lancèrent leurs fleurs pendant que trombones et flageolets entamaient un air guilleret. Des jongleurs, des acrobates ainsi qu’un ours danseur se joignirent à l’assemblée. La Princesse adressa des baisers à la foule et le Duc distribua quelques pièces.

— Lancez les courtisans, dit Gaston.

La femme demeura immobile devant sa console de contrôle. Bryan Grenfell vit briller des gouttes de sueur sur son front et dans les boucles de ses cheveux auburn. Elle avait les lèvres serrées.

— Mercy, que se passe-t-il ? murmura-t-il. Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Rien. (Elle avait la voix rauque, tendue.) C’est parti pour les courtisans, Gaston.

Trois jeunes gens, également vêtus de vert, surgirent en courant des bois et se portèrent au-devant de la procession des nobles, les bras chargés de branches feuillues. En riant, les dames en firent alors des tresses dont elles ceignirent les chevaliers de leur choix. Les hommes leur retournèrent le compliment en leur offrant des chapelets de friandises et tous reprirent leur chemin vers la prairie où les attendait le mât de mai. Entre-temps, pilotés par Mercy, des filles aux pieds nus et des garçons souriants distribuaient force fleurs et feuilles à l’assemblée à peine moins fière tout en criant : « Vert ! Vert pour le mai ! »

A la seconde précise, le pilote lança le Duc et sa suite qui entonnèrent, accompagnés par les flûtes :

C’est le mai, c’est le mai C’est le joli mois de mai ![2]

— Encore une fois, ils ne sont pas dans le ton ! dit Gaston d’une voix exaspérée. Lance les voix d’appoint, Mercy. Ajoute aussi l’alouette et quelques papillons jaunes. (Il appuya sur la touche d’intervention du canal pilote.) Eh, Minou ! Fais-moi dégager ce crétin devant le cheval du Duc. Et surveille aussi le gosse en rouge. On dirait qu’il veut arracher les clochettes du baudrier du Prince.

Comme on lui en avait donné l’ordre, Mercédès Lamballe lança les voix auxiliaires. La foule tout entière se joignit au chant qu’elle avait répété depuis le Couronnement de Charlemagne. Mercy emplit les vergers fleuris de chants d’oiseaux et déclencha les signaux qui libéraient les papillons de leurs cages secrètes. Puis, sans faire la moindre pause, elle envoya une brise parfumée qui vint rafraîchir les touristes d’Aquitaine, de Neustrie, de Blois, de Foix et de toutes les autres planètes « françaises » du Milieu Galactique qui étaient venus apprécier les fastes de l’Auvergne ancienne en même temps que des centaines de Francophiles et de médiévalistes accourus de tous les mondes.

— Ils doivent commencer à avoir chaud, Bry, fit remarquer Mercy Lamballe. Une petite brise va le rendre plus heureux.

Bryan se détendit un peu : elle avait un ton plus normal, tout à coup.

— Oui, je pense qu’il y a des limites aux inconvénients qu’ils acceptent de supporter pour plonger dans les grandes reconstitutions culturelles.

— Nous reproduisons le passé tel que nous l’aurions aimé, dit Mercy. Rien à voir avec les réalités de la France médiévale.

— Nous avons des traînards, Mercy.

Gaston pianota sur le panneau de contrôle les notes préliminaires de la chorégraphie du cortège de mai.

— Dans cette bande, j’aperçois deux ou trois exotiques. Sûrement ces ethnologues comparativistes du monde de Krondak à propos desquels on nous a mis en garde. Il vaut mieux amener un troubadour pour les distraire jusqu’à ce qu’ils se joignent au groupe principal. Ces pompiers sont gentils de nous avoir rendu visite, mais il ne faut pas les laisser s’ennuyer au fond de la salle, sinon ils sont bien capables de nous assaisonner dans leur rapport.

— Certains parmi nous restent objectifs, fit doucement Grenfell.

Le réalisateur renifla.

— Ouais… On voit que ce n’est pas vous qui vous trimballez dans le crottin de cheval en tenue de carnaval, avec un soleil à crever, une demi-dose d’oxygène subjectif et une double pesanteur subjective ! Mercy ? Bon Dieu, mon petit, est-ce que vous allez encore craquer ?

Bryan se leva et s’approcha d’elle, l’air inquiet.

— Gaston, vous ne voyez pas qu’elle est mal ?

— Non, ça va ! lança Mercy. Ça ira mieux d’ici une ou deux minutes. Troubadour lancé, Gaston.

L’écran de contrôle zooma sur un chanteur qui faisait une révérence devant le petit peloton d’attardés, pinçait une corde de son luth et les dirigeait adroitement vers le lieu de rassemblement, autour du mât de mai, tout en les régalant d’une chanson. C’était un ténor dont la voix colorée emplit tout à coup la salle de contrôle. Il chanta d’abord en Français, puis en Anglais Standard de l’Administration Humaine du Milieu Galactique pour tous ceux qui ignoraient les langues archaïques.

Le temps a laissé son manteau De vent, de froidure et de pluie, Et s’est vestu de broderie De soleil luisant-cler et beau.

Ce fut une véritable tourterelle qui donna le coda à la chanson du ménestrel. Mercy baissa la tête et des larmes tombèrent sur la console, devant elle. Cette maudite chanson. Et ce maudit printemps d’Auvergne. Avec ses fausses alouettes, ses papillons rétroévolués, ses prairies manucurées et ses vergers grouillants de gens heureux accourus de toutes ces planètes lointaines où l’existence était si rude mais où l’on ne trouvait pas tous ces inadaptés sociaux qui étaient comme autant d’accrocs dans la grande tapisserie du Milieu Galactique.

Des inadaptés comme Mercy Lamballe.

— Mille regrets, les gars, dit-elle avec un triste sourire, en se tapotant les yeux avec un mouchoir. Une mauvaise phase de la lune, je pense. Ou ce vieux tempérament celte. Bry, je crois que tu es tombé pile sur la mauvaise journée pour visiter cet endroit de dingues. Navrée.

— Les Celtes sont tous fous à lier, dit Gaston avec son habituelle gentillesse désinvolte. Dans la Cavalcade du Roi Soleil, j’ai un ingénieur breton qui m’a raconté qu’il ne peut tourner que sur un mégalithe. Allez, chérie. Que le spectacle continue.

Sur les écrans, les danseurs entrelaçaient leurs rubans et pivotaient en des figures compliquées autour du mât de mai. Le Duc de Berry et les autres acteurs de sa suite avaient autorisé quelques touristes particulièrement excités à venir admirer les joyaux absolument authentiques qui décoraient leurs costumes. Dans le pépiement des flûtes et les plaintes de cornemuse, les colporteurs distribuaient vins et confits, les bergers laissaient les badauds caresser leurs agneaux et le soleil riait sur toute cette scène. Tout était pour le mieux dans la doulce France de l’an 1410 A.D., et il en serait encore ainsi pour six heures, jusqu’au festin qui clôturerait le tournoi.

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En français dans le texte. (N.D.T.)