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— Jésus ! Claude, j’ai bien l’impression que quelqu’un m’a avalé et ruminé pendant des jours… Bon Dieu, où est-ce qu’on est ? Et sur quoi je suis ?

— Nous avons quitté le château il y a quatre heures environ. Nous faisons route vers le nord, en remontant le cours de la Saône. Pour autant que je puisse en juger, vous chevauchez un très beau spécimen de chalicotherium goldfussi, que les indigènes appellent un chaliko, et non pas un calicot. Ces bêtes doivent maintenir une bonne allure sur ce plateau, disons quinze, seize kilomètres à l’heure. Mais nous avons perdu du temps en traversant plusieurs ruisseaux pour contourner un étang. Donc, nous ne devons pas être à plus de trente kilomètres de Lyon. Du moins de l’endroit où sera Lyon.

Richard poussa un juron.

— Et nous allons où, nom de Dieu ?

— Nous nous rendons dans une métropole du Pliocène appelée Finah. D’après ce qu’ils ont bien voulu nous dire, elle se trouve au bord du proto-Rhin, à peu près à l’emplacement de Fribourg. Nous y serons dans six jours.

Richard but un peu d’eau et s’aperçut qu’il avait en fait très soif. Il ne se souvenait de rien, si ce n’est du sourire accueillant d’Epone à l’instant où il la suivait dans la chambre éblouissante, là-bas, au château.

Il essaya d’organiser ses pensées, mais il se retrouva perdu dans des bribes de rêves où son frère et sa sœur le faisaient presser parce que, semblait-il, il allait être en retard à l’école. Et il serait puni pour ça, il devrait errer pour toujours dans les limbes gris à la recherche d’une planète perdue sur laquelle Epone l’attendait.

— Qu’est-ce qui m’est arrivé ? demanda-t-il au bout d’un instant.

— Nous n’en sommes pas certains, dit Claude d’un ton rassurant. Mais vous savez en tout cas que nous avons rencontré des exotiques, au château ?

— Je me rappelle une très grande femme. Je crois qu’elle m’a fait quelque chose.

— J’ignore quoi, mais vous avez été sans connaissance durant quatre heures. Anna-Maria vous a à moitié réanimé pour que vous puissiez partir en même temps que nous. Nous avons pensé que vous auriez préféré ne pas rester en arrière.

— Seigneur, non !

Richard but encore deux gorgées d’eau, se laissa aller en arrière et contempla le ciel en silence durant un très long moment. Il y avait un sacré paquet d’étoiles, se dit-il, ainsi que des traces de clarté perlée et nuageuse près du zénith. La caravane s’engageait sur une longue pente à flanc de colline et il vit que lui et le vieil homme se trouvaient presque en queue. A présent que sa vision était presque redevenue normale, il discernait d’autres formes qui couraient sur les flancs de la colonne avec une allure maladroite.

— Qu’est-ce que c’est que ça, bon sang ?

— La horde des amphicyons. Il y a également cinq soldats pour nous garder, mais ils n’ont même pas à se donner cette peine. Deux d’entre eux ferment l’escorte, quant aux trois autres, ils sont en tête, avec la Grande Dame.

— Qui ça ?

— Epone elle-même. Elle vient de Finiah. Il semble que ces exotiques, qui se donnent le nom de Tanu, à propos, ont installé des colonies très dispersées, chacune avec son propre centre urbain et de nombreuses plantations alentour. J’ai dans l’idée que les humains doivent leur servir d’esclaves ou de serfs, à l’exception de certains privilégiés très exceptionnels. Il est évident que chaque cité Tanu collecte à son tour les nouveaux arrivants du Château de la Porte, moins les éléments spéciaux qui sont emmenés jusqu’à la capitale et les malchanceux qui sont tués en tentant de fuir.

— Je suppose que nous ne faisons pas partie des éléments spéciaux…

— Non, nous sommes le tout-venant… Anna-Maria et Felice sont ici, dans la caravane. Mais les quatre autres Verts ont été sélectionnés. Ils vont vers le sud. Ils ont tiré la bonne carte. On dirait bien que le Groupe Vert s’est distingué. Apparemment, il est rare d’avoir autant d’« éléments spéciaux ». Dans tout le contingent de la semaine, il n’y a eu que deux autres arrivants retenus pour la capitale.

Le vieux paléontologue continua de raconter à Richard tout ce qu’il savait des événements de la journée et du destin probable d’Aiken, d’Elizabeth, de Bryan et de Stein. Il lui fit aussi un résumé du discours de Waldemar et évoqua sombrement ce qui pouvait attendre les femmes de leur groupe.

Le navigateur risqua quelques questions, puis se tut. Us allaient emmener la nonne dans un de leurs harems exotiques… quel malheur ! Elle avait été plutôt gentille avec lui. D’un autre côté, ce beau glaçon d’Elizabeth avait peut-être besoin d’une bonne leçon… Quant à cette petite putain sournoise, Felice !… Il avait suffi d’une petite proposition, là-bas, à l’auberge, pour qu’elle l’envoie se faire fiche comme un malpropre… Sale petite allumeuse ! Elle allait voir. Il espérait bien que les exotiques avaient des goupillons gros comme des battes de base-bail. Peut-être qu’ils feraient d’elle une vraie femme…

La caravane descendait toujours lentement la pente, s’orientant un peu plus au nord-est. La rivière n’était plus loin. Le feu, au loin, leur servait apparemment de repère. Claude lui avait dit que ces feux avaient jalonné leur route depuis le départ du château, tous les deux kilomètres. Un détachement devait précéder la caravane et n’allumer les feux déjà préparés que s’il n’y avait aucun signe de danger.

— Je crois que j’aperçois un bâtiment, dit Claude. C’est peut-être là que nous allons nous arrêter.

Richard l’espérait fermement car il avait beaucoup trop bu d’eau.

En avant de la colonne, une trompe résonna sur trois tons. Le signal se répercuta en écho dans le lointain. Après quelques minutes, une dizaine de points ardents apparurent aux alentours du brasier, au bas de la colline, et s’approchèrent en sinuant : des cavaliers arrivaient vers eux, brandissant des torches.

Lorsque les deux partis eurent fait jonction, Claude et Richard purent voir que le dernier foyer brûlait à l’extérieur d’une enceinte murée qui évoquait les forts des plaines américaines. Elle avait été érigée sur un surplomb qui dominait un cours d’eau encombré d’arbres qui devait être un affluent de la Saône. La colonne fit halte tandis que Dame Epone et Waldemar se portaient au devant de l’escorte. A la lueur des torches, Richard ne put s’empêcher d’admirer la grande femme Tanu. Elle chevauchait un chalicothère blanc d’une taille exceptionnelle et portait une cape bleu sombre à capuche qui flottait derrière elle dans la nuit.

Après une brève concertation, deux des soldats du fort s’écartèrent et rassemblèrent les amphicyons. Les chiens-ours se rangèrent sur le bord de la piste tandis que les autres membres de l’escorte s’alignaient le long de la caravane pour les derniers mètres du voyage. Une porte s’ouvrit dans la clôture et ils entrèrent, deux par deux. Puis, selon un usage qui devait leur devenir familier, les prisonniers virent que l’on attachait leurs montures devant des auges emplies de nourriture et d’eau tandis qu’on plaçait à leur gauche un marchepied de démonte. Les soldats s’approchèrent alors, ôtèrent leurs chaînes d’étriers et, un à un, les voyageurs se rassemblèrent, les muscles endoloris, devant le captal Waldemar.

— Ecoutez-moi, voyageurs ! Nous allons nous reposer pendant une heure, puis nous reprendrons la route pour huit heures, jusqu’au petit matin. (Des grognements s’élevèrent.) Les latrines sont dans le petit bâtiment qui se trouve derrière vous. Vous pourrez manger et boire dans celui d’à côté, le plus grand. Que ceux qui sont malades ou qui ont des réclamations à faire viennent me voir. Soyez tous prêts à remonter en selle à l’appel de la trompe. Et que personne ne pénètre dans l’espace délimité par la barre d’attache. C’est tout !