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Epone était restée en selle. Elle guida habilement sa monture au sein du groupe et se pencha sur Richard.

— Je suis heureuse de constater que vous vous êtes rétabli, dit-elle.

Il la regarda d’un air perplexe.

— Je suis en pleine forme. Ça fait plaisir de voir qu’au moins vous vous inquiétez de la santé du cheptel.

Elle rejeta la tête en arrière et partit d’un grand rire mélodieux qui évoquait les accords profonds d’une harpe. Une boucle de cheveux brilla dans la lueur des torches.

— C’est vraiment dommage. Vous avez de l’esprit.

Elle s’éloigna et des hommes en blanc au visage obséquieux surgirent de l’ombre pour l’aider à descendre de selle.

— Que voulait-elle ? demanda Anna-Maria, qui venait de s’approcher en compagnie de Felice.

— Merde ! Comment voulez-vous que je le sache ? s’emporta Richard avant de s’éloigner en direction des latrines.

Felice le suivit du regard.

— Tous tes patients sont-ils aussi reconnaissants ?

— Je crois qu’il va mieux, dit la nonne en riant. Quand ils vous mordent, c’est bon signe.

— Pauvre chiffe molle !

— Je pense que tu es injuste, dit Anna-Maria.

Mais Felice, avec une moue de mépris, se dirigea vers le réfectoire. Quelques instants après, alors que les deux femmes, en compagnie de Claude, prenaient une collation de viande froide, de fromage et de pain de maïs, Richard vint à leur table et s’excusa.

— Oublions ça, dit Anna-Maria. Asseyez-vous avec nous. Il faut que nous vous parlions.

— Ah, oui ?

— Felice a un plan d’évasion, dit Claude à voix basse. Mais il pose quelques problèmes.

— Sans blague ? fit le pirate en pouffant de rire.

Felice lui prit la main et la serra nerveusement. Il la regarda, les yeux écarquillés, les lèvres brusquement serrées.

— Moins fort, lui dit-elle. Le problème, ce n’est pas l’évasion, mais après. Ils nous ont pris nos cartes et nos boussoles. Claude connaît cette partie de l’Europe. Il l’a étudiée en paléontologie il y a plus de cent ans, mais ça ne nous aidera guère si nous sommes dans l’impossibilité de nous orienter. Pouvez-vous nous aider, vous ? Est-ce que vous vous souvenez de cette carte de la France au Pliocène que nous avons vue à l’auberge ?

Elle libéra sa main et Richard, un instant, contempla ses doigts blancs avant de lui décocher un regard furieux.

— Mais non, bon Dieu ! Je pensais que nous aurions tout notre temps après. J’ai amené une boussole à compensation, un sextant à computeur et toutes les cartes qu’il me fallait. Mais je suppose qu’ils ont tout confisqué, bien sûr… Le seul itinéraire dont je me préoccupais allait vers l’ouest : l’Atlantique… Bordeaux.

Felice émit un grognement de dépit. Mais Claude insista, toujours du même ton tranquille :

— Nous savons que vous devez avoir une certaine expérience en navigation. Il doit bien exister un moyen de nous orienter, non ? Vous pourriez localiser l’Etoile polaire, par exemple ? Ça nous serait utile.

— Autant qu’une frégate de la Flotte Aérienne, grommela Richard. Ou que Robin des Bois et ses joyeux compagnons.

Felice tendit à nouveau la main et il recula brusquement.

— Richard, dit-elle, est-ce que vous pouvez faire au moins cela ? Ou bien ces galons que je vois sur vos manches ne vous ont-ils été donnés que pour bonne conduite ?

— Ecoutez, ma jolie, ça n’est pas ma planète natale ! Et ces nuages qui brillent ne vont pas me faciliter le boulot.

— Beaucoup de volcanisme, expliqua Claude, et de la poussière dans l’atmosphère supérieure. Mais la lune est couchée, à présent, et il n’y a aucun nuage ordinaire. Est-ce que vous pensez que vous pourriez faire le point entre deux passages luminescents ?

— Ça se pourrait… Mais nom de Dieu, je voudrais bien savoir pourquoi… Est-ce que vous pourriez me dire où est passée ma tenue de pirate, vous ? Et qui m’a remis ma combinaison ?

— C’est tout ce que vous aviez, dit Felice avec gentillesse, et vous en aviez besoin. Vraiment besoin. Nous étions obligés de le faire. Vous êtes notre ami et il fallait vous venir en aide, c’est tout.

— Vous avez dû vous battre, là-bas, au château, s’empressa d’ajouter Claude. Je vous ai seulement lavé un peu. De même que vos vêtements. Ils sont accrochés à l’arrière de votre selle. Je pense qu’ils doivent être secs, à présent.

Richard eut un regard soupçonneux à l’adresse de Felice qui souriait avant de remercier le vieil homme. Mais quoi ? Une bagarre ? Il s’était battu, là-bas ? Et qui donc l’avait regardé de cet air méprisant, hautain ? Une femme aux yeux immenses dans lesquels il s’était noyé. Ce n’était certainement pas Felice…

— Si vous vous en sentez capable et si vous en avez la force, dit Anna-Maria, essayez de trouver l’Etoile polaire. Nous n’avons plus qu’une nuit à marcher vers le nord. Ensuite, nous bifurquerons, et nous voyagerons de jour. Richard, c’est tellement important…

— D’accord, d’accord… Mais je suppose que des vers de Terre comme vous ignorent la latitude de Lyon.

— A peu près quarante-cinq degrés nord, dit Claude. Ce qui doit correspondre en gros à la maison où je suis né, dans l’Oregon. Du moins si je me rappelle bien l’aspect du ciel pendant que nous séjournions à l’auberge. Quel dommage que Stein ne soit pas là. Il doit savoir, lui.

— Bon, à l’estimé, ça devrait aller, dit Richard.

Ils entendirent alors l’appel d’une trompe. Anna-Maria redressa la tête.

— On dirait que nous repartons, compagnons. Bonne chance, Richard.

— Mille mercis, ma bonne sœur. Si nous suivons le plan d’évasion de votre petite camarade, je pense que je vais en avoir besoin.

Ils traversaient la nuit, guidés par les brasiers, suivant la pente du plateau, la vallée sur leur droite et les feux de rubis lointains des volcans de Limagne à l’horizon du sud-ouest. Les constellations qu’ils voyaient dans le ciel leur étaient absolument étrangères. Pourtant, la plupart des étoiles étaient celles-là mêmes qu’ils avaient vu au XXIIe siècle, dans d’autres dispositions. Et il y en avait tant d’autres qui brillaient dans la voûte stellaire du Pliocène et qui seraient éteintes avant l’âge du Milieu Galactique. D’autres aussi que les êtres du Milieu observeraient en leur temps et qui étaient encore en train de naître dans leurs obscures matrices de poussière stellaire.

Richard observait le ciel avec nonchalance. Il avait connu tant de constellations diverses. Avec un peu de temps et un point d’observation fixe, il repérerait facilement l’Etoile polaire de cette Terre, même à l’œil nu. Mais il était à cheval sur une grosse bête qui trottait, et là, ça devenait un peu plus ardu.

Voyons. Si le vieux gratteur de fossiles ne se trompait pas à propos de leur latitude, et si leur route allait bien droit au nord, en tenant compte de la configuration du pays, alors la Polaire devait se trouver juste à mi-distance entre l’horizon et le zénith, dans… oui.

Au fort, il avait ramassé deux brindilles dans la litière et il les avait ensuite attachées en croix avec un poil de son chaliko. Chaque brindille était longue comme deux fois la main et il espérait que son champ d’observation ne serait pas trop réduit.

Il changea de position sur sa selle afin de limiter au maximum le balancement et mémorisa les constellations qui devaient être proches du pôle. Puis il leva lentement son viseur improvisé à bout de bras et aligna l’axe vertical sur la piste, droit devant. Repère : les oreilles de son chaliko. Il centra sur une étoile qu’il avait choisie. Il nota soigneusement la position de cinq autres étoiles de première grandeur qui se trouvaient dans le viseur et se détendit. Dans trois heures, lorsque la rotation planétaire aurait changé la position de ces six étoiles, il ferait un nouveau relevé. Sa mémoire quasi-photographique lui donnerait l’écart angulaire et, avec un peu de chance, il trouverait le pivot céleste imaginaire autour duquel tournaient les étoiles. Le pôle. Il se pourrait ou non qu’il y ait une étoile correspondante que l’on puisse considérer comme la Polaire du Pliocène.