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— Pardonnez-moi. J’avais complètement oublié que vous ne portiez pas de torque. Le rafraîchissement mental dont vos compagnons ont bénéficié ne vous a été d’aucun secours. Si vous le souhaitez, nous pouvons —

— Non, je vous remercie !

Creyn s’approcha d’eux à cet instant avec un sourire ironique.

— Bryan préfère accomplir sa tâche sans le secours d’un torque, dit-il. En fait… c’est la condition même de sa coopération.

— Inutile de me contraindre, dit Bryan.

— Ne vous méprenez pas !

Bormol avait soudain l’air peiné. Il montra la foule bigarrée, les Tanu mêlés aux prisonniers dans une ambiance évidente de chaude camaraderie.

— Contraindre ? Mais quelqu’un contraint-il vos compagnons à quoi que ce soit ? Le torque n’est pas un symbole d’esclavage mais d’union.

Bryan sentit monter en lui une vague de colère et de lassitude amère. Mais sa voix resta calme.

— Je sais parfaitement que vos intentions sont bonnes. Mais nombreux sont les humains, et certains, dans notre monde du futur, diraient la plupart des membres normaux de l’humanité, qui préféreraient mourir plutôt que se soumettre à votre torque. Malgré tout le réconfort qu’il peut apporter. Et à présent, si vous voulez bien m’excuser… Je suis désolé de vous décevoir, mais je ne suis vraiment pas prêt à une conférence. En fait, j’aimerais bien aller me coucher.

Bormol inclina simplement la tête. Un serviteur humain apparut à cet instant avec le sac de Bryan.

— Nous nous reverrons dans la capitale. Mais, Bryan, j’espère que vous aurez modéré quelque peu votre opinion sévère à notre égard… Je vous présente Joe-Don. Il va vous conduire à votre chambre. Reposez-vous bien.

Creyn et Bormol prirent congé. La cour était à présent presque déserte.

— Par ici, Monsieur, dit Joe-Don sur le ton d’un maître d’hôtel. La chambre est prête. Mais quel dommage que vous manquiez la soirée.

Bryan le suivit au long de couloirs décorés en bleu, blanc et or. Il entrevit brièvement Stein, que l’on emportait sur une civière.

— S’il existe un docteur dans cette maison, dit Bryan, je crois qu’il devrait examiner cet homme. Le pauvre type a été durement touché, aussi bien physiquement que mentalement.

— Ne vous inquiétez pas, Monsieur. Dame Damone, la compagne de Bormol, a plus de connaissances en médecine que Creyn lui-même. Vous savez, nous accueillons beaucoup de malades ici, mais la plupart se remettent très bien. Les Tanu n’ont pas l’équipement de régénération que nous avons connu, mais ils se débrouillent plutôt bien pour remettre les gars sur pieds. Je dois dire qu’ils sont d’ailleurs assez fortiches et ils arrivent à guérir les blessures et la plupart des maladies rien qu’avec les torques. Dame Damone va faire une injection à votre copain et s’occuper de ses os esquintés. Il va être comme neuf demain. Il a du muscle, non ? Je suis sûr qu’ils le préparent pour le Grand Combat.

— Le Grand Combat, demanda tranquillement Bryan. Qu’est-ce que c’est donc ?

Joe-Don tiqua brièvement, puis sourit.

— Un événement. Un grand truc sportif qui doit avoir lieu dans deux mois à peu près, vers la fin d’octobre. C’est une tradition chez eux. Ils adorent toutes les traditions… Eh bien, nous sommes arrivés. C’est votre chambre, Monsieur…

Il ouvrit la porte. La chambre était plutôt vaste, avec de grands rideaux blancs qui encadraient une large fenêtre. Le lit était éclairé par un long chapelet de minuscules lanternes bleu saphir. Sur une table, un souper était prêt sous la clarté de lampes à huile plus conventionnelles.

— Si vous avez besoin de quoi que ce soit, dit Joe-Don, vous n’avez qu’à tirer l’anneau près du lit et nous arriverons. Je suppose que vous n’avez pas besoin de compagnie pour la nuit ?… Non ?… Alors, faites de beaux rêves.

Il se retira et referma la porte derrière lui. Bryan ne prit même pas la peine d’essayer le verrou. Avec un soupir profond, il entreprit de déboutonner sa chemise. Il n’avait pas eu conscience du chemin parcouru, mais à présent, avec une certaine surprise, il comprenait qu’il se trouvait tout en haut de la résidence des Tanu. Par la fenêtre, il découvrait la plus grande partie de la cité et, très loin, la poterne. Roniah s’étendait sous lui, silencieuse, scintillante, pareille à une constellation du ciel ou à l’une de ces extravagantes décorations de Noël qu’il avait pu voir sur les mondes hispaniques.

Il eut une pensée tout à fait superficielle pour se demander comment ses compagnons se distrayaient dans cette fameuse soirée Tanu qui leur était donnée. Ils lui en parleraient sûrement demain. Il bâilla, plia sa chemise… et sentit à cet instant les feuilles de durofilm dans sa poche de poitrine. Il les sortit, les déploya et il vit son image, à elle, qui brillait doucement.

Oh, Mercy…

Est-ce qu’ils t’ont emmenée avec eux ? Est-ce que tu leur appartiens maintenant ? As-tu fait comme mes amis ?

Ce sourire triste, ces yeux avides couleur d’océan l’avaient enchaîné !

Jamais je ne t’ai entendu jouer de ta harpe, ni chanter, mais je l’imagine…

Belle qui tient ma vie Captive dans tes yeux, Qui m’a l’âme ravi D’un sourire gracieux, Viens tôt me secourir Ou me faudra mourir. Ta beauté et ta grâce Et ton divin propos Ont échauffé la glace Qui me gelait les os. Ils ont rempli mon cœur D’une amoureuse ardeur. Approche-toi ma belle Approche-toi mon bien. Ne me sois plus rebelle Puisque mon cœur est tien. Pour mon mal apaiser Donne-moi un baiser.

Une note profonde le tira de sa rêverie et de son épuisement. C’était le gong, à la poterne de la cité. Le battant s’ouvrit en réponse, comme s’il obéissait aux premiers rayons du soleil levant.

— Seigneur ! s’exclama Bryan.

Immobile, comme paralysé, il regarda entrer la Chasse.

C’était comme un arc-en-ciel qui descendait la grande avenue qu’ils avaient suivi pour pénétrer dans la cité, quelques moments auparavant. Ces créatures éblouissantes et vibrantes, habillées de lumière, devinrent une procession magnifique de cavaliers Tanu qui entraient dans Roniah avec la frénésie joyeuse et folle d’une cohorte de Mardi Gras. Les exotiques comme leurs montures semblaient irradier un millier de couleurs qui puisaient sans cesse, d’un extrême à l’autre du spectre. La Chasse défila tout entière sous la poterne, s’engagea dans la ville, s’approcha et passa presque sous la fenêtre devant laquelle se tenait Bryan. Il vit alors que tous les chasseurs, hommes et femmes, portaient une armure bizarre, apparemment faite de verre et de joyaux, avec des pointes, des cabochons, des épines qui leur donnaient l’apparence de crustacés humanoïdes habillés de diamants. Les montures étaient pareillement accoutrées et leur front était orné de joyaux éclatants. La cohorte traînait derrière elle des écharpes évanescentes et colorées qui projetaient des étincelles.

Un hurlement triomphal s’éleva de la Chasse. Les hommes frappaient leurs boucliers incrustés de gemmes de leurs épées de verre tandis que certaines des femmes embouchaient d’étranges trompes, agitaient des cloches à têtes d’animaux et que d’autres chantaient à pleine voix. En fin de cortège, six cavaliers s’avançaient en uniforme rouge luminescent. Ils étaient à l’évidence les héros de la parade. Sur leurs lances tenues haut, ils ramenaient les trophées de la nuit.