Le Milieu Galactique de Julian May, c’est le prolongement logique des Rencontres du Troisième Type. Les humains, ayant passé leur examen, entrent dans la société stellaire.
Quoi de plus classique comme cadre ? Quoi de plus riche aussi ?
J’avoue qu’après quelques pages, je me suis demandé pourquoi diable Julian May allait lancer ses personnages à huit millions d’années dans le passé plutôt que de les promener entre tous ces mondes à peine entrevus mais chatoyants et fascinants. Et quelle était cette Révolution Métapsychique à laquelle elle faisait allusion ? Qui sont Jack le Désincarné et le Masque de Diamant ?
Mais il y a la Porte du Temps. Un certain Théo Guderian l’a plus ou moins créée, ou construite, en 2034, en effectuant des recherches sur les champs ondulatoires. Elle ouvre à sens unique sur la dernière période du cénozoïque, à quelque huit millions d’années dans le passé. Quiconque la franchit se retrouve au matin de la Terre. Non, pas au matin. Il s’agit bien plutôt d’un été indien qui aurait duré cinq millions d’années. Un moment heureux entre le miocène et le début du quaternaire et les glaciations du pleistocène. Un âge de chaleur et de végétation luxuriante, un monde foisonnant de vie et de beautés. Le Pays Multicolore. Ouvert à ceux qui, justement, refusent l’harmonieuse pacification, les ultimes enragés, dérangés, révoltés ou rejetés. Ces satanés rêveurs violents pour qui la science-fiction a toujours eu la plus grande tendresse.
Alors, adieu le Milieu Galactique et ses planètes colonisées, fertilisées, typées, enjolivées.
Par un petit matin de France, vous allez vous retrouver avec quelques autres aventuriers intrépides et franchir la Porte du Temps vers l’Exil lumineux du Pliocène. En dehors de tout ce que vous a appris la science, vous ignorez ce que vous allez trouver de l’autre côté. Vous serez chasseur ou constructeur, tanneur ou charpentier, pêcheur ou mercenaire, vous voyagerez en ballon ou en pirogue, vous traquerez l’amphycion ou le machairodus, vous escaladerez les volcans d’Auvergne ou vous descendrez le proto-Rhin à partir du Lac de Bresse… Vous aurez la Terre entière et cinq millions d’années devant vous.
Michel Demuth.
Michel Demuth: Julian May ou la libération de la fan
Que l’on me pardonne ce lamentable calembour, mais l’auteur le mérite, tant Julian May se plaît à évoquer toutes les conventions de science-fiction qui ont marqué sa vie depuis sa naissance, le 10 juillet 1931 à Chicago, son mariage avec l’anthologiste-spécialiste Tom Dikty et, enfin, son grand retour au genre et son entrée dans le roman avec la Saga du Pliocène.
Dans une interview récente, elle avoue que sa première nouvelle fut Dune Roller, publiée en 1951 dans Astounding et reprise ensuite dans de nombreuses anthologies, traduite en France sous le titre Le galet des dunes, dans Histoires qui font mouche de la série « Hitchcock »… Suivie de trente années de silence.
Du moins dans le genre qui nous occupe. Car Julian May utilisa une bonne dizaine de pseudonymes pour écrire des milliers d’articles scientifiques pour une énorme encyclopédie éditée à Chicago, ce qui lui fournit l’occasion d’enrichir considérablement ses connaissances en sciences naturelles : botanique, zoologie, ichtyologie…
A partir de là, elle entre dans le domaine du « juvenile », du petit roman écrit sur commande pour les adolescents. Elle aborde tous les genres : sport, biographie, histoire naturelle…
Son intérêt pour le passé de la Terre s’accroît encore.
Pour le contact avec la Terre également. Elle aime les randonnées, le camping, la descente des torrents en canoë. Bref, tout ce qui attend ses héros dans le Pliocène…
Mais elle reste une fan. Une vraie, une de celles qui, dans les conventions américaines, participent aux défilés de costumes, aux soirées de Forrest Ackerman, aux diatribes d’Harlan Ellison.
Elle se définit comme une romantique et ne cache pas sa sympathie pour la science-fiction des années 40-50. A quoi bon le dire d’ailleurs : tout est dans sa Saga. Qu’elle pense que nous allons vers un retour à cette forme de fantasy et de S.F., nous ne pouvons qu’être d’accord avec elle.
Mais ce qui fait le phénomène Julian May, c’est le succès. Débordant largement du champ S.F., la Saga du Pliocène figure depuis deux ans dans la liste des best-sellers. Le Pays Multicolore a été nominé pour le Prix Hugo et le Nebula, couronné par le Locus. Avec la parution du second et du troisième volume, les ventes ont encore augmenté et les critiques de la presse non-spécialisée se sont penchés sur « le cas Julian May ».
Pour conclure que l’aventure était de retour, que cela traduisait une certaine soif des lecteurs pour le dépaysement et le merveilleux après quelques années de sophistication et d’intellectualisation, de sombres dystopies nucléaires, politiques, génétiques.
Julian May est une optimiste visionnaire qui écrit vite des paysages et des êtres dont nous avons certainement besoin. Le monde a changé de rythme. Les Fugs, vin groupe californien légendaire des sixties, chantaient : « Quand le ton de la musique change, les murs de la cité tremblent. »
Le ton a changé. Les couleurs se font plus vives. Les personnages plus forts et plus nombreux. Des héros reviennent de l’horizon. Et les panoramas se font immenses.
La Saga du Pliocène, telle que nous la publions, ne comptera pas moins de huit volumes. Mais Julian May, qui a indéniablement le sens de la démesure, entend la faire suivre d’une énorme trilogie qui nous ramènera au Milieu Galactique, achevant une trajectoire de huit millions d’années…
Michel Demuth.
Quelques notes à l’usage de l’intrépide voyageur du pliocène
Dans l’histoire de notre planète, le Pliocène est la dernière époque de l’ère tertiaire ou cénozoïque. Ce long mois de septembre ensoleillé dura environ cinq millions d’années et s’acheva il y a trois millions d’années pour céder la place au Pleistocène et aux premières grandes glaciations.
Le Pliocène, en dépit de sa brièveté (!), est une époque importante. Celle de la dernière grande phase alpine et de la naissance de la Méditerranée telle que nous la connaissons, de l’apparition, à l’apogée des mammifères, des premiers hominidés, les Australopithèques.
A quoi ressemble l’Europe du Pliocène ? La carte, pages 16-17, est la plus précise que nous ayons pu dresser. En France, la façade atlantique est marquée par l’incursion de la mer et la péninsule armoricaine est insulaire. La « mer des Faluns » pénètre loin dans le golfe ligérien.
En bordure de la chaîne alpine, au tout début du Pliocène, le sillon se comble en même temps que la chaîne continue de se soulever. Des couches fantastiques de détritus (jusqu’à 2 000 m de haut), sables et galets, forment des cônes de déjection dans la basse vallée de la Durance (plateau de Valensole). L’affaissement du littoral méditerranéen et de la plaine du Pô, amène la mer à pied d’œuvre autour des Alpes. La vallée du Rhône se présente comme une ria très profonde, arrivant vraisemblablement à une vingtaine de kilomètres de l’actuel Lyon, le Roniah du Pays Multicolore. Au nord, on trouve le grand Lac de Bresse dans lequel se jette le Rhin pour une période.
Au Miocène, le massif qui reliait les Pyrénées aux Maures a disparu et le dessin de la côte méditerranéenne est proche de celui que nous connaissons. Entre les Corbières et les Pyrénées, une ria pareille à celle du Rhône s’ouvre dans la plaine du Roussillon.