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Quelques années après, Stein avait mûri et trouvé un certain exutoire dans son travail. Il était cependant retourné au Grand Spectacle de la Saga. Cette fois, cela lui avait paru pathétique. Tous ces visiteurs venus des autres mondes « scandinaves », de Trondelag, Thulé ou Finnmark n’étaient qu’une bande de crétins costumés, des demeurés qui n’étaient là que pour se masturber dans une quête minable de leur identité perdue.

Il s’était saoulé pour le Festin de Valhalla et il leur avait crié : « Qu’est-ce que vous ferez quand vous découvrirez qui vous êtes, petits-enfants de l’éprouvette ? Vous feriez mieux de retourner d’où vous venez, de ces nouveaux mondes que les monstres vous ont donné en cadeau ! »

Puis il était monté sur la table d’Aesir et il avait pissé dans la coupe d’hydromel.

Une fois encore, ils l’avaient mis à la porte et il avait eu droit à une amende. Mais on lui retira aussi sa carte de crédit et toutes les agences de spectacles le refusèrent désormais automatiquement…

Les foreuses fonçaient sous le talus continental. Leurs phares éveillaient des éclats verts, roses et blancs sur les parois de granit du tunnel. Puis les machines pénétrèrent bientôt dans le sombre basalte de la croûte océanique, sous la Plaine Abyssale de Tagus. Les eaux de l’océan n’étaient qu’à trois kilomètres au-dessus du tunnel de service et, dix kilomètres plus bas, il y avait la couche en fusion.

Tandis qu’ils pénétraient toujours plus avant, deux par deux, à l’intérieur de la lithosphère, les membres de l’équipe avaient l’impression illusoire de suivre une rampe gigantesque qui chutait brusquement à intervalles réguliers. Les foreuses suivaient parfois une trajectoire rectiligne, horizontale, avant de plonger à angle aigu, manœuvre qui se répétait quelques moments plus tard. Le tunnel de service suivait la courbure de la Terre en une série de segments croissants. Et cela à cause de la conduite de transmission d’énergie qu’il desservait, un tunnel qui lui était parallèle mais dont le diamètre était à peine suffisant pour le passage d’une seule foreuse, alors même que des réparations majeures pouvaient être nécessaires. En de nombreux points du complexe énergétique sous-marin, les tunnels de service et les conduites étaient reliés par des galeries, tous les dix kilomètres, qui permettaient aux équipes de maintenance d’intervenir aisément. Mais, en cas de besoin, les foreuses pouvaient percer droit à travers la paroi rocheuse du tunnel pour se frayer un chemin jusque dans la conduite, et ce sous n’importe quel angle.

Avant que l’alarme ne soit déclenchée à Lisbonne, la conduite principale entre l’Europe et les aqua-fermes des Açores brillait de l’éclat du faisceau photonique. C’était l’ultime moyen de répondre au vieux besoin d’énergie de la Terre. A cette heure de la journée, il était généré par le soleil au Niveau 39 du Centre Collecteur de Serra da Estrela, au nord-ouest de Lisbonne. Avec les autres centres de Jiuquan, de la plate-forme d’Akebono et de Cedar Bluffs, Kansas, le faisceau photonique captait et redistribuait l’énergie solaire à tous les consommateurs proches du 39e parallèle nord, sur tout le globe. Un complexe de stratotours arachnéennes, à l’épreuve des effets de la gravitation et loin au-dessus des variations de temps, captait les rayons du soleil dans le ciel pur, les réorganisaient en un faisceau cohérent qui était ensuite distribué dans le sous-sol par un réseau de vecteurs principaux et de conduites annexes d’intérêt local. Un photon capté par le Portugal (ou bien encore la Chine, le Pacifique ou le Kansas) était transmis par les miroirs à plasma des conduites et il parvenait en un clin d’œil aux gens du brouillard qui travaillaient dans es fermes nord-atlantiques. Les fermiers de l’océan utilisaient cette énergie pour tout, des moissonneuses marines aux couvertures chauffantes. Mais les consommateurs étaient bien peu nombreux à se soucier de savoir d’où leur venait l’énergie.

Comme toutes les conduites énergétiques souterraines, celle de Cabo da Roca-Açores était régulièrement surveillée par de petits engins robots qui pouvaient se livrer à des interventions mineures quand la croûte planétaire tremblait lors d’un banal incident de Classe Un, sans même interrompre le faisceau photonique. Mais les Classe Deux étaient assez sévères pour provoquer une coupure automatique. Il suffisait d’une secousse pour déplacer légèrement un segment de la conduite qui ne se trouvait plus alors aligné, ou pour endommager l’une des stations-miroirs vitales pour la transmission. Les équipes de surface empruntaient alors les tunnels de service pour se rendre sur les lieux de la panne et, généralement, les réparations étaient très rapidement exécutées.

Mais, ce jour-là, le réajustement tectonique avait atteint la Classe Trois. La Fracture de Despacho avait été secouée, engendrant un écho de sympathie dans le basalte océanique, ainsi que la formation de tout un réseau de failles mineures. La roche ardente qui entourait une section de trois kilomètres de tunnels couplés se déplaça soudainement du nord au sud, de l’est à l’ouest, vers le haut et vers le bas, écrasant non seulement la conduite mais le plus large des tunnels de service. La station-miroir se vaporisa en un flash thermonucléaire réduit, et les photons du faisceau continuèrent sur leur trajectoire libre pendant une micro-seconde avant que le système de rupture ne se déclenche. Le faisceau transperça la paroi fracassée de la conduite et continua en droite ligne vers l’ouest à travers la croûte jusqu’au fond de l’océan. La roche liquéfiée provoqua une explosion de vapeur à l’instant où le faisceau s’éteignait, ce qui scella effectivement la fistule. Mais ce qui avait été auparavant une vaste région de roc parfaitement stable était maintenant un amas de rocs mitonnés à la sauce océanique et de poches de lave qui se refroidissaient lentement.

Une seconde après la rupture, un bypass rétablit la transmission d’énergie avec les Açores. Jusqu’à la fin des réparations, les îles seraient principalement alimentées par le Niveau 38 du Centre Collecteur au nord-ouest de Lorca, en Espagne, via Gibraltar et Madère. Les équipes des foreuses, de part et d’autre du maudit segment, avaient pour charge de balayer les dégâts, de reconstruire le miroir et de creuser des gaines de renforcement pour les tunnels qui passaient à proximité de cette nouvelle zone d’instabilité.

Alors, la lumière jaillirait à nouveau.

— Lisbong Leader, ici Ponta-Del Trois-Alpha arrivant de Klom Sept-Neuf-Sept, répondez.

— Lisbong Seize-Echo, je vous reçois, Ponta Del, dit Georgina. Nous sommes au point Sept-Huit… Sept-Huit-Cinq-Sept-Neuf… A la cassure. Sept-Neuf-Deux. Vous vous chargez de la fistule, les gars ?

— Affirmatif, Lisbong. Une unité sur la conduite pour la jonction. Ça fait un moment qu’on ne s’est vus, Georgina. Mais on ferait mieux de ne plus se donner rendez-vous ici ! Mets ton meilleur perceur sur la ligne, ma belle. Je crois qu’elle va nous en faire baver, la garce.

— Ne t’en fais pas, Ponta Del. A bientôt, Larry mon mignon. Seize-Echo Terminé.

Stein Oleson serra les dents et empoigna les deux sticks de commande de sa foreuse. Il savait qu’il était le meilleur de Lisbonne. Personne ne pouvait percer aussi bien que lui. Les bulles de lave, les anomalies magnétiques, rien ne pouvait le détourner de sa cible. Il se tint prêt à démarrer.