A la seconde où il venait de décider de s’en prendre à la reine de l’ordinateur, une douce voix de contralto l’interrompit :
— Communications à passerelle.
— Oui, ici, Voorhees. Que se passe-t-il, Lily chérie ?
— Nous avons intercepté un signal de détresse sub-spatial en comptemporanéité. Un vaisseau de recherche Poltroyen est bloqué dans la matrice. Des ennuis de translateur. La navigation essaie de déterminer sa pseudolocation.
Foutus ahuris de nains ! Comme d’habitude, ils étaient encore en train de mettre leur nez où il ne fallait pas. Et pendant ce temps, les cristaux -U fichaient le camp parce que personne ne les entretenait !
— Navigation à passerelle !
— Oui, Fred ?
— Ce vaisseau en détresse est tout près de nous, capitaine. Ils ont de la veine. Il n’y a pas tellement de trafic dans ce secteur d’hyper.
La main de Richard s’arrêta sur un pion. Ses doigts se serrèrent. Alors on comptait sur lui pour porter secours à ces petits emmerdeurs. Et pour faire une croix sur la moitié de sa commission. Parce qu’il faudrait très probablement plusieurs jours en temps subjectif pour effectuer les réparations, étant donné la maladresse bien connue des Poltroyens et le fait que le Wolverton Mountain ne comptait que trois ingénieurs-robots. Pour un vaisseau humain, encore, il n’aurait pas hésité. Mais des exotiques !
— J’ai accusé réception du message de détresse, dit Lily. Le vaisseau Poltroyen a atteint une phase de détérioration du système vital. Ils sont là depuis pas mal de temps, capitaine.
Au diable ! Il n’était plus qu’à deux jours d’Orissa. Les Poltrouillards pouvaient très bien tenir encore un peu. Il les récupérerait au retour.
— A tous les systèmes. Suivez le vecteur sub-spatial original. Communications : interrompez toutes les émissions extérieures. Lily, je veux que tu effaces ce signal de détresse du livre de bord, ainsi que l’enregistrement de toutes les communications intérieures et extérieures. A mon signal. Prêt ? Annulation.
Richard Voorhees effectua sa livraison dans les délais et toucha l’intégralité du prix convenu, les sectateurs de Jagannath étant absolument satisfaits.
A peu près au moment où Voorhees se posait sur Orissa, un croiseur de la Flotte Lylmik se portait au secours des Poltroyens. L’équipage du vaisseau ne disposait plus que de quinze heures d’oxygène quand le croiseur intervint.
Les Poltroyens transmirent l’enregistrement qu’ils avaient fait du premier message de Voorhees au Magistratum du Secteur et, lorsque Richard débarqua sur Assawompset, il fut mis en état d’arrêt et inculpé d’avoir violé l’Article 24 des Statuts d’Altruisme Galactique : « Obligations d’éthique des vaisseaux spatiaux ».
On lui infligea une amende exorbitante qui l’amena à la perte de tous ses biens. Le Wolverton Mountain fut confisqué et l’on interdit à son commandant de se livrer au commerce interstellaire sous quelque forme que ce soit durant le reste de ses jours.
Quand tout fut fini, Voorhees déclara à son avoué :
— Je crois que je vais aller visiter le Vieux Monde. On dit qu’il n’y a pas de meilleur endroit pour s’éclater l’esprit.
4.
Felice Landry
Felice Landry se tenait bien droite en selle, sur le dos de son verrul de trois tonnes, le paralyseur niché au creux de son bras droit Elle inclina lentement la tête pour répondre aux ovations des quelque cinquante mille spectateurs rassemblés dans l’arêne pour le grand tournoi : un record d’affluence pour une planète aussi petite qu’Acadie.
Landry lança son verrul. La hideuse créature, qui évoquait un rhinocéros à longues pattes fines, avec le bouclier en collier d’un tricératops et de petits . yeux à l’éclat mauvais sautilla entre les corps sans en toucher un seul. De tous les joueurs qui s’étaient présentés sur la grille verte et blanche, seule Felice Landry était encore valide, consciente et en selle.
Dans leurs enclos, derrière le burladero, les autres verruls joignirent leurs barrissements aux hourras de l’assistance. Avec une aisance désinvolte, Felice guida sa monture jusqu’à l’anneau écarlate qu’elle cueillit avec sa corne nasale. Puis l’énorme animal se dirigea au galop vers les buts de l’Aile Blanche, à présent désertés.
— Lan-dry ! Lan-dry ! hurlèrent les spectateurs.
Il semblait que la jeune fille et sa bête se précipitaient droit dans l’orifice caverneux qui s’ouvrait à l’autre bout du champ.
Mais, au dernier instant, Landry tira sur les rênes du verrul tout en formulant un ordre que nul ne pouvait entendre, hormis sa monture. La créature se bloqua brusquement sur ses pattes et lança en avant sa monstrueuse tête, presque aussi haute que Felice. L’anneau écarlate jaillit dans les airs et retomba au centre de la caverne. Le signal de but s’illumina et la sonnerie de victoire retentit.
— Lan-dry ! Lan-dry ! Lan-dry ! scandait la foule.
Brandissant son arme, elle répondit aux ovations. Puis des ondes d’orgasme déferlèrent en elle et, pendant une longue minute, elle ne vit plus rien, et elle n’entendit pas le coup de carillon de l’arbitre qui annonçait la fin de la partie.
Quand ses sens s’éclaircirent enfin, elle sourit lentement en regardant la foule. Oui, songea-t-elle, saluez ma victoire, peuple-enfants-amants… Criez mon nom. Mais surtout pas d’émeute !
— Lan-dry ! Lan-dry ! Lan-dry !
Un arbitre arriva en courant. Il brandissait le fanion du champion à l’extrémité d’une longue lance. Felice remit le paralyseur dans son étui, prit la lance et la leva. Puis, lentement, elle fit le tour de l’arène, le verrai courbant la tête comme elles en réponse aux applaudissements confondus des partisans du Marteau Vert et de l’Aile Blanche.
Cette saison avait été exceptionnelle. Jamais encore ils n’avaient assisté à un tel tournoi. Jamais avant Felice Landry.
Le hockey des fanatiques « canadiens » d’Acadie était une chose qu’ils prenaient particulièrement au sérieux. Dans un premier temps, ils avaient manifesté une certaine aversion pour Felice, surtout pour l’audace de son jeu. Puis ils l’avaient adorée. Petite, plutôt frêle, elle faisait preuve d’une puissance physique et mentale surnaturelle et d’un don inhabituel pour dompter les redoutables verrais. Durant sâ première saison professionnelle, elle avait triomphé d’adversaires mâles plus expérimentés qu’elle et elle était ainsi devenue une idole sportive. Elle jouait à la fois en défense et en attaque. Ses assauts fulgurants étaient devenus légendaires et jamais encore elle n’était tombée.
Dans ce dernier tournoi du championnat, elle avait marqué huit buts : un nouveau record pour elle. Tous ses équipiers avaient été éliminés dans la dernière période du jeu et elle avait soutenu seule l’ultime assaut de l’Aile Blanche contre les buts du Marteau Vert. Et quatre géants coriaces de l’équipe de l’Aile Blanche avaient mordu la poussière avant qu’elle ne triomphe enfin et marque ce dernier but, seule, désabusée.
Applaudissements, adoration. Oui, dites-moi que je suis votre reine, votre maîtresse, votre victime. Mais restez où vous êtes. Ne venez pas.