Выбрать главу

PSSMSM

Je les écarte et voilà les I :

PSSIMISM

Les E :

PESSIMISME

Et ça gémit de gauche à droite :

ESSIMISME — PSSIMISME — PESIMISME

PESIMISME — PESSMISME — PESSIISME

PESSIMSME — PESSIMIME — PESSIMISE

PESSIMISM — PESSIMISME

PESSIMISME

L’onde aboutit sur cette grève avec un éclatement barbare. Et reprend le chemin du retour.

PESSIMISME — PESSIMISM — PESSIMIS

PESSIMI — PESSIM — PESSI

PESS — PES — PE — P — p…, plus rien.

Si ce n’est se balançant un pied dans la main, un peu théâtral et un peu vulgaire, sa pipe en terre et sa casquette sur l’oreille, et chantant je crois bien : Ah, si vous connaissiez la vie des escargots de Bourgogne… en haut des marches, dans la poussière et les bouts de mégots, ce charmant garçon : le Sentiment de l’inutile.

*

Je reviens sur mes pas ; la lumière à nouveau se décompose à travers le prisme d’imagination, je me résigne à cet univers irisé. Qu’allais-tu faire, mon ami, aux confins de la réalité ? Voici ton royaume de sel gemme, tes astéries et tes fameux gisements. Tu sais bien, plaisanterie anodine, que tu es l’Aladin du Monde Occidental. Jamais tu ne sortiras de cette grande tache de couleur que tu traînes au fond de tes rétines. Débat ridicule qu’une flamme dans le feu. Tu ne quitteras pas ton navire d’illusions, ta villa de pavots au joli toit de plumes. Tes geôliers d’yeux passent et repassent en agitant leurs trousseaux de reflets. C’est en vain que creusant depuis vingt-six années avec un morceau de raison brisée un souterrain qui part de ta paillasse, tu crois aboutir au bord de la mer. Ta mémoire ouvre sur une oubliette. Là tu retrouveras toujours les mêmes fleurs, les mêmes forêts de cheveux, les mêmes désastres de caresses. Dans ta Thébaïde, les lions couchants sont des lueurs d’amnésie et les fantômes ! les fantômes nacrés ont l’air de prier et s’effacent. Esclave d’un frisson, amoureux d’un murmure, je n’ai pas fini de déchoir dans ce crépuscule de la sensualité. Un peu plus impalpable, un peu moins saisissable… chaque jour, je m’estompe en moi-même, et je désire enfin si peu qu’on me comprenne, et je ne comprends plus ni le vent ni le ciel ni les moindres chansons ni la bonté ni les regards. C’est ainsi, Bee’s polish et Kiwi, que je glisse, à la faveur de mon inattention, le long de la devanture du cireur, de l’autre côté de l’escalier de sortie sur la rue Chauchat, et que retournant vers les boulevards, je franchis sur ma droite l’ouverture du premier couloir, qui réunit le fond des deux galeries du passage, sans sombrer dans ces noirs glacis qui mènent au Théâtre Moderne. En face du tailleur et des salons de coiffure, un étage de parade qui appartient au restaurant Arrigoni, fiasques italiennes aux longs cous, aux corselets de paille, tableau colorié d’un banquet mémorable à la place d’honneur, sépare seul de ce couloir l’établissement de Bains couleur de petit-suisse.

Il y a une liaison bien forte dans l’esprit des hommes entre les Bains et la volupté : cette idée ancienne contribue au mystère de ces établissements publics où bien des gens ne se hasarderaient pas, tellement est grande la superstition des maladies contagieuses, et répandue la croyance que les baignoires ici prostituées sont de dangereuses sirènes pour le visiteur qui se confie à leur émail lépreux, à leur fer-blanc maculé. Ainsi ces temples d’un culte équivoque ont un air du bordel et des lieux de magie. Rien ne permet au passant inexpérimenté d’assurer sur quelque détail d’architecture le soupçon qu’il se fait de l’irrégularité d’un tel édifice : BAINS, dit seulement la façade, et ce mot cache une gamme indéfinie d’enseignes véridiques, tous les plaisirs et toutes les malédictions du corps, mais qui sait ? on ne trouve peut-être à son abri que l’eau promise, claire et chantante. Il y a une grande tentation dans l’inconnu, et dans le danger une plus grande encore. La société moderne tient peu compte des instincts de l’individu : elle croit supprimer l’un et l’autre, et sans doute qu’il n’y a plus d’inconnu, sous nos climats, que pour ceux dont le cœur est facilement ivre ; quant au danger, voyez comme tout chaque jour devient inoffensif. Il y a pourtant dans l’amour, dans tout l’amour, qu’il soit cette furie physique, ou ce spectre, ou ce génie de diamant qui me murmure un nom pareil à la fraîcheur, il y a pourtant dans l’amour un principe hors la loi, un sens irrépressible du délit, le mépris de l’interdiction et le goût du saccage. Vous pouvez toujours assigner à cette passion aux cent têtes les limites de vos demeures ou lui affecter des palais : elle voudra surgir ailleurs, toujours ailleurs, là où rien ne la faisait attendre, où sa splendeur est un déchaînement. Qu’elle pousse où nul ne la sème : comme la vulgarité la convulse ! elle a de brusques sursauts d’ignominie. Il y a des possédés que tient la hantise de la rue : là seulement ils éprouvent le pouvoir de leur nature. Vous avez rencontré ces hommes sombres au cœur des foules, ces femmes folles dans les premières du Nord-Sud, vers les cinq heures. Combien de fois au doigt de la voyageuse avez-vous senti une alliance ? Et rien pourtant, elle ne cherchait rien que ce dérèglement passager. Le ciel humain a ses éclairs qu’on ne peut suivre. Compensations ou vertiges, que se noue-t-il ainsi chez ces bizarres kleptomanes de la volupté ? Je les approuve, épouses que j’imagine apparemment heureuses, d’avoir l’âme assez haute pour ne pas se contenter de leur sort. En route, à la recherche de l’infini ! Les voici au cinéma, tout égarées dans l’ombre ou bien dans les soleils tournants des manèges des foires, la robe relevée comme un défi. Elles sont à la conquête d’elles-mêmes, à la croisade du désir : délivreront-elles ce tombeau, leur cœur ? Le vagabondage de l’incertitude, voilà ce que celle-ci forcément provoque : l’instant d’une manœuvre, un passant peut tour à tour se croire enfin choisi, croire être dupe encore de l’imagination. L’autre se plaît par-dessus tout à convoiter un homme qui ne la voit pas, à se leurrer d’un espoir croissant, jusqu’au coup de chapeau poli, qui a le goût des pommes vertes, elle crierait. L’autre mène la chasse avec une résolution noire, et tout à coup une grande tempête s’élève entre elle et sa victime, rien ne peut arrêter cet orage adorable, tout précipite cette double fureur : c’est alors que, voisine à toucher tout le corps qu’elle attire, avec une exaltation sauvage, par un suicide inhumain, d’un seul retrait elle se refuse et devient une pierre, une pierre. Cette dernière encore, si froide, impassible à toutes les sollicitations, son être entier s’abandonne, mais rien ne trahira qu’elle s’en aperçoit. Rien, pas même une lèvre tremblante. Puis elle part d’un pas mécanique, c’était probablement une morte, mon cher.

Aux bains, une bien autre dérivation de l’humeur incline aux rêveries dangereuses : un double sentiment mythique que rien n’exprime et qui se fait jour. L’intimité d’abord au cœur d’un lieu public, contraste puissant, efficace pour qui l’a une fois ressenti ; et ce goût de confusion qui est le propre des sens, qui les porte à détourner chaque objet de son usage, à le pervertir comme on dit. Il n’est pas facile de démêler quel mobile ici commence : quelle envie la première saisit le client des établissements hydrothérapiques. Se déshabiller, sous n’importe quel prétexte, peut être un acte-symptôme. Ou une simple imprudence. Toujours semble-t-il qu’un homme habitué à se voir en complet veston, à contempler son corps en plein jour s’expose au risque différemment appréciable de ne pouvoir résister au penchant de l’exercer au plaisir. Les bains apparaissent ainsi la place d’élection des commerces physiques, et plus encore de l’aventure improbable d’un véritable amour. Que cette dernière hypothèse est absurde, et pourtant qu’elle me retient ! Le coup de foudre dans une baignoire : vous pouvez rire, vous ne savez pas de quoi vous riez. Toute la lascivité du monde s’en va ainsi en pure perte, par suite de l’asynchronisme des désirs. Possibilités de rencontre atrocement limitées, c’est quand je suis seul dans ma chambre, c’est quand je dors, c’est quand je cours à toutes jambes, qu’une apparition devrait s’imposer à tout mon être. Ma liberté, comme on m’emprisonne en ton nom. Enfin de tels lieux sont si calmes, on dirait un autre pays, quelque civilisation lointaine, ah ne me parlez pas des voyages. Faut-il être dépourvu de frénésie pour entrer aux bains sans du coup se persuader qu’on entre en pleine énigme ! Mais il y a au monde si peu de foi dans les aspirations humaines, on connaît si bien les bornes de toute dépravation, la peur universelle de se compromettre, la résignation machinale au bonheur, l’habitude (la seule femme qui porte aujourd’hui un corset) — que — à mon grand regret, je l’avoue, je me consterne, je me demande si je ne ferais pas mieux de foutre le camp dans une région plus conforme à la mobilité de ma nature, — que — je rêve d’un peuple doux et cruel, d’un peuple chat amoureux de ses griffes et toujours prêt à faire chavirer ses yeux et ses scrupules, je rêve d’un peuple changeant comme la moire et toujours talonné par l’amour — que personne ne veut plus proposer à notre oisiveté avide les divertissements qu’elle n’ose pas réclamer. De là, ce scandale : dans Paris plusieurs établissements de bains ne s’intitulent pas ainsi par euphémisme. On s’y lave comme on mange ailleurs. Et telle est la décadence des mœurs dans cette ville, la sensualité y est devenue si nonchalante, le sentiment de l’absolu si étrangement égal à la plupart des hommes, que presque seuls les pédérastes, encore un peu étourdis de la tolérance nouvelle qu’ils rencontrent et par routine accoutumés à la ruse et à la tyrannie, profitent aujourd’hui de l’équivoque des Bains. On peut rapidement compter les maisons de rendez-vous balnéaires qui leur échappent complètement. Les tenanciers s’en plaignent, la clientèle ne vient pas. Que voulez-vous, ces Messieurs et ces Dames négligent un peu leurs désirs. Jusqu’à vingt ans, ça va bien. Après cela, c’est fini : la curiosité, le mystère, la tentation, le vertige, l’aventure, fini fini. Ils font de la gymnastique pour rester minces, vous ne pouvez pas leur demander d’en faire pour garder sa couleur à la vie et le trouble à leurs joues : des exercices d’amour, passé vingt ans, vous n’y pensez pas. Ils ont appris leur métier une fois pour toutes. Ils ont une technique et n’en démordront pas : vous prenez la femme dans vos bras et vous lui dites… alors elle, tombe sur le sofa et s’écrie : Oh Charles ! Vous n’avez qu’à voir dans les films bien faits. Est-ce que par hasard on y montre jamais une femme qui vient d’apercevoir quelqu’un marcher droit vers lui, muette, les yeux provocateurs, et porter tout à coup la main au pantalon de l’homme ? De tels films n’auraient aucun succès, ils relèveraient trop de la fiction : et ce que nous réclamons à cor et à cri, ce sont, n’en doutez pas, des réalités, des RÉ-A-LI-TÉS :