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Les Réalités

FABLE

Il y avait une fois une réalité

Avec ses moutons en laine réelle

Le fils du roi vint à passer

Les moutons bêlent Qu’elle est belle

La ré la ré la réalité

Il y avait une fois dans la nuit

Une réalité qui ne parvenait pas à dormir

Alors la fée sa marraine

La prit réellement par la main

La ré la ré la réalité

Il y avait une fois sur son trône

Un vieux roi qui s’ennuyait

Son manteau dans le soir glissait

Alors on lui donna pour reine

La ré la ré la réalité

CODA : Ité ité la réa

Ité ité la réalité

La réa la réa

Té té La réa

Li

Té La réalité

Il y avait une fois LA RÉALITÉ

Entrons donc dans les Bains du Passage de l’Opéra avec un esprit positif. Et un petit Kodak. Il est contraire à la vraisemblance d’imaginer que ce local sert à autre chose qu’aux soins de l’hygiène. Il est peu fréquenté, mais honorablement. La boutique est entièrement occupée par le départ d’un grand escalier à rampe de bois brun qui s’enfonce dans le sous-sol. Au-dessus de l’escalier face au passage, il y a un magnifique tableau de fleurs, et sur le côté droit un portrait de femme du même peintre, de part et d’autre duquel on voit deux gravures romantiques, l’une, au fond, représentant un homme qui conduit trois chevaux, l’autre, vers la porte, Mazeppa poursuivi par les loups. Entre nous soit dit, les yeux des loups sont bien brillants et si l’on m’y poussait, j’apercevrais là quelque symbole. L’escalier après un palier imposant aboutit à un sous-sol constitué par deux grandes pièces, la première plus large, la seconde d’où part un long couloir dans la direction des boulevards, au-dessous du restaurant Saulnier. Sur la première comme sur la seconde pièce s’ouvrent quelques cabines de bains, qui semblent les plus luxueuses, avec canapé et table de toilette. Un grand nombre de placards complètent le décor. Ce lieu, tout en portes et en boiseries, qui ne prend le jour que par le plafond de verre dépoli, est assez poussiéreux et solennel. Médiocrement éclairé, il me porterait à la rêverie si je n’avais pris de sages résolutions. C’est sans commentaires que je signalerai ce fait que toutes les cabines du côté droit du couloir ont, à l’opposé de ce couloir, une porte qui ne ferme que de l’intérieur, donnant sur une seule immense salle où dorment divers appareils à douches, et que par conséquent si.. mettons deux clients quittaient leur baignoire pour aller prendre le frais dans ce foyer d’ombre, ils se rencontreraient sans que personne en sût rien. Il n’y a là rien de plus mystérieux que les bizarres petits volets qui font communiquer au-dessus des baignoires deux cabines voisines dans beaucoup d’établissements parisiens (rue Fontaine, rue Cardinet, rue Cambacérès, etc.). Il n’est pas dit que l’architecte ait prévu l’usage qu’on devait faire de son œuvre : est-ce que l’ingénieur qui dressa les plans du pont de Solférino pouvait se douter des débauches que ses arches abriteraient un jour ? Il n’y a aucune perversité au cœur ingénu des architectes.

D’ailleurs, ce sous-sol, je vois à quoi il sert au vrai : c’est un laboratoire de calorimétrie. Le garçon et la bonne, couple de physiciens distingués déguisés, trempent les sujets bénévoles dans leurs calorimètres et se livrent à des calculs intrigants sur la dégradation de l’énergie. Ils espèrent prendre un beau jour en défaut le principe de Carnot. En attendant, lui baye, elle, lit des romans policiers.

LOUIS !

Je sors, je sors : qui est-ce qui m’appelle ? Au dehors le va-et-vient se poursuit. Personne de ma connaissance… ah si : le désir de voir mon prénom, si peu employé dans mon entourage, imprimé en capitales de quelque importance. Devant moi s’étend un grand espace désertique, une espèce de prairie reposante, ma parole c’est le restaurant Saulnier. Il va, rez-de-chaussée et entresol, des Bains au couloir transversal qui débouche en face de la porte du meublé. Une bénédiction du ciel, ce restaurant : je n’ai absolument rien à en dire, y ayant cent fois dîné. C’est ici que les grandes querelles du mouvement Dada, vous savez le mouvement Dada ? faisaient relativement trêve, pour permettre aux combattants qui, depuis deux heures, défendaient leur réputation chez Certa de trouver dans une assiette anglaise un témoignage de haute moralité, de haute couture comme dit l’Antiphilosophe d’entre eux. Il y avait alors un tribunal de Salut Dada et rien ne faisait prévoir qu’à la Terreur succéderait un jour le Directoire, avec ses jeux, ses incroyables et ses robes fendues. Ce sont de petites gens qui se nourrissent ici. Par où entrent-ils, par où s’en vont-ils : une flèche ou une main indique à chacun sa destinée. Bonne chance, mes enfants.