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Sixième station : Des souffles sur la porte du silence attendent l’esclave qui ne revient pas.

Septième station : Le voile se déchirant laisse apercevoir le désir sous la forme d’un flamant.

Huitième station : Le flamant s’envole.

Neuvième station : Le flamant perd ses plumes en plein vent.

Dixième station : Le vent.

Onzième station : La graine dans le vent.

Douzième station : L’égoïsme et l’amour soutenant les armes d’un pays imaginaire emmêlent leurs cheveux comme le soleil sonne midi au-dessus du Puy-de-Dôme.

L’étrange vieillard s’éloigne vers les boulevards, frappant le cercle enluminé avec une baguette magique. Je demande au coiffeur qui est sur le pas de sa porte s’il connaît cette effroyable apparition :

— Mais comment donc, cher Monsieur, me dit cet affable artiste, si je le connais ! C’est un habitué de ma maison, un certain Sch…, qui passe sa vie à jouer à ce qu’il appelle la roue du devenir. Prenez donc la peine d’entrer.

Gélis-Gaubert, le coiffeur, qui occupe les numéros 19 et 21 du passage, a été mille fois décrit. Il n’y a pas dans tout ce passage, il n’y a presque pas dans Paris de boutique qui ait constitué pour les journalistes un plus plaisant et plus facile sujet de reportage du genre pittoresque et sentimental. Le Coiffeur des Grands Hommes, tous les trois mois quelqu’un le découvre et le tire en portrait, avec ses moustaches magnifiques qui tiennent du sable, du poivre et du coton-poudre. Du premier coup d’œil, on saisit aux étalages que ce coiffeur-ci n’est point de la nouvelle école, qui a inventé mille façons de vivre aux dépens des clients. Il appartient encore au temps de la barbe à cinq sous : ce n’était pas payé, alors, que de redonner la jeunesse et la fraîcheur aux hommes, d’user son temps et ses parfums, et le savon, tout ce qu’un coiffeur fournit, la pierre qui est comme un lac gelé, la poudre, pour ne recueillir qu’un ou deux sous de pourboire. Il aurait mieux valu se faire va-nu-pieds ou tout au moins voleur, ou balayeur des rues. Aussi un beau jour, la corporation en eut-elle assez, l’usage se répandit des frictions plus chères, des massages, des brûlages, des fumigations, et leurs modalités sans nombre, la note s’éleva et le pourboire atteignit des trois francs. L’âme d’un vieux coiffeur, s’il vient se faire raser, maintenant retiré des affaires, chez un confrère usant des méthodes nouvelles, se réjouit grandement quand le garçon annonce à la caisse la dépense que vient de faire entre ses mains celui qu’il déroule de ses linges et brosse avec des crins de soie. Mais chez Gélis-Gaubert, tout est resté fidèle aux façons du passé : à la devanture, on voit tous les objets que jusqu’au début de ce siècle il fallait habilement persuader les clients d’acheter, pour vivre en rasant et coiffant, si la manie de cet art, la vocation irrésistible vous en était venue, quand vous étiez trop jeune pour vous rendre compte de votre folie : trousses et flacons, flacons de voyage et flacons sédentaires, les uns dans leur housse de bois, les autres avec leur sentimentalité en guillochage, l’étoile taillée au cul qui en fait le prix pour les vrais amateurs, — les mains de linge, les peignes pliants ou incassables, le celluloïd et l’écaille inégalement combustibles, la corne et le métal ; les limes et tout ce qui fait du soin des mains une blanche magie, et les fards, et les philtres d’effarement ; et les savons, verts, roses, jaunes, ou de ce noir mélasse, et translucide, qui rappelle les voluptés de la mi-août, quand le soleil s’est mis de la partie, et que sur le parquet les nattes de paille ont foutu le camp tout de travers sous les pieds crispés et rompus ; et les brosses à dents, les dentifrices, les sels pour la migraine et les vapeurs, les eaux pour les yeux, les pâtes à miracles. De part et d’autre de la porte, les deux vitrines présentent à leur partie supérieure deux rayons symétriques, le premier peuplé de bouteilles de velouté naturel, le second de Glykis. Je n’ai pas l’expérience de cette dernière spécialité de la maison, lotion pour la peau, qui doit ce nom de néréide à sa belle couleur d’émeraude. Mais pour l’autre, qui est un liquide dulcifiant que l’on emploie après qu’on s’est rasé, on m’en a mis ici, et je déclare que c’est une merveille. Thym et lavande, l’odeur même des montagnes, et non pas de ces montagnes arrogantes qui ne portent que des glaces et des plantes vénéneuses, mais de celles qui sont résine et myrtille, où l’on voit les chalets s’orner mélancoliquement de fromages bleus, tout dans le velouté naturel est pareil à un paysage du matin, avant que les arbres aient encore secoué toute la nuit, un paysage pour les joues qui sous cette fresque tactile s’abandonnent au vertige des promenades forestières en automobile, n’oubliez pas de corner : tournant dangereux. Et que dire de l’étalage d’éponges qui complète cette boutique, née sur la fin du romantisme, quand Les Burgraves étaient sifflés, et les châteaux hantés laissés à l’abandon ? Éponges en bocal, éponges libres, au grain plus variable que le vent, au grain plus variable que celui de la peau des femmes, fin-fin comme une serviette nid d’abeille, ou poreux comme les grottes sonores de la mer où s’étirent toujours des tritons coiffés d’algues vertes, éponges qui gonflez sous les chagrins de l’eau. J’ai connu un homme qui aimait les éponges. Je n’ai pas l’habitude d’employer ce verbe au sens faible. Cet homme aimait donc les éponges. Il en avait de toutes tailles, de tous calibres. Des roses, des safranées, des purpurines. Il en teignait. Et il en avait de si tendres, qu’il ne pouvait se défendre de les mordre. Les plus belles parfois il les déchirait dans son délire, et il pleurait vraiment sur leurs splendeurs éparses. Certaines, il les léchait. Certaines, il n’eût osé les toucher, c’étaient des reines, des personnes tellement haut placées. D’autres, il les enfilait simplement. J’ai aussi un ami qui faisait l’amour en rêve avec des éponges. Mais lui, pour cela, se bornait à les prendre dans ses paumes et à les serrer : vous voyez comme c’est facile.

L’intérieur du magasin se compose, d’une première pièce où se vend la parfumerie, où se trouve la caisse, et d’une seconde que les tables à coiffer partagent à son tour en deux. Celle-ci sous la lumière qui lui vient des appentis de verre, on n’y a pas ménagé la place : une sorte d’esprit de grandeur que nous avons un peu perdu avec la hausse des valeurs locatives y règne encore comme si nous vivions toujours dans des palais. Toute une partie de cette immense salle est consacrée à l’attente des clients, qui ne sont pourtant qu’un ou deux. Ils peuvent demeurer auprès de ceux qu’on rase, ou s’éloigner, choisir leur coin, pour lire ou seulement flâner, ou comme j’en ai le goût marcher de long en large. Il y a un escalier qui les amuse de sa volute. Enfin les murs sont décorés de mille souvenirs. C’est qu’ici passèrent tous ceux qu’une fausse gloire ou peut-être une gloire véritable retint au cours d’un demi-siècle dans ces parages boulevardiers où la renommée se fait et se défait avec son petit bruit de trompette : Grévin, Meilhac, Granval, Morny lui-même, et les Goncourt, cent têtes à gifles, cent grotesques, ambitieux, cent chansonniers, cent danseurs, cent écrivains, cent gobergeurs de monde, avec leurs barbes, leurs moustaches, leurs favoris et leurs cheveux. Tout cela prodiguait sa photographie, sa signature. Et il y a bien des gens qui ne sont éternels que pour les murs d’ici. Mais quelques-uns, qui étaient pauvres, payaient le coiffeur à leur façon : c’est ainsi que l’un d’eux donna un petit Horace Vernet, je crois, et qu’un nommé Gustave Courbet, qui tenait des propos anarchistes, et qui partit un jour pour Le Caire, solda sa note d’un tableau de son cru, là-bas, à droite.