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Ce lieu est régi par deux femmes ; l’une, vieille et désagréable, qui rechigne dans ses rhumatismes et que l’on aperçoit près de la cheminée dans le bureau de l’hôtel à côté du tableau des clefs ; l’autre, plus très jeune, mais très douce, brune sans doute par habitude, la vraie logeuse de cet endroit, de laquelle je me demande plus particulièrement ce qu’elle deviendra quand les démolisseurs l’auront chassée d’ici. Bavarde, l’indulgence même, elle a pris à son métier le goût de l’équivoque et de l’instabilité. Elle ne presse guère ses locataires de la payer, et ce n’est que le besoin qui l’y pousse, à la fin. L’irrégularité est ce qu’elle attend de plus naturel du plus régulier d’entre eux. Elle s’y intéresse. Et sans doute que comme tous les logeurs elle est de la police, mais elle ne parle pas de celle-ci sans effroi, sans paraître redouter quelque malheur indéfinissable. Je me souviens qu’un jour mon ami Noll avait été arrêté pour de mauvaises raisons, une histoire de tapage nocturne et de cris séditieux, et comme on avait téléphoné du commissariat pour vérifier son domicile, voilà que je survins aux nouvelles. Je trouvai sa logeuse dans la plus vive inquiétude : « Que lui est-il arrivé, Monsieur ? Ces histoires-là, c’est bien stupide. Ils ne vont pas le garder longtemps au moins. L’autre mois il y a eu un locataire ici qui a eu une histoire. » Elle poussa de vrais soupirs de soulagement quand elle le vit revenir quelques instants plus tard.

Entre les boulevards et la première entrée de l’hôtel s’étale, au rez-de-chaussée de l’hôtel, la devanture de Rey où ce libraire expose les revues, les romans populaires et les publications scientifiques. C’est un des quatre ou cinq endroits de Paris où l’on peut consulter à son aise les revues sans les acheter. Aussi y voit-on fréquemment stationner des gens jeunes qui lisent en soulevant les pages non coupées, et d’autres auxquels cette illusoire occupation donne une contenance tandis qu’ils surveillent les allées et venues du passage pour des raisons diverses, qui me vont facilement au cœur. De sa petite boîte vitrée, une seule caissière, communiquant avec la librairie par un guichet, surveille l’étalage. Aussi le vol y est-il presque aussi fréquent que chez Crès, boulevard Saint-Germain, où, en 1920, il fut volé en un an pour vingt mille francs1 de livres et de publications.

La porte de l’immeuble no 2, qui donne accès à l’escalier du meublé, permet d’apercevoir en retrait de celui-ci la loge vitrée du concierge du passage. Dire que derrière ces carreaux se confine une double existence passive, aux limites de l’inconnu et de l’aventure ! Depuis des années et des années le couple des portiers se tient dans cette taupinière à voir passer des bas de robes et des pantalons grimpant à l’échelle des rendez-vous. Depuis des années ils sont astreints à la forme de ce lieu absurde, en marge des galeries, ces deux vieillards qu’on aperçoit, usant leur vie, lui à fumer et elle à coudre, à coudre encore, inlassablement coudre, comme si, de cette couture, dépendait le sort de l’univers. D’assez curieuses floraisons décorent sans doute ces cervelles appariées. Durant les longues heures et l’obscurité, l’obscurité qui épargne le coût exagéré d’une lampe électrique, de belles formations naturelles doivent tout à leur aise s’échafauder derrière ce ménage de fronts : elle et lui, si accoutumés l’un à l’autre, que leur bavardage de convention s’est enfin espacé jusqu’au silence, ne peuvent plus accompagner le geste machinal de la pipe et de l’aiguille que de ces magnifiques dérèglements de l’imagination qu’on ne prête guère qu’aux poètes. À voir s’entrecroiser au-delà de leur vitre les pas du mystère et du putanisme, que vont-ils chercher au fond de leur esprit, ces sédentaires mordus par l’âge et l’oisiveté du cœur ? Tout un jeu de cartes obscènes, que je me plais à me représenter. La dame de trèfle… mais un jour j’ai parlé au concierge comme le conseille l’écriteau. C’était au zinc du café Louis XVI, où cet homme se payait de petites vacances, la casquette sur l’oreille et le gosier dans l’alcool.