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CHEMINS DE FER

LIGNES DE CEINTURE :

STATIONS

BELLEVILLE-VILLETTE

PONT-DE-FLANDRE

LIGNES DE L’EST :

STATION EST-CEINTURE

14 JUILLET 1883

OUSTRY, PRÉFET DE LA SEINE

ALPHAND, DIRECTr DES TRAVAUX

ALLAIN-TARGÉ, DÉPUTÉ DU 19e ARRt

MUREAU,

MAIRE

GARCIN,

MILOT,

MALLET P.,

ADJOINTS

BAILLE L. E.,SECRÉTAIRE

CATTIAUX,GUICHARD,

REYGEAL,ROYER,

CONSEILLERS MUNICIPAUX

Tout à coup Noll n’en croit plus ses yeux debout sur une échappée de pierre, au-dessus d’un vertigineux lierre grimpeur, comme un plongeur au perchoir, un spectre blanc, le vide absolu entre les jambes, apparaît en contrebas sur la grande arche qui rejoint la prairie dévalante au Belvédère, agenouillée sur une tasse de café noir. Alors André Breton prend la parole : « Vous voyez d’ici, nous dit-il, le Pont, le fameux Pont des Suicides… »

XIV

Entre les lieux sacrés qui manifestent par le monde comme des nœuds de la réflexion humaine tout le concret de quelques grandes idées surnaturelles particularisées, j’imagine qu’un païen, je veux dire un homme qui sache éprouver la nouveauté mystérieuse d’une idole, va préférer les lieux qui sont dévolus à la Mort Violente, cette divinité qui tient la hache, à côté d’un faisceau de margotin. Mais qui se demande aujourd’hui ce qu’est au juste un lieu sacré, qui se tourmente du fugitif d’une telle notion, s’étonne qu’on la laisse échapper. Pourtant ce ne saurait être pour rien qu’un concept aussi singulier s’est formé dans le premier fond de la conscience humaine. Aucun système philosophique ne peut mépriser un concept, il faut, c’est sa destinée, qu’il légitime, qu’il place en soi tous les concepts constitutifs des systèmes passés, qu’il leur donne le sens, l’acception qu’ils n’avaient point. Un système est un dictionnaire, et pas un mot n’en est banni.

Les formes d’une idée, pour concevoir ses formes locales que je me prenne à rêver un peu à cette expression précieuse, les formes d’une idée quelle timide représentation m’arrête de les envisager comme le réel de l’être dans sa richesse de circonstances, avec sa parure d’accidents, beaux bijoux individuels. Je pense des idées ce qu’on fait des personnes, dans le sens commun de ce mot, qui est mystique en diable. Et par exemple le propre de la personne, le personnel de la personne, est un élément sans fin répété, qui se retrouvera au moins à l’infime dans toute apparition de la personne, la plus lointaine, l’inattendue : que l’homme s’applique aux mathématiques, je retrouve dans la façon de s’y appliquer un peu d’une concession faite à sa mère pour une histoire saugrenue, et cette promenade un matin entre de hautes haies, il y avait un oiseau, un morceau d’étoffe rouge. Je jette en passant les bases d’une morale. Ainsi il y a dans l’idée quelque chose qui est à l’idée ce qu’est l’accidentel à la personne, l’accidentel, non pas l’inessentiel, l’accidentel de l’essence. Ainsi je peux dire sans image : la bouche d’une idée, ses lèvres, je les vois. C’est cette apparence douce que je surveille, tandis que j’écris, en proie à l’idée du baiser, et celle que j’attendais n’est pas venue, nous subissons un soir glacé où tout se mêle, et où l’esprit transparaît dans les reflets du verre et de l’argent. Cette femme auprès de moi, je comprends par tout moi-même qu’il y a une femme, qu’il y a cette femme dans chaque idée qu’en vain je cerne, qu’il y a quelque chose qui est précisément cette femme à chaque idée, et ses gestes sont les gestes de l’esprit. J’en reviens donc aux lieux sacrés.

Ce sont le plus souvent des cadres légendaires : un peu d’une grande âme s’est accrochée à ces murailles, à ces hauteurs. Ils sont réellement transmués par cette chauve-souris mémorable. Réellement. Ici ne peut se passer qu’une grande chose. La terre est noire, je dis noire exemplairement pour signifier de quelle nuit s’imprègne l’impersonnel à ce seuil de tous les mystères. Chaque grain de l’espace enfin porte sens, comme une syllabe d’un mot démonté. Chaque atome y suspend un peu de sa croyance humaine, ici précipitée. Chaque souffle. Et le silence est un manteau qui se dénoue. Voyez ces grands plis pleins d’étoiles. Le divin pose sur l’illusoire le frôlement de ses doigts déliés. Souffle sa délicate haleine à la vitre des profondeurs. Câble aux cœurs inquiets son magique message : Patience Mystère en marche et, trahi, se révèle aux lueurs. Le divin se recueille au fond d’une caresse : tout l’air du paysage est mêlé à l’idée, tout l’air de l’idée frissonne au moindre vent C’est une grande boucle brune, et vous joueriez à votre envie, la roulant et la déroulant, tant qu’à la fin vienne la fin du monde, c’est la boucle idéale où l’idée se résume, la notion concrète sortant des eaux pures, sans roseaux.

Femme tu prends pourtant la place de toute forme. À peine j’oubliais un peu cet abandon, et jusqu’aux nonchalances noires que tu aimes, que te voici encore, et tout meurt à tes pas. À tes pas sur le ciel une ombre m’enveloppe. À tes pas vers la nuit je perds éperdument le souvenir du jour. Charmante substituée, tu es le résumé d’un monde merveilleux, du monde naturel, et c’est toi qui renais quand je ferme les yeux. Tu es le mur et sa trouée. Tu es l’horizon et la présence. L’échelle et les barreaux de fer. L’éclipse totale. La lumière. Le miracle : et pouvez-vous penser à ce qui n’est pas le miracle, quand le miracle est là dans sa robe nocturne ? Ainsi l’univers peu à peu pour moi s’efface, fond, tandis que de ses profondeurs s’élève un fantôme adorable, monte une grande femme enfin profilée, qui apparaît partout sans rien qui m’en sépare dans le plus ferme aspect d’un monde finissant. 0 désir, crépuscule des formes, aux rayons de ce ponant de la vie, je me prends comme un prisonnier à la grille de la liberté, moi le forçat de l’amour, le bagnard numéro… et suit un chiffre trop grand pour que ma bouche le connaisse. La grande femme grandit. Maintenant le monde est son portrait, ce qu’elle n’a point encore absolument englobé des parcelles assemblées de son corps, ce qui n’est pas encore incorporé à son délice, à peine est épargné par mon délire. Et ce qui s’estompe, cette fumeuse réalité fuyante, est enfin réduit à l’accessoire du portrait. Montagnes, vous ne serez jamais que le lointain de cette femme, et moi, si je suis là c’est pour qu’elle ait un front où se pose sa main. Elle grandit. Déjà l’apparence du ciel est altérée de cette croissante magicienne. Les comètes tombent dans les verres à cause du désordre de ses cheveux. Ses mains, mais ce que je touche participe toujours de ses mains. Voici que je ne suis plus qu’une goutte de pluie sur sa peau, la rosée. Mer, aimes-tu bien tes noyés pourrissants ? aimes-tu la douceur de leurs membres faciles ? aimes-tu leur amour renonçant de l’abîme ? leur incroyable pureté, et leurs flottantes chevelures ? Alors qu’elle m’aime, mon océan. Passe à travers, passe à travers mes paumes, eau pareille aux larmes, femme sans limite, dont je suis entièrement baigné. Passe à travers mon ciel, mon silence, mes voiles. Que mes oiseaux se perdent dans tes yeux. Tue, tue : voici mes forêts, mon cœur, mes cavalcades. Mes déserts. Mes mythologies. Mes calamités. Le malheur. Et dans ce zodiaque où je me perpétue, saccage enfin, beau monstre, une venaison de clartés.

La femme a pris place dans l’arène impondérable où tout ce qui est poussière, poudre de papillon, efflorescence et reflets devient l’effluve de sa chair, et le charme de son passage. J’ai suivi du regard ce sillage infini d’un navire, et dis-moi seulement, Sindbad, ce que tu penses de l’aimant qui décloua ta coque au milieu de la mer ? Pour moi que me quittent enfin ces corps étrangers qui me retiennent, que mes doigts, mes os, mes mots et leur ciment m’abandonnent, que je me défasse dans le magnétisme bleu de l’amour ! La femme est dans le feu, dans le fort, dans le faible, la femme est dans le fond des flots, dans la fuite des feuilles, dans la feinte solaire où comme un voyageur sans guide et sans cheval j’égare ma fatigue en une féerie sans fin. Pâle pays de neige et d’ombre, je ne sortirai plus de tes divins méandres. Ainsi retrouvant l’inflexion heureuse de ta hanche ou, le détour ensorceleur de tes bras dans le plus divers des lieux où me ramènent toute l’inquiétude de l’existence et cet immense espoir qui s’est posé sur moi, je ne puis plus parler de rien que de toi-même ; et ne t’y trompe pas quand je dissimulerai, tous mes mots sont pour toi, et sont ton apparence. Mes images ont pris leur glacis à tes ongles, à ta voix s’est roulé mon langage dément. Vais-je poursuivre à présent cette description mensongère d’un parc où trois amis un soir ont pénétré ? À quoi bon : tu t’es levée sur ce parc, sur les promeneurs, sur la pensée. Ta trace et ton parfum, voilà ce qui me possède. Je suis dépossédé de moi-même, et du développement de moi-même, et de tout ce qui n’est pas la possession de moi-même par toi. Toi l’emprise du ciel sur mon limon sans forme. Tout m’est enfin divin puisque tout te ressemble, et je sais par-delà ma raison et mon cœur ce qu’est un lieu sacré, pour moi ce qui le sacre. Je suis le véritable idolâtre pour lequel les temples ont été généralisés comme des maladies. Pas un lieu désormais qui ne me soit une place de culte, un autel. Et je reviens vers cette arche jetée vers une île où jadis on cherchait ma mort avec ferveur.