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Le pont tremble.

Échelles, je vous tire mon chapeau. En effet. Mon chapeau est imaginaire. Mais le pont, lui, est suspendu. Suspendu à vos lèvres, Mesdames. On n’est pas plus galant. On n’est pas plus galant qu’un pont suspendu.

*

Et il y a encore les serpentins de sentes, le lac aux oiseaux dormeurs, les canards mandarins nous leur jetons des pierres, ils savent qu’ils ne seront pas atteints, ils restent sur un perchoir dans l’eau, immobiles. Le café au-dessus, toute l’âme d’Henry Bataille, les premiers actes où il y a encore les peintres, les housses laissées aux meubles du cœur, vous ne pouvez pas me comprendre. Parc, parc et parc. Voici l’appartement des rêves : dans un défilé de rochers artificiels, un passage au fond du vallon près d’un ruisseau qui court, la cascade, à sa perte. André Breton, parfois, s’exprime en un anglais d’une rare élégance. Le fond de son discours qui se confond avec le fond de l’air est une équivoque établie entre les arbres et les mots, la prairie ressemble à un limmerick, it was a young lady of Gloucester, et un peu plus tard c’est Marcel Noll qui découvre entre les lueurs croisées dans le brouillard le charme des voyages extraordinaires au fond des grandes grottes qui se nichent, voir le plan, au sud-est de l’île où nous arrivons par une marche circulaire. J’abandonne aux rêveurs ces trous du faux rocher pour y cacher leurs hiboux et leurs araignées fileuses, et que les journalistes, révérence parler, développent ce thème à coulisse : les grottes sont les moniches de l’ombre, et j’y jouis.

MOI :

Tu te crois, mon garçon, tenu à tout décrire. Illusoirement. Mais enfin à décrire. Tu es loin de compte. Tu n’as pas dénombré les cailloux, les chaises abandonnées. Les traces de foutre sur les brins d’herbe. Les brins d’herbe. Que tous ces gens qui se demandent où tu veux vraiment en venir se perdent dans le détail, ou dans le jardin de ta mauvaise volonté. À droite, alignement, lecteurs. Dites donc, vous, l’homme au lorgnon, vous pourriez lever le menton : ce n’est pas de la merde, les étoiles. Et au commandement, tâchez à voir à vous tirer des pieds en mesure. Pas cadencé. Ils m’ont suivi, les imbéciles, comme à cette complication du jeu de saute-mouton, nommée la promenade, où derrière le preu toute la bande reprend les gestes absurdes d’un gamin dominateur. Montez cette petite colline redescendez-la : les voilà bien avancés, et moi, trop dédaigneux pour rire. Ils ne savent rien de mon orgueil. Tous ceux qui m’ont parlé croyaient en ma politesse. Mes souliers, lechez mes souliers. Et encore. Et Dieu sait où je les ai traînés, mes souliers. Jamais je ne finirai ce livre ou vous prenez goût. Il vous restera à imaginer cette sorte de Sibérie, cet Oural qui côtoie la rue de Crimée où passe le chemin de fer de ceinture. Et les portes et les accès du parc, et la poésie hors d’atteinte pour vous de lieux plus conventionnels, pour moi que… que vous ne croyez. Sombrez dans ma faiblesse, esclaves. Mes bras vont vous laisser à votre ennui, et ce goût douteux que vous aviez de moi-même vous en serez puni par la déception. J’appartiens à la grande race des torrents. Ce n’est pas pour ta pomme. Tout ce que je dis, tout ce que je pense, est trop bon pour vous, sera toujours suffisant. Ta montre, toi. Et toi ta femme. Allons, pas de manières, mettez tout à mes pieds. On ne vous demande pas votre avis, ce n’est pas la peine de murmurer dans vos gencives : JOLIE NATURE. Couchez-vous, à plat ventre, un peu plus vite que ça, eh tapis ! Je marche sur leurs corps, roi fainéant j’avance, je salis leurs vestons, et leur peau, et leur cœur. Drôles de dessins de l’Aubusson servile. Nom de Dieu, pas de révolte, paillassons. Si j’avais pensé à mettre mes souliers à clous, ou des éperons. Des éperons, ça ne serait pas mal. Rrran, rrran de la molette. Patipan, du talon. Vos gueules.

XVII

À M. Philippe Soupault, 4, avenue d’Erlanger

Monsieur le Directeur de la Revue Européenne,

N’avez-vous pas honte de publier tous les mois un recueil de paroles sans signification générale valable aux yeux abstraits de la pensée ? Fermez-vous, pervenches. Quel abîme s’est jamais creusé sous les pas de vos collaborateurs ? Le dessein de fiction, et tout l’air aimable qu’il nécessite, les tours d’intelligence des fictionnaires de l’esprit, valent-ils tout ce comportement d’écriture et d’imprimerie, les épreuves corrigées, et les petits battements de votre cœur, mensuellement, à la mise en pages ? Un grand ridicule s’abat du ciel sur ce genre d’activité. Quand le récit de telles entreprises est fait par quelque personne qui a toujours considéré l’agitation humaine à la façon vulgaire, sans inquiétude, avec ce petit hochement de la tête des bonnes femmes, alors tout le faux d’une pareille position intellectuelle apparaît. Lisez ce que dit quelque part Wanda de Sacher-Masoch de la fondation d’une revue par son mari : le cœur est soulevé, puis il retombe. Quelles gens, Seigneur. Je vous tiens ces propos, parce qu’à divers signes d’intelligence que vous me faisiez, j’ai cru plusieurs fois saisir que vous aviez une certaine notion de l’inutile et du dérisoire de tout effort. Peut-être me suis-je trompé.

J’avais donc entrepris, et particulièrement pour vous dédommager d’avances pécuniaires que vous m’aviez consenties, d’exposer une imagination que j’avais du divin, et des lieux où il se manifeste. Tout d’abord pour ne pas vous effrayer par l’ampleur d’un tel projet je vous l’avais présenté sous les traits de simples promenades, mêlées de réflexions, comme il y en a plusieurs exemples dans la littérature. Sans doute les premières pages du manuscrit vous avaient-elles déçu, vous attendant à des allusions archéologiques et rêveuses. Mais elles n’avaient pas déplu à quelques-uns, et vous m’avez encouragé à poursuivre. Vous avez eu le bon esprit de ne pas vous courroucer de quelques abus que je fis de votre indulgence et de votre inattention, glissant çà et là quelques propos un peu libres pour la France, à votre insu, et dans l’idée qui se vérifia que vous ne vous préoccupiez pas le moins du monde de ce que vous donniez à lire au monde. Au contraire, cela parut vous enchanter, et votre éditeur lui-même m’offrit un pont d’or pour éditer luxueusement un texte, qu’il trouvait sans doute polisson. Comme on se trompe !

Moi pendant ce temps-là, comment vous dire ? Je pensais faire faire un pas à la métaphysique. Louable erreur. Mais belle sottise. Il fallait, pour que j’éprouvasse le son faux rendu par cet airain des foires, tout l’échevèlement des nuages de l’amour. Et les voici, les uns sont roses, et il y a de grandes déchirures de clarté, des ombres passagères, des balustrades pour les oiseaux. Mes mirages ne sont plus pour vous. Alors tant pis, si ça a l’air inachevé, si le promeneur qui, mon livre en main, parcourt les Buttes, se rend compte qu’à peine j’ai parlé de ce jardin, que j’en ai négligé l’essentiel.

XVIII

À quoi un homme a consenti, ce qu’il y a dans ce premier pas qui l’engage, et l’invraisemblable écheveau des bonnes raisons de poursuivre une entreprise insensée, voilà ce qu’il suffît un instant d’éprouver pour que cesse l’enchantement. Oui, j’ai commencé à mêler le paysage à mes paroles, j’ai pensé à décrire une figure de l’esprit, et joignant l’exemple à la réflexion, j’ai proposé une voie au frisson, j’ai secoué les poussiéreuses ramures où mouraient les nymphes décolorées, j’ai cru que mon plaisir se mariait à la lumière d’une idée, et puis, que voulez-vous pourtant que tout cela me fasse ? Vous attendez cette distraction, de celui que rien n’a distrait de soi-même. Que l’indulgence du mépris retombe à jamais sur vous. Il n’appartient pas à moi de tirer de l’ennui ces malades lecteurs. Qu’ils périssent, qu’ils se fanent dans la nuit du silence où de vagues histrions grimacent sans douleur le semblant des douleurs humaines.