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La sphère de la notion est pareille au fond de la mer. Elle s’enrichit, elle s’exhausse des stratifications dues au mouvement même de la pensée, et dans ses bancs elle englobe des trésors, des navires, des squelettes, tous les désirs égarés, les volontés étrangères. Le bizarre chemin suivi par ce médaillon que donna dans la nuit une main blanche, d’une boutique éclatante dans un paysage de brume et de musique jusqu’à ce sédiment blond où il voisine avec une méduse et les agrès vaincus de quelque anonyme Armada. La notion est aussi le naufrage de la loi, elle est ce qui la déconcerte. Elle m’échappe où je l’atteins. J’ai peine à m’élever au particulier. Je m’avance dans le particulier. Je m’y perds. Le signe de cette perte est toute la véritable connaissance, tout ce qui m’est échu de la véritable connaissance.

Ce métal précieux que j’ai cherché, qui est le seul bien désirable, qui est le seul devenir de ma pensée, que je le considère dans ma main, que je puisse en fixer la trace avant qu’il ait fui, ce métal, je le reconnais. J’ai déjà eu de tout parfois ce reflet dans une coupe. J’ai bu ce champagne idéal. Sans prendre conscience de la marche de mon esprit, sans en passer par ce détour méditatif, ces retours, ces dénouements. Du plus rapide apercevoir une apparition se levait. Je ne me sentais pas responsable de ce fantastique où je vivais. Le fantastique ou le merveilleux. C’est dans cette zone que ma connaissance était proprement la notion. J’y accédais par un escalier dérobé, l’image. La recherche abstraite me l’a fait tenir pour une illusion grossière, et voici qu’à son terme la notion, dans sa forme concrète, avec son trésor de particularités, ne me semble plus en rien différente de ce mode méprisé de la connaissance, l’image, qui est la connaissance poétique, et les formes vulgaires de la connaissance ne sont, sous le prétexte de la science ou de la logique, que les étapes conscientes que brûle merveilleusement l’image, le buisson ardent.

Je sais ce qu’une telle conception choque, et l’objection qu’elle comporte. Un certain sentiment du réel. Pur sentiment. Car où prend-on que le concret soit le réel ? N’est-il pas au contraire tout ce qui est hors du réel, le réel n’est-il pas le jugement abstrait, que le concret ne présuppose que dans la dialectique ? Et l’image n’a-t-elle pas, en tant que telle, sa réalité qui est son application, sa substitution à la connaissance ? Sans doute l’image n’est-elle pas le concret, mais la conscience possible, la plus grande conscience possible du concret. D’ailleurs peu importe l’objection quelle qu’elle soit qu’on oppose à une semblable vue de l’esprit. Cette objection même est une image. Il n’y a pas, foncièrement, une façon de penser qui ne soit une image. Seulement la plupart des images, faiblement prises, ne comportent dans l’esprit qui les emploie aucun jugement de réalité, et c’est par là qu’elles gardent ce caractère abstrait, qui fait leur pauvreté et leur inefficience. Le propre de l’image poétique à l’encontre de l’image essentielle, pour m’en remettre à ce qualificatif médiocre, est de comporter ce caractère de matérialisation, qui a sur l’homme un grand pouvoir, qui lui ferait croire à une impossibilité logique au nom de sa logique. L’image poétique se présente sous la forme du fait avec tout le nécessaire de celui-ci. Or le fait, que personne jamais n’a songé à contester, fût-ce Hegel, et même celui-ci ne lui accordait-il pas une importance prépondérante, le fait n’est point dans l’objet, mais dans le sujet : le fait n’existe qu’en fonction du temps, c’est-à-dire du langage. Le fait n’est qu’une catégorie. Mais l’image emprunte seulement la forme du fait, car l’esprit peut l’envisager en dehors de lui. L’image donc aux divers stades de son développement apparaît à l’esprit avec toutes les garanties qu’il réclame des modes de sa connaissance. Elle est la loi dans le domaine de l’abstraction, le fait dans celui de l’événement, la connaissance dans le concret. C’est par ce dernier terme qu’on en juge, et qu’on peut brièvement déclarer que l’image est la voie de toute connaissance. Alors on est fondé à considérer l’image comme la résultante de tout le mouvement de l’esprit, à négliger tout ce qui n’est pas elle, à ne s’adonner qu’à l’activité poétique au détriment de toute autre activité.

Taisez-vous, vous ne me comprenez pas : il ne s’agit pas de vos poèmes.

C’est à la poésie que tend l’homme.

Il n’y a de connaissance que du particulier

Il n’y a de poésie que du concret.

La folie est la prédominance de l’abstrait et du général sur le concret et la poésie.

Le fou n’est pas l’homme qui a perdu la raison : le fou est celui qui a tout perdu, excepté sa raison. (G. K. Chesterton.)

La folie n’est qu’un rapport, comme le raisonnable le réel. C’est une réalité, une raison.

Je trouve l’activité scientifique, un peu folle, mais humainement défendable.

Les consolations de la logique. Il ne s’est jamais trouvé quelqu’un pour dire : Il faut une logique pour le peuple. Ce n’est pas mon affaire. Cela se soutiendrait.

Mon affaire est la métaphysique. Et non pas la folie. Et non pas la raison.

Il m’importe très peu d’avoir raison. Je cherche le concret. C’est pourquoi je parle. Je n’admets pas qu’on discute les conditions de la parole, ou celles de l’expression. Le concret n’a d’autre expression que la poésie. Je n’admets pas qu’on discute les conditions de la poésie.

Il y a une sorte de persécutés-persécuteurs qu’on nomme critiques.

Je n’admets pas la critique.

Ce n’est pas à la critique que j’ai donné mes jours. Mes jours sont à la poésie. Soyez persuadés, rieurs, que je mène une vie poétique.

Une vie poétique, creusez cette expression, je vous prie.

Je n’admets pas qu’on reprenne mes paroles, qu’on me les oppose. Ce ne sont pas les termes d’un traité de paix. Entre vous et moi, c’est la guerre.

En 1925, le journal Le Figaro, dans son supplément littéraire, a demandé s’il fallait ou non élider les e muets dans les vers, si l’on devait en alterner les rimes. Vous ne vous conduirez jamais autrement, tels que je vous connais, à l’égard de ma pensée. Jugez par là de vos jugements de ma vie.

Elle ne m’appartient plus, ma vie.

Je l’ai déjà dit.

Je ne me mets pas en scène. Mais la première personne du singulier exprime pour moi tout le concret de l’homme. Toute métaphysique est à la première personne du singulier. Toute poésie aussi.

La seconde personne, c’est encore la première.

Aujourd’hui qu’il n’y a plus de rois, ce sont les savants qui disent : Nous voulons. Braves gens.

Ils croient toucher le pluriel. Ils ne connaissent pas leur vipère.

Je ne m’égare pas, je me domine. Toujours quelque absurdité plus que l’essentiel retient l’œil dans un paysage. Mon point de vue a un beau découvert.

Décidément, je n’admets pas la critique.

Je suis au ciel. Personne ne peut empêcher que je sois au ciel.

Ils ont mis le ciel ailleurs. Ils ont oublié mes yeux en imaginant les étoiles.

Pour l’esprit, qu’est-ce donc, l’enfer ?

De divers espoirs que j’ai eus, le plus tenace était le désespoir. L’enfer : ma morale, voyez-vous, n’est pas liée à mon optimisme. Je n’ai jamais compris la consolation.

Le ciel ne m’aidera pas.

C’est extraordinaire, ce besoin qu’ils ont d’une morale consolatrice.

Ni fleurs ni couronnes.

Prodigues en deçà, avares au-delà : ils ne prêtent leur vie qu’à la petite semaine, ils veulent se retrouver dans leur mort.