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Le Coroner abonda dans ce sens :

— C’est absolument mon opinion, madame, c’était d’ailleurs déjà mon opinion, eu égard aux témoignages formels que j’ai recueillis. Aussi, je me propose de faire remettre Mme Françoise Lemercier en liberté, dès demain…

Mme Davis, voyant le magistrat en de si bonnes dispositions, lui posa une nouvelle question :

— Monsieur le Coroner… ?

— Quoi, madame ?

— Monsieur le Coroner, quand remettrez-vous en liberté un autre innocent ? Notre ami, notre collègue, le détective Tom Bob ?

— Je ne vous comprends pas, madame…

— Vous savez bien que Garrick et Tom Bob ne font qu’un… et qu’il est impossible de croire à la culpabilité de Tom Bob.

Le magistrat prit un temps, puis solennellement, plein d’emphase, il déclara :

— Je suis fort éloigné de penser comme vous : le dentiste Garrick est très catégoriquement prévenu de l’assassinat de sa femme, et tant qu’il ne sera pas innocenté de ce chef, je le maintiendrai en prison.

« Je crois volontiers comme vous que Garrick et Tom Bob ne font qu’un… Mais Tom Bob ou Garrick… me fait l’effet d’un bandit audacieux, et je le suppose très capable de vouloir essayer de se prévaloir de sa qualité de détective pour faire douter de sa culpabilité d’homme privé… Des policiers criminels… cela s’est vu…

— Possible, monsieur, mais Tom Bob… songez donc… le chef du Conseil des Cinq… notre chef…

— Madame, vous savez mieux que personne, par votre profession, qu’il faut s’attendre à tout… les détectives, membres du Conseil des Cinq comme Tom Bob, comme vous, comme Shepard, bénéficient d’une liberté telle…

— Monsieur le Coroner, supplia Mme Davis, je vous assure que Garrick-Tom Bob est innocent… de grâce libérez-le…

— Madame Davis je prétends, moi, Coroner, chargé de l’instruction de l’affaire dont nous nous entretenons, que Garrick-Tom Bob est coupable et je maintiens que Garrick-Tom Bob, jusqu’à preuve formelle du contraire, est l’assassin de sa femme… Madame Davis, je vous salue…

10 – AU CONSEIL DES CINQ

— Parbleu !.. autant vaudrait demander à la colonne de Trafalgar de se transporter toute seule sur la tour de Londres !… jamais cette serrure ne sera brillante, pour cette bonne raison qu’elle est couverte de rouille, et qu’il faudrait du temps sec pour la conserver en état… or, quand ce n’est pas la pluie qui tombe, c’est le brouillard ! Bah ! soyons philosophe ; faire cela ou autre chose… et d’abord allumons une bonne pipe… C’est égal, si le sergent me confiait une autre mission, je n’en serais pas fâché… racler cette maudite ferraille avec un vieux couteau, la passer ensuite au papier de verre, la frotter aussi vigoureusement que le gagnant du Derby après sa victoire, et tout cela pour n’obtenir aucun résultat, c’est vraiment décourageant… Enfin, il y en a de plus malheureux que moi…

Le vieux Teddy, l’un des gardiens de la prison d’Old Bailey, la maison d’arrêt où sont détenues toutes les personnes en prévention de délits ou de crimes, monologuait ainsi cet après-midi-là, tout en se préoccupant, – sans entrain d’ailleurs – de faire reluire la grosse serrure d’une porte basse, aussi vermoulue que sa fermeture était rongée par la rouille.

Le vieux Teddy avait raison de se plaindre du mauvais temps.

On était aux premiers jours du mois de mai, et en dépit des promesses du calendrier, le printemps ne s’était pas encore manifesté à Londres par une seule journée claire et joyeuse.

C’était toujours le temps gris, coupé de brume jaune, cependant qu’une humidité moite entretenait le froid et les rhumatismes.

Le cadre dans lequel évoluait le vieux Teddy n’avait rien qui pût atténuer le caractère maussade de la journée.

Des passants allaient et venaient, tous appartenant au personnel de la prison. On se serait cru à cent lieues de tout lieu habité, et nul n’aurait pu se douter que ce temple du silence et du calme était tout proche du Strand, la plus bruyante, l’artère la plus active de la Cité de Londres.

Après avoir allumé sa pipe minutieusement, précautionneusement, après en avoir tiré quelques larges et voluptueuses bouffées, Teddy allait reprendre son travail, c’est-à-dire frotter avec résignation la vieille serrure qui refusait de se départir de sa carapace de rouille, lorsqu’un bruit insolite le fit s’arrêter et se retourner.

Qui étaient ces gens qui entraient ?

— Encore des importuns, assurément, ce n’est pourtant pas l’époque des visites… Mais, c’est qu’ils sont un régiment…

Le vieux Teddy, dans sa mauvaise humeur furieuse, exagérait. Ils étaient trois et non trois mille. Deux messieurs, une dame.

Machinalement, Teddy s’avançait à leur rencontre.

À peine eut-il fait quelques pas dans leur direction qu’il poussa une exclamation :

— Monsieur Shepard, comment vous portez-vous ?

Teddy venait, en effet, de reconnaître le détective qu’il avait si souvent eu l’occasion de rencontrer dans les couloirs d’Old Bailey.

Shepard, avec un sourire aimable, tendit une main robuste au gardien, mais comme celui-ci allait lui poser questions sur questions, d’un geste il l’interrompit.

Shepard avait pris dans sa poche un papier plié en quatre.

C’était un ordre venant de la Chancellerie. Shepard, silencieusement, le tendit à Teddy ; le vieux gardien lut :

« Laissez communiquer le prévenu Garrick avec le détective Shepard et les deux personnes qui l’accompagnent. L’entretien aura lieu dans le parloir, sans témoins. Toutefois deux gardiens se posteront à l’extérieur, devant la porte. »

Poliment, Teddy mit sa pipe dans sa poche, essuya ses mains jaunes de rouille, puis touchant sa casquette :

— Je m’en vais aller faire contresigner votre autorisation au bureau de la sous-direction, nous passerons ensuite au greffe où l’on fera mander le prisonnier, vous l’attendrez au parloir… J’espère que vous n’aurez pas à attendre longtemps…

— Je l’espère aussi.

***

La police anglaise est assurément, sinon mieux organisée que celle des autres nations civilisées, du moins beaucoup mieux considérée, et plus largement payée.

Elle se compose, dans le Royaume-Uni, de deux catégories bien distinctes :

Ce sont tout d’abord les gardiens de la paix qui ont pour fonctions principales de veiller à l’ordre public, d’opérer les arrestations en cas de flagrant délit, de prêter assistance et main-forte aux citoyens qui requièrent leur concours, de faire en réalité œuvre de surveillance.

L’autre partie de la police anglaise, la plus délicate, mais la plus importante, se compose d’un groupe d’hommes que l’on peut comparer aux inspecteurs de la Sûreté.

Ce sont les détectives ou agents en civils qui enquêtent, étudient, examinent, recherchent et sont à même de rendre des services d’autant plus grands à la Société qu’ils bénéficient de l’incognito.

Au-dessus du cadre des détectives se trouve un Conseil supérieur de police comprenant de cinq à sept membres, et composé des meilleurs détectives ayant une spécialité particulière et excellant chacun dans cette spécialité.

Lorsqu’il s’agit d’instruire une affaire mystérieuse, délicate ou complexe, de rechercher un criminel ignoré ou habile, ce conseil se réunit. Les détectives examinent l’affaire et selon les circonstances, ils désignent un ou plusieurs d’entre eux pour prendre en mains la direction des poursuites.

Le choix s’effectue en toute liberté ; il est guidé par les aptitudes respectives de chacun.