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Ce n’était pas le sentiment maternel, mais Jack, une fois mort et enterré, son mari n’hésiterait pas à demander le divorce, à se débarrasser d’elle.

Puis il y avait eu l’entrevue avec lord Duncan, la voix mystérieuse qui lui ordonnait chez Duncan même de taire la mort de son fils.

Cela, c’était samedi.

À présent, ce dimanche soir, Nini Guinon, de plus en plus perplexe, attendait, dans son logement, au milieu du silence.

Les apaches, ses voisins étaient partis faire la bombe et avaient laissé Nini Guinon seule avec son enfant, car Nini Guinon, subtile et méfiante n’avait informé personne du décès du petit Jack, survenu l’avant-veille…

Nini Guinon, qui, machinalement, allait et venait dans la pièce, tressaillit en entendant sonner dix heures.

— Il devrait être là, murmura-t-elle…

La jeune femme, le matin même avait reçu par la poste un billet ainsi conçu :

« Serai avec Jack, chez toi, ce soir avant dix heures. »

Billet étrange en vérité, car le texte qui semblait écrit à l’encre, au bout de deux heures avait disparu et il n’était resté entre les mains de Nini qu’une feuille de papier blanc…

Le mystérieux billet était signé Fantômas, et elle se rappelait le mariage avec Ascott, puis la mort du père et du frère d’Ascott.

Oui, Fantômas.

Nini Guinon en était là de ses réflexions, lorsqu’un craquement se fit entendre à la porte de son logement :

Dominant ses nerfs, surmontant ses appréhensions, Nini Guinon fut à l’entrée du logis, et à travers la porte demanda :

— Qu’est-ce que c’est ?

Du dehors, une voix :

— Fantômas… Nini Guinon, ouvrez…

Elle ouvrit.

Fantômas se présenta à elle, mais Fantômas comme elle ne l’avait jamais vu encore. Le Fantômas de la légende qui, désormais, devenait pour elle celui de la réalité.

Manteau noir. Chapeau noir. Les traits dissimulés sous une cagoule, noire aussi. Il referma la porte derrière lui.

— Sotte, dit-il, avouer que Jack est mort, est-ce une chose à faire ? Le dire à Duncan que tu tiens uniquement parce qu’il se croit des devoirs de père envers cet enfant, c’est stupide. Heureusement que j’étais là. Jack est mort, vive Jack ! Tiens, prends-le.

Fantômas déroula des linges, et de ces linges émergea un joli bambin rose, robuste, bien bâti qui, innocemment sourit à la jeune femme, la considérant de ses grands yeux interrogateurs.

Nini Guinon était mère, après tout.

Les larmes lui montèrent aux yeux : elle songea soudain en voyant ce petit enfant, si joli, si vivant, si plein de santé, qu’à quelques pas de là, dans la pièce voisine, dissimulé sous les couvertures du berceau, gisait le petit cadavre…

— Nini, ordonna Fantômas, à partir de ce soir ce gamin-là qui s’appelait jusqu’à présent Daniel s’appelle Jack et c’est ton fils. Mercredi prochain tu montreras à lord Duncan l’être qui est né de tes entrailles… Tu lui feras voir Daniel, je veux dire Jack… car désormais il n’est plus de Daniel au monde ! Entends-tu ? est-ce compris ?…

— C’est compris, dit-elle, mais je me demande…

— Ne te demande rien, sotte, et obéis. Voilà ton fils… ne retiens que cela. Songe que sans moi tu étais perdue… Grâce à moi, tu es sauvée… ou est l’autre ?…

— L’autre ?

Mais Fantômas insistait :

— L’autre te dis-je ?…

Nini Guinon, avec des gestes d’automate, passa dans la pièce voisine.

Elle découvrit le berceau.

Sans délicatesse, mais sans brusquerie, Fantômas, avec l’allure d’un homme décidé s’empara du cadavre, l’enveloppa dans les mêmes linges qui lui avaient servi à apporter quelques instants auparavant le petit Daniel…

— Eh bien, quoi ? interrogeait-il, qu’attends-tu ?

Nini Guinon allait formuler quelques explications. Lorsqu’elle s’arrêta de parler, Fantômas lui-même écoutait.

De la première pièce du logement s’élevait un vagissement. C’était le petit Daniel que l’on avait laissé seul dans la pièce et qui pleurait :

— Maman !

Fantômas, de la main qui lui restait libre, empoigna Nini Guinon par la nuque, qui demeurait immobile, presque prostrée au pied du berceau vide :

— Eh bien, grogna-t-il, qu’attends-tu donc ?

Il ajouta avec un ricanement sardonique :

— Tu n’entends donc pas qu’il t’appelle ?… Nini Guinon, va t’occuper de ton fils… de ton fils Jack.

La jeune femme, affolée, revenait à peine de sa surprise, de son émotion qu’elle entendait claquer la porte…

Fantômas avait disparu. Avec lui s’en allait pour toujours le cadavre du petit Jack.

— Maman… criait le petit Daniel.

3 – L’OTAGE

— Bigre ! cela fait du bien de s’asseoir !…

Jérôme Fandor alluma sa lampe qu’il posa sur la table, puis se jeta sur son lit.

Jérôme Fandor paraissait accablé de fatigue…

— Passer une nuit, ce n’est rien, monologuait-il, mais la passer dans les conditions où je viens de passer la dernière, en découvrant des choses ahurissantes, en conduisant des enquêtes invraisemblables, cela mérite du repos… je suis rompu… D’ailleurs la journée que je viens de vivre y est bien aussi pour quelque chose… j’ai couru, trotté, enquêté de tous les côtés… Vrai ! j’ai bien le droit d’être un peu tranquille…

Le journaliste n’acheva pas sa phrase : il bondit de son lit et se mit à se promener à grands pas dans sa chambre…

— Quelle tête va faire Juve, pensa le jeune journaliste, quand il va recevoir mon télégramme. Pas explicite du tout mon télégramme !… Je lui dis seulement que j’ai retrouvé Fantômas, cela en réponse à sa propre dépêche m’avertissant qu’il sait où est lady Beltham… Il y a de quoi l’estomaquer…

Ah ! Juve, certes, serait surpris, au reçu de la dépêche que lui envoyait Fandor…

— Il va venir me rejoindre à Londres, songeait encore le journaliste… C’est notre bonne vie de luttes et de dangers qui reprend, c’est la guerre qui recommence après une longue trêve… Mais ce n’est pas tout ça, au travail. J’ai promis à Juve de lui envoyer des explications.

Jérôme Fandor qui, tout à l’heure, parlait de se reposer retrouvait son activité coutumière. Il s’assit devant son bureau, tira de son sous-main une large feuille de papier à lettre, et de son écriture bizarre, indéchiffrable presque, commença la lettre suivante :

Mon bon Juve,

Vous avez dû sauter de joie en recevant ma dépêche, mais, tel que je vous connais, après un instant de réflexion, vous avez dû, aussi, douter de mes affirmations, douter de la vérité, ne pas croire que j’avais réellement rencontré Fantômas. Je ne vais pas m’amuser à vous faire languir. Je ne vais pas accumuler des phrases pour exciter votre curiosité. D’abord je tombe de sommeil, et puis j’ai pitié de vous. Voici donc les faits dans toute leur éloquence…

Mais Fandor s’interrompit, et jetant son porte-plume :

— Au diable l’inventeur du faux-col, sacra-t-il, le mien me scie le cou. Ma foi, comme je suis seul dans ma chambre, au diable l’élégance…

Le journaliste déboutonna sa veste, se libéra le cou.

Plus libre, il revint à sa table de travail où, par habitude il posa à côté de lui, bien à portée de main, son revolver…

Mon bon Juve, poursuivit Fandor, qui avait repris la plume, j’ai découvert un filon extraordinaire. C’est d’abord qu’un riche lord, lord Duncan, n’est autre que notre vieil ami Ascott. Ascott était le nom de ce cadet de lord Duncan. Lord Duncan père est mort, le frère aîné d’Ascott est mort. Ascott est devenu lord Duncan. Sachant cela, je me suis attaché à la piste de ce dit lord Duncan. Était-il toujours marié avec l’infâme Nini Guinon ? Était-il toujours victime de l’extraordinaire chantage qu’avait réussi sur lui Fantômas, sous les apparences du père Moche ? J’ai retrouvé Nini Guinon dans la pègre, où elle mène une existence lamentable de noce, de débauche, de tout ce que vous voudrez… J’ai retrouvé Nini Guinon mère d’un enfant de lord Duncan, un enfant qui s’appelait Jack. Mais j’ai retrouvé Nini précisément au moment où le petit Jack venait de mourir. Ne me demandez pas s’il est mort de mort naturelle ou s’il a péri victime de manœuvres criminelles, je n’en sais rien… Tout ce que je sais, c’est que sa mort pouvait avoir de terribles conséquences pour Nini et pour Fantômas. Comment Nini, en effet « tenait-elle », c’est l’expression consacrée, son illustre époux, lord Duncan ? Par l’enfant, tant que l’enfant vivait. Lord Duncan ne pouvait rien contre Nini, l’enfant mort, il était évidemment bien libre de rompre avec la mère indigne, et comme j’imagine d’autre part que si Fantômas s’était donné le mal de marier Nini avec celui qui devait devenir lord Duncan, ce n’était pas sans motifs, il dû être fort ennuyé de la mort du petit Jack… l’enfant lui étant nécessaire pour faire chanter le père. Mais qu’est devenu Fantômas ?