La douleur du condamné était horrible… il prononçait d’étranges paroles en vérité…
Mistress Davis interrogea d’une voix sourde :
— Il n’y a plus que « lui » qui puisse la sauver, dites-vous ?… Tom Bob, de qui parlez-vous ?
À la question nette et précise de mistress Davis, Tom Bob semblait hésiter :
— Lui ? répétait-il, lui ? ah, vous devriez le comprendre, je parle… de Dieu.
Mistress Davis regardait, interloquée, Tom Bob…
Tom Bob n’avait jamais manifesté une grande piété, cela avait même souvent attristé le révérend Hope, et voilà que maintenant il invoquait le Seigneur ?
— Que faire ?… que faire ? répéta la jeune femme…
Tom Bob, d’un bond se redressa :
— Avant tout, disait-il, retournez d’urgence près de Françoise. Votre surveillance, si elle ne peut la sauver, doit au moins suffisamment gêner les assassins pour rendre plus difficile leur horrible besogne… allez… allez… moi je vais aviser…
Et comme mistress Davis, très surprise de l’attitude du condamné, s’apprêtait à partir sans autre remarque, Tom Bob la rappela :
— Dites, Davis, ordonnait-il d’une voix calme, en passant au poste des gardiens, demandez donc que l’on m’envoie le policeman chargé de faire avec moi ma partie de cartes quotidienne…
23 – VENGEZ-MOI
Précédé du porte-clés, Juve, quelques minutes à peine après que mistress Davis eut quitté Garrick, faisait son entrée dans la cellule du condamné à mort.
De la voix rauque qui lui était habituelle, le gardien annonçait :
— Garrick, voilà votre partenaire… vous devenez enragé pour les cartes, ma parole…
— J’aime assez cela, répondit le prisonnier qui, tournant le dos à l’entrée de la cellule, affectait de ne pas se retourner…
— Eh bien, alors jouez, continua le gardien, et bonne chance !…
Le policeman s’introduisit dans le cachot, le gardien s’éloigna, il boucla soigneusement la porte, son pas lourd enfin ébranla en échos lointains les couloirs interminables de la prison…
Certain qu’on ne pouvait plus l’entendre, le policeman 416, Juve, interrogea d’une voix calme :
— Vous m’avez demandé Fantômas ?
— Je vous ai demandé…
Brusquement, le condamné qui, jusqu’alors n’avait pas changé de posture se retourna, regarda Juve… Et Juve, muet de stupéfaction, recula d’un pas :
— Fantômas, qu’avez-vous ?
— Un horrible chagrin.
Sur le visage du bandit, un visage blême, grimaçant, où les yeux allumaient un reflet fiévreux, deux grosses larmes roulèrent lentement.
Que pouvait avoir Fantômas ? pensait Juve, pour qu’il soit dans un tel état, pour qu’un tel désespoir apparaisse dans son maintien…
Juve, après quelques secondes de contemplation muette, répéta :
— Vous avez un chagrin et vous m’avez demandé ? moi ?… je ne comprends pas.
— Juve, vous rappelez-vous notre causerie de l’autre jour ?
— Je m’en souviens, Fantômas !
— Vous souvenez-vous que, donnant donnant, si vous m’avez confié que lady Beltham vous avait échappé, si je vous ai avoué que j’avais perdu les traces de Fandor, vous m’avez promis, vous, de retrouver lady Beltham avant mon exécution, et moi, de vous fournir les moyens de sauver Jérôme Fandor ? Vous vous souvenez ?
Juve, à son tour avait pâli…
Quand mistress Davis, en passant par la chambre du gardiennage, avait annoncé que Garrick désirait voir le policeman 416, Juve n’avait pu s’empêcher de tressaillir…
Si Fantômas le demandait, c’était assurément qu’il avait une proposition à lui faire ?
Juve était persuadé qu’en lui affirmant que Fandor était en vie, et que peut-être on pouvait encore le sauver, Fantômas ne lui avait pas menti…
C’était en pensant à Fandor, en se demandant si le bandit allait réellement lui donner un renseignement important, qu’il s’était précipité vers son cachot, et voilà qu’en effet, dès ses premières paroles, Fantômas parlait de Fandor.
— Je me souviens de tout cela, répondait enfin Juve, je vous ai promis de vous amener lady Beltham, Fantômas, je vous l’amènerai.
— Juve, je vous ai promis de vous faire retrouver Fandor, je vous le ferai retrouver…
« Juve, reprit Fantômas, une fois déjà, je vous ai demandé que nous causions en amis. Pouvez-vous, une heure durant, me faire confiance ? voulez-vous, pour une heure, m’aider ?
— Vous faire confiance ?… oui, Fantômas… Vous aider ? Non. Vous êtes le génie du mal, tout ce que vous faites aboutit à d’horribles conséquences. Je ne veux être en rien, même au prix de la vie de Fandor, l’instrument de vos œuvres…
— Juve, vous vous trompez lourdement, grossièrement… Entre gens comme nous, je vous assure qu’il ne devrait pourtant pas y avoir de méprises de ce genre. C’est un compromis que je vous offre, mais c’est un compromis acceptable. Je n’ai pas l’intention de vous demander quoi que ce soit qui puisse répugner à votre conscience, car je sais que vous me le refuseriez… Mais j’entends vous demander de m’aider, de m’aider à une œuvre morale, nécessaire, je vous prie de m’éviter d’épouvantables chagrins, un deuil…
— Un deuil ? dit Juve. Quoi, vous êtes menacé d’un deuil… Lady Beltham ?
— Non ! non, je vous ai déjà dit, Juve, que j’ignorais où était lady Beltham. Je ne vous ai pas menti, je ne sais rien d’elle. Ce n’est pas d’elle que je m’inquiète…
— De qui alors ?
— De qui… de…
Mais Fantômas, à son tour, n’acheva pas la phrase commencée…
Elle était difficile entre toutes à conclure, l’entente qui devait lier Juve au bandit, le policier au criminel. Et Fantômas lui-même, quelle fût son audace, quel que fût son génie, tremblait d’avoir à prier Juve, d’avoir à se mettre à sa merci…
Pourtant, comme les deux adversaires, un instant, étaient demeurés silencieux, c’est Fantômas encore qui reprit la parole :
— Écoutez, Juve, vous êtes persuadé que je suis un être méprisable, incapable de sentiments un peu nobles… Avant même de vous adresser ma requête, il me plaît de me placer entièrement entre vos mains… J’imagine qu’après cela, vous vous sentirez vous-même mon obligé, vous vous devrez de me servir…
— Fantômas, ne me confiez pas vos secrets, si vous pensez qu’en me les confiant, vous puissiez m’entraîner à devenir votre complice. Loyalement, je vous le répète, pas même dans l’espoir de vous tenir à merci, je n’accepterai de contribuer…
— Non non… ne me parlez pas ainsi, Juve. Les minutes sont trop graves. Écoutez-moi, sans arrière-pensée. Vous avez ma parole de bandit que je vais vous dire la vérité, et c’est de Fandor que je veux vous parler… mais je ne veux rien vous demander, encore une fois, que vous ne puissiez faire…
— Parlez… parlez donc…
— Juve, déclarait gravement Fantômas, vous avez sur terre une affection, une seule, Fandor. Juve, vous ne savez pas ce qu’est devenu votre ami, et vous feriez n’importe quoi pour le retrouver… Juve, si en ce moment il était en mon pouvoir de vous indiquer exactement les moyens de sauver Jérôme Fandor, je vous les donnerais… Mais il n’en est pas ainsi…
— Vous ne pouvez pas me dire où est Jérôme Fandor ?
— Non…
— Mais qu’avez-vous donc fait de lui ?
— Écoutez-moi…
Fantômas précipita ses aveux. Il raconta au policier comment il s’était emparé du journaliste, comment, voulant en faire un otage dont il se servirait pour l’effrayer, lui, Juve, pour paralyser ses enquêtes de policier, il avait enfermé le journaliste dans une chambre mystérieuse, aménagée par ses soins…