Françoise morte, Juve songeait que Fantômas, peut-être, se renfermerait dans un mutisme dédaigneux, refuserait de l’aider à sauver Fandor…
Si jamais le bandit s’obstinait à ne vouloir guider le policier qu’au cas où celui-ci retrouverait lady Beltham avant sa mort, Juve devait s’avouer que le sort de Fandor était compromis. Où chercher lady Beltham ? où la retrouver dans les trois jours qui restaient avant l’exécution de Garrick ?
Et tandis que Juve réfléchissait, sombrement inquiet, il tressaillit, entendant le bandit lui dire encore :
— Juve, Juve, vengez-moi, en vengeant Françoise… Allez là-bas !… Ah, si vous avez besoin d’une nouvelle promesse, je vous la donne encore… Arrêtez les assassins de Françoise, mettez tout en œuvre pour me faire voir lady Beltham avant ma mort et, de même que je ne doute pas de vous, ne doutez pas de moi : je vous jure que, de mon côté, je m’arrangerai pour que vous puissiez retrouver votre ami.
24 – LA CAPTURE DE BEAUMÔME
La maison qu’habitait la malheureuse Françoise Lemercier, dans la cité de Londres, comportait, comme la plupart des demeures anglaises, deux issues bien distinctes.
L’une, la principale, qui faisait communiquer les appartements avec Jewin Street, l’autre, réunissant l’immeuble à une courette intérieure qui elle-même aboutissait sur un passage étroit, passage par lequel les fournisseurs, porteurs de charbon, etc., avaient coutume de faire leurs livraisons.
Françoise Lemercier était morte vers quatre heures de l’après-midi. Il était maintenant huit heures du soir, et depuis que la malheureuse jeune femme avait rendu le dernier soupir, une activité fébrile n’avait cessé de régner dans le voisinage.
Tout d’abord, c’étaient les commères, les voisines, qui, flairant la sinistre issue de la maladie, épiant aux portes depuis déjà quelques heures, s’étaient introduites dans l’appartement sitôt la nouvelle connue.
Mines patelines, figures désolées, elles avaient curieusement considéré le modeste intérieur, frémi à la contemplation du cadavre encore chaud, et aussi, par manière de politesse, adressé des condoléances plus ou moins sincères à l’unique amie que la défunte avait eu à ses côtés pendant les quelques jours qu’avait duré sa maladie.
Cette unique amie, c’était Nini, Nini Guinon, la mystérieuse femme de lord Duncan, mais dont nul ne connaissait la qualité.
Nini était là, le regard fixe, l’œil sec, les membres légèrement tremblants. Elle surmontait son émotion, mais on s’étonnait presque de la voir si forte, si résignée. On l’applaudissait, on l’admirait de ne pas se livrer à un désespoir bruyant.
— Cette Française, disaient les voisines, a décidément tout le flegme, tout le calme d’une Anglo-Saxonne…
Et à coup sûr, par son attitude, Nini Guinon qui en imposait déjà aux Anglaises, aurait pu se glorifier de sa fermeté, de son sang-froid si l’on avait su, soupçonné même les tragiques circonstances qui faisaient que sa compatriote était morte, et les motifs qui faisaient qu’elle avait passé de vie à trépas…
Après les commères, c’était le tour d’un personnage tout vêtu de noir qui venait faire à Nini ses offres de service pour la rédaction des faire-part, l’organisation des obsèques.
Nini affirma qu’elle n’avait aucune qualité pour passer la commande, mais, néanmoins, elle engageait l’employé des pompes funèbres à se charger des démarches. La famille paierait sûrement, par la suite.
Quelques instants après, cet homme survenait, assisté d’un officier de police, un médecin de la Ville chargé de constater le décès. Il confiait à Nini le permis d’inhumer, recommandait de prendre certaines précautions sanitaires, eu égard à la mort de Françoise Lemercier, décédée, feignait-on de croire à la suite d’une fièvre d’un caractère épidémique peut-être.
Puis, c’étaient des fleurs qu’on avait apportées : les voisines étaient intervenues, s’offrant à faire la toilette de la morte, et Nini avait consenti…
Pendant qu’on y procédait, la soi-disant amie de Françoise Lemercier s’était retirée dans une pièce voisine où on avait entassé pêle-mêle la plupart des objets, des linges, des vêtements qui avaient servi à la défunte pendant les derniers jours de son existence.
Avec un soin minutieux, Nini tria ces objets, en fit plusieurs paquets.
Ce travail était si absorbant qu’elle s’y adonnait encore longtemps après le départ des femmes qui s’étaient occupées d’installer la morte sur son lit de repos.
La nuit était tombée. Nini, machinalement, avait allumé une lampe. Désormais elle était seule et malgré sa force de caractère, elle éprouvait une vague inquiétude, elle ressentait un certain effroi à l’idée qu’elle allait peut-être passer la nuit en tête à tête avec celle qui, désormais, dormait son dernier sommeil… avec sa victime.
Rester dans la chambre de la morte ! Jamais. Il y avait bien une pièce voisine, une sorte de petit salon où Nini se serait volontiers installée, mais elle redoutait également de s’y établir car, depuis une heure environ, les hommes qui, le lendemain, devaient effectuer la mise en bière, étaient venus y déposer un cercueil…
Nini, superstitieuse malgré tout, inquiète, ne voulait pas non plus passer la nuit à côté de cette boîte oblongue qui demeurait ouverte et béante, paraissant immense dans la petite pièce.
Et Nini se réfugiait dans la cuisine, préférant y rester toute la nuit plutôt que de choisir entre l’une des sinistres compagnies qui s’offrait à elle, lorsqu’un grattement léger se fit entendre à la porte qui donnait sur le couloir.
La mégère tressaillit, puis alla ouvrir.
Un minable individu se présentait devant elle qu’elle accueillit d’un cri de joie étouffé.
C’était Beaumôme.
— Ah ! s’écria Nini sitôt qu’elle eut fait entrer l’apache dans l’appartement, je t’attendais depuis ce matin… tu sais ce qui est arrivé…
— Oui, répliqua Beaumôme, j’ai appris cela dans le quartier, alors ça y est…
Ils se regardèrent. L’un et l’autre avaient pâli. Beaumôme interrogea :
— Rien à boire ici ? j’ai couru pour venir, il fait soif…
Nini prit dans le placard une bouteille de gin à demi pleine, en versa une rasade à son amoureux sinistre, elle-même en prit une bonne rasade :
— Ça remonte, murmura-t-elle.
Beaumôme voulut boire encore puis, lorsque l’eau-de-feu eut étanché sa soif ardente, il se préoccupa des détails pratiques :
— Le linge, fit-il, faudrait voir à s’en débarrasser, des fois que les « curieux » de par ici voudraient y fourrer leur nez…
— C’est juste, observa Nini, j’y avais déjà pensé, j’ai déjà fait un paquet avec les draps…
— Faut les détruire au plus vite…
L’apache et celle qu’il espérait voir devenir un jour sa maîtresse s’étaient enfermés dans la cuisine, et s’efforçaient de bourrer le fourneau avec l’énorme quantité de linge qu’ils prétendaient faire disparaître…
Mais ils étaient à la fois maladroits et pressés.
En dépit de leurs efforts, le tirage s’effectuait mal, le linge, humide probablement, ne voulait pas se consumer, il dégageait une fumée épaisse, âcre, suspecte…
— Mon Dieu, murmura Nini alarmée, on va se demander ce que nous faisons…
Elle s’arrêta, indécise, cessant d’attiser le feu.
Mais Beaumôme était l’homme des décisions promptes. Il arracha du fourneau le paquet de linge, le jeta sur le carreau de la pièce, s’empara d’une toile grise qu’il venait de trouver dans un coin, fit un volumineux ballot du tout.
— Qu’est-ce que tu comptes faire ? interrogea Nini…