Mais le sergent de police n’eut cure de ses déclarations. En considérant Juve, en voyant de quel ton assuré cet homme venait de lui parler, il était prêt de soupçonner qu’à coup sûr, le policier ne parlait pas au hasard…
— Je le ferais bien, répondit-il enfin, ce que vous me proposez, monsieur… car cet homme m’apparaît, en effet, avoir des procédés équivoques… mais… je ne vous connais pas ? Vous demandez deux heures avant de m’apporter des précisions… vous allez donc faire une enquête ?… Si j’accepte votre offre, je vous préviens que je vais vous faire accompagner par un de mes hommes, car, si, d’aventure, vous vous moquiez de la police, il serait bon que vous en soyez puni et sévèrement.
Juve réprima un geste de nervosité.
Certes, il ne prétendait pas se moquer de la police, tout au contraire, mais il avait besoin d’être seul pour réaliser le projet qu’il méditait.
D’autre part comment se débarrasser du sergent et surtout du policeman qui allait s’attacher à ses pas, sans éveiller les soupçons de ces hommes, sans les inciter à croire qu’il n’était qu’un mauvais plaisant, et par suite les pousser à relâcher Beaumôme ?
Juve, encore qu’il eût désiré le cacher le plus possible, n’hésita plus. Il se souvint qu’il était lui aussi policeman et, aux yeux stupéfaits du sergent, il exhiba sa carte d’identité, les preuves indiscutables de l’emploi qu’il occupait.
— Vous êtes des nôtres, s’écria le sergent, alors ça va bien, je vous donne rendez-vous dans deux heures au poste de police. On décidera s’il y a lieu ou non de maintenir en état d’arrestation l’individu que vous avez fait appréhender.
25 – LE TRIOMPHE DE JUVE
Deux heures.
Juve avait deux heures devant lui.
À peine s’était-il écarté du petit groupe qui entraînait Beaumôme, que le policier sautait dans un taxi et se faisait conduire à la prison.
Ce que Juve voulait tenter était assurément bien extraordinaire, presque invraisemblable, car il était tout frémissant lorsque dans la petite chambre qui lui était réservée dans le pavillon précédant le greffe, il revêtit son uniforme de policeman. Quel pouvait donc être le but que poursuivait cet homme ? et pourquoi mettait-il, une fois habillé, un tel empressement, une hâte fébrile à traverser la cour, à faire constater sa présence au bureau des gardiens-chefs, et à se diriger vers la cellule de Tom Bob ?
Cela tenait tout simplement à ce que Juve, ou pour mieux dire le policeman 416, était de service auprès du prisonnier Garrick, et qu’il était plus que temps de rejoindre son poste.
Telle était du moins l’opinion qu’auraient pu avoir la plupart des gens, en voyant le policeman se dépêcher à travers les couloirs.
Mais quiconque aurait entendu la conversation qu’il engageait quelques instants après avec le détenu, aurait estimé que le souci d’être à l’heure n’était pas la seule préoccupation qui hantait le cerveau de Juve.
Garrick et le policeman, en présence du gardien, s’étaient salués presque cordialement, affectant de se donner l’un à l’autre leurs qualifications officielles.
— Bonsoir Garrick, avait dit Juve…
— Bonsoir « 416 », avait répliqué Fantômas…
Mais sitôt qu’ils furent seuls, l’entretien changea de tournure. Rompant avec les banalités du début, car avec angoisse il sentait s’écouler les minutes, Juve déclara :
— Fantômas, je viens d’enquêter chez votre malheureuse amie Françoise.
— Eh bien ?
— Eh bien j’avoue que si j’ai quelque idée, et je suis bien persuadé que ceci ne vous étonnera pas, relativement à la culpabilité de Nini, je ne m’imagine point encore, comment, pratiquement, elle a pu empoisonner votre maîtresse… Pourtant je viens de faire une rencontre… Sortant de chez Françoise j’ai croisé Beaumôme, l’apache Beaumôme que j’ai fait arrêter provisoirement…
Fantômas paraissait profondément troublé :
— Vous avez arrêté Beaumôme, pourquoi Juve ?
— Il fuyait, emportant un paquet de linge…
— Un paquet de linge…
C’était d’une voix torturée, hésitante, que Fantômas venait de répéter les derniers mots du policier…
Juve ne s’y trompait pas. Certes, il ne comprenait pas encore l’importance exacte du paquet qu’il avait vu emporter par Beaumôme, mais il se doutait qu’en le signalant à Fantômas, rapidement il arriverait à savoir la vérité, la vérité que le bandit devinait, devait deviner, c’était sûr.
Fantômas, d’ailleurs, blême, décomposé, paraissait en proie au plus grand trouble. Après avoir tardé à reprendre l’entretien, il interrogea soudain, brutal :
— Eh bien, qu’attendez-vous de moi, Juve ?
— Une explication, Fantômas !… Vous m’avez dit de vous venger, de venger Françoise… Je suis persuadé que maintenant vous avez les moyens de m’y aider. J’ai fait retenir au poste Beaumôme, avant d’aller solliciter du Coroner un mandat d’arrêt, en ma qualité de policeman. J’ai voulu vous voir pour obtenir de vous une collaboration. Voyons, Fantômas : comment Nini et Beaumôme, car ils doivent être complices, ont-ils pu empoisonner Françoise ?
Une nouvelle hésitation se peignit sur le visage de Fantômas. Le bandit répugnait à aider Juve. Pourtant il se décida :
— Juve, déclarait-il, s’il ne s’agissait de venger Françoise, vous n’obtiendriez rien de moi. Mais on l’a tuée, elle qui était innocente, elle que j’aimais. En s’en prenant à elle, c’est à moi que l’on a déclaré la guerre… Soit. Ce n’est pas impunément que l’on me brave. Vous voulez l’explication de ce crime ? la voici. Nul ne comprend comment Françoise a pu être empoisonnée, je vais vous le dire, car je sais ce que Fantômas a fait jadis. Juve, poursuivit son interlocuteur, Fantômas jadis a eu l’occasion de tuer ou pour mieux dire de faire mourir par le poison quelqu’un dont il voulait se défaire, il s’est contenté pour cela de saupoudrer de façon répétée, les draps du lit de sa future victime avec de l’arsenic en poudre… Cette poudre par les pores de la peau, peu à peu, lentement a pénétré dans l’organisme. La victime, condamnée par Fantômas, est morte sans qu’on ait jamais su pourquoi… Juve, quelque chose me dit qu’on a empoisonné la pauvre Françoise Lemercier de la même manière… Juve, si vous m’en croyez, faites analyser les draps du lit dans lequel a expiré cette malheureuse.
Haletant, incapable de dissimuler son émotion, Juve, muet d’horreur, buvait littéralement les paroles de son adversaire.
Et, soudain, le voile se déchira. Il comprit que l’atroce machination dont avait été victime l’infortunée Françoise, devait avoir été manigancée, préparée comme le disait Fantômas. Fantômas, mieux que personne, savait toutes les manières de tuer. Ah, décidément, c’était un adversaire confondant, admirable, ça n’était pas seulement l’insaisissable Fantômas, c’était encore et toujours le Génie du Crime.
Il se ressaisit néanmoins.
— J’ai compris, Fantômas, merci. Je vais pouvoir faire maintenir Beaumôme en prison, vous serez vengé.
Et comme s’il eût été douloureux de n’arrêter l’apache que pour venger Fantômas, Juve ajouta :
— D’ailleurs, Beaumôme est aussi l’assassin de French. J’en suis sûr, j’en ai la preuve.
— La preuve !… Êtes-vous certain de ce que vous avancez, Juve ?
— Oui, certain…
Juve prit dans son portefeuille les documents qu’il avait volés chez Nini Guinon, les photographies prises par French, et qu’avait déjà dérobées, chez le photographe Sigissimons, le nègre Job, ce complice de la bande…
Or, sur ces photographies que Fantômas considérait anxieusement, apparaissait, à côté de lady Beltham, la silhouette caractéristique de l’apache Beaumôme. C’était ce voisinage, joint à mille autres détails, qui avait déterminé Juve à voir en Beaumôme l’assassin de French…