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Une autre porte grinça, et la visiteuse eut l’impression que l’on passait du vestibule dallé de mosaïque, dans une pièce au sol garni d’un tapis.

Tant de mystère l’inquiétait, et elle ne put s’empêcher d’observer à mi-voix :

— Comme il fait noir, pourquoi n’a-t-on pas de lumière ici ?

La mystérieuse personne qui avait introduit ainsi l’énigmatique nouvelle venue tint compte de la remarque qui lui était faite, car un instant après on entendit le claquement sec d’un commutateur électrique, et la pièce s’éclaira.

Dans un salon coquettement décoré de meubles clairs, aux formes élégantes, les deux femmes se dévisagèrent.

Toutefois celle qui venait d’ouvrir à l’autre, en apercevant sa visiteuse, laissa échapper un grand cri de stupéfaction :

— Nini Guinon, s’écria-t-elle…

Nini Guinon, car c’était elle, en effet, qui venait d’arriver dans la maison solitaire de Rosendal Avenue, parla à son tour.

— Mais qui êtes-vous, demanda-t-elle, en apercevant la personne qui venait de la reconnaître…

Nini Guinon était en face d’une grande femme, jeune, élégante et mince, dont l’abondante chevelure blonde avait des reflets étincelants d’or fauve.

Cette femme avait une ligne majestueuse, une silhouette admirable. Instinctivement, on était tenté de dire qu’elle avait un port de reine.

Ces traits, cette tournure, Nini Guinon, peu à peu croyait pouvoir les identifier. Elle connaissait cette physionomie, ce visage.

Elle creusa sa mémoire, et soudain la lumière se fit dans son esprit.

— Madame Garrick… vous êtes madame Garrick… n’est-ce pas ?

La grande dame blonde ne broncha pas, mais un imperceptible tremblement confirma Nini Guinon dans sa supposition.

— Pourquoi est-ce vous ? comment se fait-il que je vous trouve ici, chez moi, alors que j’attendais Françoise Lemercier ?…

Nini Guinon prit une mine hypocrite, elle feignit un air désolé :

— Françoise Lemercier, murmura-t-elle, madame n’est plus de ce monde… elle est morte hier… elle m’a chargé de la remplacer auprès de vous…

Mme Garrick – ou tout au moins cette femme que Nini Guinon avait identifiée comme telle, sur la foi de sa ressemblance avec les portraits publiés par les journaux de la femme disparue, – eut un rire ironique, et d’une voix frémissante d’indignation, elle apostropha son interlocutrice :

— Nini Guinon, dit-elle, vous êtes un monstre… si Françoise Lemercier est morte, c’est parce que vous l’avez assassinée… Ah, j’ai été prévenue trop tard… il aurait fallu agir plus tôt…

Nini Guinon pinça les lèvres, serra les poings.

Peut-être l’horrible femme regrettait-elle son audace, peut-être maintenant qu’elle se sentait découverte, démasquée, craignait-elle d’être tombée dans un piège tendu par un redoutable adversaire, par quelque subtil justicier…

Nini Guinon paya d’audace :

— Je viens chercher, dit-elle, l’enfant de Françoise Lemercier…

Nini Guinon fit quelques pas vers la pièce voisine, où elle venait d’apercevoir, sommeillant sur un fauteuil, le jeune enfant de la malheureuse défunte.

Mais son interlocutrice se jeta devant elle, l’empêchait de passer :

— Nini Guinon, déclara-t-elle, c’est assez d’avoir volé Daniel une première fois, vous ne recommencerez pas…

Nini Guinon pâlit affreusement… Cette femme savait donc tout… Qui pouvait-elle bien être ?

Mais Nini Guinon, soudain, eut un éclair.

Les dernières paroles de la grande femme blonde venait d’orienter son raisonnement, elle avait désormais le souvenir, de plus en plus précis d’une silhouette mystérieuse… de la silhouette de la personne qui, quinze jours auparavant, une certaine nuit, alors que Nini Guinon était ivre et reposait sur son grabat, gorgée de whisky, était venue lui enlever le petit Daniel que jusqu’alors Nini Guinon faisait passer pour Jack.

Perdant toute mesure, la meurtrière de Françoise Lemercier menaça son interlocutrice :

— Ah ! je sais maintenant, s’écria-t-elle, je sais tout… C’est vous qui avez pris Jack, c’est vous qui m’avez volé mon fils… Rendez-le moi… Madame qu’en avez-vous fait ?

La grande dame ne se laissa pas intimider par les imprécations de Nini Guinon.

— Eh bien oui, reconnut-elle, c’est moi… c’est moi qui ait été reprendre Daniel chez vous, Nini Guinon, car je sais aussi que le petit Jack est mort, et que pour tromper votre mari, vous avez fait passer Daniel à sa place…

— Misérable, cria Nini Guinon qui se précipita sur la grande dame, vous me perdez…

Celle que Nini Guinon prenait, à juste titre peut-être pour Mme Garrick ne recula pas, et toisant dédaigneusement l’abominable pierreuse :

— C’est possible, fit-elle… je vous perds, mais vous le méritez…

— L’enfant, je veux l’enfant…

— Inutile, vous ne l’aurez pas, et, l’auriez-vous, qu’il ne vous servirait à rien. Lord Duncan est prévenu de l’horrible substitution que vous avez faite…

— Prévenu… hurla Nini Guinon… par qui ?…

— Prévenu par moi.

Ces paroles étaient tombées comme un glas. Il y eut un silence.

Mais soudain, l’interlocutrice de Nini Guinon poussa un cri de terreur.

La pierreuse, trompant la surveillance dont elle était l’objet, avec la rapidité de l’éclair s’était élancée dans la pièce voisine où sommeillait le petit Daniel.

Elle était armée d’un poignard.

Nini Guinon, au paroxysme de la colère, se précipita sur l’enfant, et dans un geste affreux, lui perça la poitrine de l’arme dont elle s’était emparée.

Daniel ne poussa pas un soupir, mais un flot de sang rouge jaillit de sa blessure, cependant que soudain ses lèvres blanchissaient…

— Voilà, hurla Nini Guinon… vous n’avez pas voulu me le rendre. Il ne sera pas à vous non plus…

Nini Guinon n’acheva pas.

Une détonation retentit, la misérable s’écroula sur le plancher en poussant un cri.

Son interlocutrice venait de la foudroyer d’un coup de revolver à bout portant…

Désormais sur le tapis moelleux du salon, le sang de Nini Guinon venait se mêler à celui de l’innocente victime, que la misérable avait assassinée, l’instant précédent, pour assouvir sa rage folle.

Mais à la vue de ces deux cadavres la femme blonde pâlit à son tour, manqua défaillir en considérant le spectacle.

Ainsi donc, en l’espace de quelques instants, deux êtres avaient trouvé la mort. Ce salon délicat, charmant, meublé avec goût, une véritable bonbonnière, devenait brusquement le théâtre du plus affreux carnage.

La grande dame s’appuyait au chambranle de la porte, sentant ses jambes se dérober sous elle :

— Qu’a-t-elle fait, gémit-elle, la malheureuse qu’a-t-elle fait ?…

Puis elle murmurait encore :

— Et moi-même, qu’ai-je fait ?

— … Vous avez fait justice, madame, déclara une voix grave.

La meurtrière se retourna, et cette fois à la vue du personnage qui se présentait devant elle, elle demeura muette de terreur.

Le nouvel arrivant la considérait impassible, les bras croisés.

La femme blonde s’effondra, elle tomba à genoux dans le sang :

— Juve, fit-elle… c’est vous… Juve… comment êtes-vous ici ?…

Mais le policier se précipita et, de ses mains nerveuses, il serrait le poignet de la femme tragique :

Celle-ci dans un effort suprême avait repris le revolver avec lequel elle avait abattu comme un chien Nini Guinon, et sa main tremblante l’appuyait sur son front :

— Qu’alliez-vous faire ?

— J’allais me tuer, je veux en finir, tout est perdu…

Juve, cependant l’avait désarmée, il l’obligeait à se lever, à quitter la pièce où reposaient les cadavres, la contraignait à s’asseoir dans une bergère basse du salon voisin.