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Fantômas ne devait pas encore être loin de la prison où il avait conduit celui dont il voulait faire un otage que Jérôme Fandor déjà réfléchissait, s’apprêtait à la lutte… Le journaliste, par acquit de conscience, avait minutieusement examiné son cachot, il s’était vite convaincu que Fantômas ne l’avait en rien trompé : l’extraordinaire chambrette était merveilleusement calfeutrée, à coup sûr, rien ne lui aurait servi d’appeler, il n’aurait pu an aucune manière se faire entendre, il ne pouvait davantage s’évader…

Quelle était d’ailleurs cette chambre bizarre ?

Fandor s’en faisait mal une idée.

L’hôtel où il habitait, où Fantômas avait eu l’audace inouïe de se saisir de sa personne, tenait plus de la maison meublée que de l’hôtel proprement dit. Le bandit avait pu facilement, supposait le journaliste, y aménager une chambre en prison, et s’arranger en louant les pièces avoisinantes pour que nul ne pût découvrir ou aider celui qu’il entendait y maintenir captif. En tout cas, Fandor l’avait noté malgré son émotion, le réduit qu’il occupait se trouvait au rez-de-chaussée de l’immeuble…

Le logis dans lequel Fandor se trouvait n’avait qu’une porte fermée par de robustes serrures… Aucune fenêtre ; la lumière électrique.

Être l’otage de Fantômas, ce n’était pas rassurant. Un frisson d’angoisse courait au long de l’échine du journaliste, quand le malheureux songeait qu’il était aux mains de l’énigmatique et cruel Maître de l’Épouvante. Mais en même temps un espoir le rassurait : il y avait Juve.

— Je suis l’otage de Fantômas, soit ! se disait Fandor, si Fantômas a besoin d’un otage, c’est qu’il a besoin de traiter avec Juve, s’il a besoin de traiter avec Juve, c’est que Juve menace d’être plus fort que lui… ayons confiance, Juve me sauvera…

D’ici là, il fallait, sous peine de sentir sa raison craquer, consacrer toute son énergie à une besogne quelconque. Fandor bientôt entreprenait d’user ses menottes à la lime fixée au mur.

Les heures passaient, interminables, consacrées à ce travail de libération…

— Fantômas m’a dit qu’il reviendrait me voir aujourd’hui ?… Comment se fait-il qu’il ne soit pas encore là ?…

Hélas, cette question, le journaliste devait se la poser à maintes reprises…

Les journées, plusieurs, se succédaient. Nul ne venait le visiter…

— Il m’abandonne, songeait Fandor… si je n’avais pas des conserves, j’en conclurais qu’il veut me condamner à périr de faim… mais les approvisionnements dont je dispose sont largement suffisants pour plus d’un mois… alors que veut dire, que signifie la non-venue du bandit ?… Est-ce que Juve, déjà ?…

Et puis, soudain, brusquement, au beau milieu d’une journée monotone où Fandor réussissait à affranchir définitivement ses mains du terrible lien des menottes, une nouvelle surprise…

Il lui avait semblé que son logis bougeait…

Et Fandor, abruti d’étonnement, se demanda :

— Mais sapristi de sapristi, qu’est-ce que cela veut dire ? suis-je donc dans une caisse, ou bien dans une roulotte automobile… et puis où m’emmène-t-on ? que va-t-on faire de moi ? ah ! Juve ! Juve !… je crois que si vous n’arrivez pas…

4 – UNE ENQUÊTE À PUTNEY

Superbe dans son uniforme sombre, coiffé d’un casque irréprochable, le policeman qui surveillait le 4e îlot de Elsted Street avisa un mendiant qui, depuis quelques minutes déjà, s’appuyait à la courte grille d’une des petites villas élevées au long de l’allée, villas élégantes, luxueuses, d’aspect uniforme, exactement semblables à toutes les villas que l’œil pouvait apercevoir à perte de vue, depuis le commencement jusqu’à la fin de la voie percée en droite ligne, et déserte encore à cette heure matinale.

Le policeman traversa la chaussée, s’approcha de l’individu :

— Qu’est-ce que vous faites-là ?… ce n’est pas un lieu pour dormir. Partez…

L’autre, le misérable, le contempla avec une grande gravité, et tout le respect dû à la haute situation de « policeman ».

— Je ne fais rien, officier… je ne dormais pas… j’attendais…

— En vérité !… quoi donc ?

Le mendiant eut un geste vague, un sourire parut flotter sur ses lèvres :

— Officier, répondit-il enfin, j’attendais qu’il passe quelqu’un que je connais. Mais ce damné garçon a dû trop boire de whisky hier, et je le suppose en retard. Oui, vraiment. Ce qui fait que je vais m’en aller…

Et tandis qu’il s’éloignait, le policeman, flegmatiquement, suivait des yeux le pauvre bougre.

— Je n’aime pas, pensait le digne policeman, que de pareils individus se reposent ici.

Et toujours digne, l’air sévère, le maintien imposant, le policeman reprit sa promenade, marchant soigneusement au centre de la rue où les voitures, avec une régularité admirable, un respect de l’ordre extraordinaire, tenaient rigoureusement leur gauche…

***

Cette courte scène se passait à Putney, dans un des quartiers les plus luxueux de Londres, l’un de ceux où se trouvent les plus somptueux petits hôtels habités par les riches commerçants de la Cité qui, chaque soir les heures de travail terminées, les affaires achevées, reviennent à grand renfort d’ « autos », de « cabs » ou même de « métropolitain » rejoindre cet endroit paisible.

C’était lundi matin. Après le triste dimanche anglais, Londres se ranimait, reprenait son va-et-vient accoutumé, un va-et-vient d’aspect bizarre, très affairé, certes, un va-et-vient de gens pressés, un va-et-vient de gens silencieux. C’était partout la rumeur des choses en mouvement, des roues de voitures qui sautent sur le pavé et des pas qui martèlent les trottoirs, mais aucune exclamation, aucun rire, aucune parole.

Tous ceux qui suivaient Elsted Street se rendaient évidemment quelque part, et trouvaient naturel de ne pas penser – en quelque sorte, de ne point vivre – jusqu’à ce qu’ils y fussent arrivés.

Par exception d’ailleurs, il faisait ce matin-là un clair soleil de printemps. Huit heures venaient de sonner. À chaque villa, les jalousies s’ouvraient sur les bow-windows, les gens de service commençaient à faire le ménage, petites bonnes blondes bien proprettes, coiffées de bonnets élégants, portant des tabliers à bavette, comme les plus coquettes femmes de chambre de France, valets, roux, graves, dignes, froids, effectuant avec un sérieux comique les besognes les plus ordinaires, frottant une vitre avec des airs de Vinci en train de peindre la Joconde.

Putney s’éveillait. Putney faisait toilette.

Après le repos du dimanche, le quartier redevenait ce qu’il était habituellement, bourgeois, cossu, riche aussi. Un quartier privilégié, en vérité, où les pourboires étaient nombreux, où l’usage était que chaque propriétaire de villa donnât lui-même, chaque semaine, quelques pences aux petits ramasseurs de crottin.

Le policeman continuait sa promenade de long en large, inspectait toute chose de son air de grand seigneur.

Des soldats, en éclatants uniformes rouges, passèrent.

Puis, un prédicant tenta de rassembler quelques badauds pour leur reprocher de n’avoir point assez sanctifié la veille, et, découragé, alla prêcher plus loin la bonne parole…

Et ce fut la sortie des bonnes allant porter les commandes, que les fournisseurs s’empresseraient de faire livrer.

Le policeman avait quitté le milieu de l’avenue.

Debout sur le bord d’un trottoir, il surveillait le passage des domestiques, échangeant avec certaines petites cuisinières de glorieux sourires.

— Salut, miss Mary…

— Salut, officier…

Et jamais, ni lui, ni elles n’ajoutaient une phrase de plus…

Pourtant, comme fatigué de sa station immobile, le policeman recommençait à faire les cent pas, il parut sortir de son apathie, et fronçant les sourcils, traversa rapidement la chaussée, se dirigeant vers l’autre côté de la rue.