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Juve salua et attendit qu’on voulût bien l’interroger.

Sans toutefois paraître se préoccuper de sa présence, le coroner continuait sa conversation avec Shepard. Le magistrat tenait à la main plusieurs photographies, que Juve ne put apercevoir sans une vive émotion.

C’étaient des portraits de lady Beltham.

Le coroner déclarait :

— Shepard, il faut l’arrêter au plus tôt. Cette femme, nous assure-t-on, se cache en Angleterre. Il est de notre devoir d’opérer sa capture.

Shepard opinait de la tête :

— Vous pouvez être assuré, monsieur le coroner, que nous allons faire l’impossible pour nous saisir de lady Beltham… ce qui nous permettra de savoir pourquoi la maîtresse de Fantômas a fait assassiner French et pourquoi elle voulait se faire passer pour l’épouse défunte du condamné Garrick.

Juve ne bronchait pas, mais son inquiétude augmentait. Qu’était-il donc arrivé ? et si l’on avait découvert que Mme Garrick et lady Beltham ne faisait qu’une, s’était-on aperçu aussi que le formidable bandit détenu dans la prison sous le nom de Garrick n’était autre que Fantômas ? Or, chose extraordinaire, Juve, qui aurait été si satisfait d’une telle solution quelque temps auparavant, la redoutait à présent, car il se disait :

— Fantômas démasqué, lady Beltham arrêtée, c’est le châtiment assuré pour les deux coupables, mais c’est aussi la perte certaine de Fandor, car les bandits, convaincus que je les aurai trahis, se refuseront à tenir leurs promesses, à me dire ce qu’est devenu mon malheureux ami.

Mais Shepard venait de l’appeler auprès de lui, le détective lui expliquait :

— Il faut que je vous mette au courant, policeman, des derniers événements, car nous allons avoir besoin de vous. Voici la photographie d’une femme, regardez-la bien.

Shepard montrait à Juve le portrait de lady Beltham.

— Cette femme, continuait le détective, nous avons cru un moment que c’était Mme Garrick, mais nous avons appris par des communications venues de France, par les aveux du Bedeau, arrêté hier à Paris, par de nouvelles déclarations de Beaumôme, incarcéré, grâce à vous, par d’autres détails encore, que cette femme, qui prétend être Mme Garrick, sans doute pour dissimuler sa véritable personnalité, n’est autre que lady Beltham, la maîtresse du sinistre bandit, la maîtresse du formidable Fantômas. On ignore qui est Fantômas, où il est… et cela n’est pas notre affaire pour le moment, de chercher à le découvrir. Mais nous savons que lady Beltham est en Angleterre, à Londres. Elle y a été vue, tout récemment. Plusieurs de nos agents s’occupent de la découvrir. Je connais vos qualités, policeman 416, et d’accord avec M. le coroner, nous avons décidé de vous confier le soin de rechercher la maîtresse de Fantômas.

Cependant que Juve blêmissait, Shepard, en lui tendant un mandat d’arrêt, sur lequel figurait le nom de lady Beltham, mandat que venait de signer le coroner, ajoutait à l’oreille de son subordonné :

— Cette arrestation, policeman 416, vous vaudra, je vous l’assure, vos galons de sergent…

Ah ! décidément, la vie aventureuse et mouvementée que menait Juve lui ménageait les plus extraordinaires surprises ! Voici que par un hasard miraculeux, au moment où précisément il amenait lady Beltham à la prison de Pentonville, il apprenait que la police anglaise, découvrant soudain l’identité de la grande criminelle et lui contestant la qualité d’épouse de Garrick, se disposait à l’arrêter.

Et c’était lui, Juve, que l’on chargeait de cela.

Et c’est à lui que l’on disait ignorer où se trouvait Fantômas, alors que Juve savait qu’il se trouvait dans la cellule toute proche.

Juve songea un instant qu’il avait désormais à son entière merci le couple des formidables criminels. Lady Beltham amenée par lui, impatiente, anxieuse de voir Fantômas, l’attendait dans une voiture, à quelques mètres de la porte de la prison. D’autre part, derrière les sombres murs de Pentonville, Fantômas, enfermé dans son cachot, attendait sans s’en douter la décision de Juve…

Jamais la situation n’avait été meilleure, et cependant Juve n’en profiterait pas.

Ah ! une terrible lutte se livrait en lui ! Sa conscience lui commandait d’agir, lui dictait cette déclaration :

« Oui, cette femme dont vous avez sous les yeux la photographie, c’est bien lady Beltham, la maîtresse de Fantômas, et elle se trouve, ne soupçonnant rien, à cent mètres d’ici. Quant à Garrick, que vous maintenez en prison, que vous allez pendre demain matin, c’est Fantômas lui-même. Il suffira d’un mot, d’une confrontation des deux bandits, pour le proclamer à la face du monde entier. »

Mais ces paroles, Juve ne les prononça pas…

Parler ainsi, provoquer la déchéance des monstres, c’était assurément signer l’arrêt de mort de Fandor, que Fantômas tenait à sa merci.

Ah ! l’effroyable dilemme.

Il fallait commettre une iniquité pour en empêcher une autre.

Juve, pour sauver Fandor, devait devenir le complice de lady Beltham et de Fantômas…

Sans qu’un muscle de son visage n’ait tressaillit, Juve avait envisagé ces diverses hypothèses.

Estimant qu’il fallait enfin répondre quelque chose, il se tourna vers Shepard :

— M. le détective, déclara-t-il, je regrette de ne pouvoir accepter la mission que vous me confiez. Pour des raisons qui me sont personnelles, je désire résilier mes fonctions. J’irai toutefois, jusqu’au bout de la mission qui m’a été assignée, et j’assisterai, conformément à votre désir, à l’exécution de Garrick… Demain toutefois, après la mort du coupable, le policeman 416 vous redemandera sa liberté.

Aux interrogations cordiales, aux objurgations chaleureuses du détective, longtemps Juve opposa d’irrévocables dénégations.

— « 416 » demanda Shepard, ce n’est pas votre dernier mot, je suppose ?

— Monsieur le détective, poursuivit Juve, je ne puis revenir sur cette décision… Peut-être un jour pourrai-je vous expliquer les motifs qui m’ont déterminé à la prendre.

— C’est bien, dit Shepard, je prends note de votre démission, vous n’appartiendrez plus à la police anglaise à partir de demain, dix heures du matin.

Juve salua le coroner, Shepard, puis se retira lentement.

Le policier quitta la prison, et à peine arrivé dans la rue, rejoignit la voiture où l’attendait toujours lady Beltham.

— Eh bien ? interrogea celle-ci, dont le majestueux visage se dissimulait sous de longs voiles sombres.

Le policier jeta une adresse au cocher, puis s’installant dans la voiture, à côté de la grande dame, il chuchota :

— Nous avons failli tout perdre…

27 – LES PETITS BÉNÉFICES DU BOURREAU

Dame Betty, ménagère diligente, mais perpétuellement grognon, s’était levée ce matin-là de moins bonne humeur que d’habitude.

Dame Betty était descendue en retard de quelques minutes sur l’horaire qu’elle s’était fixé depuis une dizaine d’années, et qui réglait minutieusement les opérations diverses qu’elle devait accomplir chaque jour, depuis la lecture de la Sainte Bible qu’elle faisait le matin, épouvantablement sévère derrière d’énormes lunettes rondes descendues sur son nez, jusqu’à la lecture du journal qu’elle entreprenait, le soir, après avoir mis ses papillotes… et qu’elle ne poursuivait jamais, le sommeil venant toujours l’interrompre.

Dame Betty, d’une main rageuse, décrocha les volets clôturant la boutique – bonbons et jouets – qui appartenait à son maître, le très honorable M. Joé Lamp.

Joé Lamp était exigeant. Il n’admettait point qu’on fût en retard, il ne tolérait pas que sa vieille servante fît manquer, par son peu de diligence, quelques heures de vente, quelques minutes même, et Dame Betty, qui partageait l’avarice de son maître, tenait à sa fortune comme elle eût tenu à la sienne propre, se gourmandait et tremblait dans l’attente des reproches de Joé Lamp…