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Fantômas, en effet, ignorait que depuis la veille, les détectives, ses amis, avaient fait rigoureusement interdire à quiconque l’approche de sa cellule, et cela pour préparer plus sûrement le sauvetage de celui qu’ils prenaient plus que jamais pour Tom Bob, pour leur collègue, pour un homme innocent et pour un honnête homme.

La deuxième crainte de Fantômas était la suivante :

Juve l’avait-il trahi ?

Juve voulait-il désormais sa mort ?

Juve avait-il dévoilé et prouvé que Garrick, que Tom Bob, c’était Fantômas ?

« Jeu dangereux, pensait ce dernier, car si Juve a procédé ainsi, c’est qu’il renonce à tout espoir de jamais retrouver Fandor… or, je ne puis admettre qu’il se soit résigné à cette alternative, surtout vu son attitude jusqu’à présent… Non, ce n’est pas possible… Et cependant… Fantômas s’affolait…

Avait-il peur de la mort ? Non ! Mais il ne voulait pas mourir encore. Il ne le « fallait » pas. Il ne le « pouvait » pas… Quelque chose de puissant, d’énorme, de formidable l’obligeait à vivre… Ah, ce secret qui était tout le mystère de Fantômas, toute l’explication… et peut-être l’excuse de sa monstrueuse conduite, de sa criminelle existence…

Fantômas reprenait courage…

***

À la pâle lueur qui perçait à travers les vitres dépolies de sa cellule, le prisonnier solitaire, abandonné à ses réflexions, se rendit compte que l’heure décisive approchait.

Une heure allait encore passer, une heure, ni plus ni moins longue que les autres heures.

Lorsque cette heure serait écoulée, le corps vivant, sain, robuste de Fantômas ne serait plus qu’un cadavre… ou alors…

Un bruit de clefs grinçant dans la serrure fit tressaillir le condamné.

La porte de la cellule s’ouvrit. Deux hommes parurent, Fantômas connaissait l’un d’eux. Il le salua d’un sourire énigmatique. C’était son collègue, le révérend William Hope, qui allait l’assister jusqu’à l’instant suprême…

L’autre personnage, qui apparaissait blafard, l’œil hésitant, sous le regard perçant du condamné, se présenta lui-même :

Il annonça, d’une voix mal assurée, demeurant à l’entrée de la cellule, n’osant pas y pénétrer :

— Par ordonnance du roi… je suis le shérif de Londres… chargé d’assister, Garrick, à votre exécution… je souhaite que Dieu vous aide à supporter…

Le shérif n’en pouvait dire plus, le reste de son discours se perdit dans les balbutiements.

Ce fut Fantômas qui vint au secours de l’officier gouvernemental.

— Monsieur le shérif, déclara-t-il, je vous remercie des paroles que vous venez de prononcer, je m’efforcerai d’avoir du courage…

Il poursuivit, s’adressant à William Hope :

— Mon cher Révérend, priez donc, monsieur le shérif de s’asseoir sur cet escabeau, je crains qu’il ne se trouve mal…

Le shérif défaillait, en effet : c’était un homme tout jeune, trente ans à peine, et sincèrement ému. L’attitude ferme de Garrick ajoutait encore à son émoi, si c’était possible.

Il y eu un silence.

— C’est la première fois, sans doute, monsieur le shérif, demanda le condamné, que vous allez assister à une exécution capitale ?

Inintelligiblement, le shérif répondit « Oui » à la question de Tom Bob…

Le condamné à mort continua :

— Il ne faut pas vous en émouvoir outre mesure, les hasards de l’existence m’en ont fait voir quelques-unes… ce n’est pas très dramatique…

Il poursuivait, s’animant :

— Dans les autres pays, l’exécution des sentences capitales s’entoure assurément d’accessoires plus terrifiants qu’ici : la hache en Allemagne, la guillotine en France, le garrot en Espagne, déterminent de l’effroi et de l’horreur, non seulement par la brutalité de l’acte qui est commis, mais eu égard encore à la publicité malsaine que l’on donne à ces sinistres cérémonies… Chez nous, monsieur le shérif, les choses se passent dans l’intimité, on reste entre soi. La foule avide de ces émotions malsaines ne voit rien du tout, elle est contrainte d’attendre, devant un mur de la prison, et de se dire que derrière ce mur, il se passe quelque chose… On annonçait, jadis, l’exécution du condamné en hissant un drapeau noir au-dessus de l’immeuble dans lequel venait de s’accomplir le supplice. Je crois que désormais on se contente de sonner la cloche.

Le shérif tressaillit. Cinq heures moins le quart venaient de sonner à l’horloge lointaine de la prison, avec un son de glas.

— C’est funèbre, n’est-ce pas, dit Tom Bob.

Il ajoutait en soupirant :

— Quel horrible prologue à la pendaison…

Malgré toute sa volonté, Fantômas blêmit une seconde, son regard devint farouche, ses poings se crispèrent.

Instinctivement il observait autour de lui, comme s’il eût cherché une issue pour s’échapper, mais il n’y avait rien à faire, la lourde porte de la cellule s’était refermée sur ses deux visiteurs, les murs étaient impénétrables.

Tom Bob considéra fixement William Hope qui, depuis quelques instants, lui faisait signe qu’il voulait lui passer quelque chose…

Toutefois le shérif les regardait tous deux :

Certes, il avait l’air hébété, stupide, presque incapable de raisonner, mais néanmoins cet homme pouvait voir, il ne fallait encore rien tenter…

Tom Bob se ressaisit :

— La pendaison ? déclara-t-il… Ce n’est pas le vrai mot qu’il faudrait employer, car on ne pend plus de nos jours les condamnés à mort. Grâce aux dispositifs qui font que le plancher soudain s’effondre sur le poids du corps, c’est la rupture de la colonne vertébrale qui détermine le décès… décès subit, dit-on, décès absolu, affirment les spécialistes…

— Parfois, dit le shérif, dont la pensée chavirait… On n’en meurt pas toujours…

Fantômas le considérait d’un regard étonné :

— Croyez-vous, monsieur le shérif, fit-il avec une nuance de scepticisme… les exemples alors en ce cas sont bien rares… On raconte qu’autrefois des pendus se sont ranimés, je sais bien qu’on tente chaque fois, – pour être sûr de ne pas les enterrer vivants, – certaines formalités médicales…

Du ton d’un professeur qui fait un cours, l’extraordinaire condamné continuait… Désormais, c’était à William Hope qu’il semblait s’adresser, parlant à mi-voix, par mots brefs, saccadés, comme s’il espérait que le shérif n’entendrait pas ou tout au moins comprendrait mal.

— Il faut, disait-il, dans ces cas-là, des frictions et des révulsifs violents, telles que des applications d’eau chaude sur la surface du corps et aux jambes. On prétend qu’une saignée du pied ou de la veine jugulaire sont des moyens qui peuvent être efficaces, on doit pratiquer également la respiration artificielle…

Tom Bob s’arrêta net : un coup discret venait d’être frappé à la porte de la cellule.

Une voix, celle du gardien Jacob, appela :

— Monsieur le shérif…

Sir Ellis se souleva avec peine. Effondré sur l’unique escabeau qui meublait la pièce, il lui semblait que son corps pesait une tonne.

Le shérif, pâle comme un linge, se traîna jusqu’à l’entrée de la cellule, s’appuya sur le mur à côté de la porte entrebâillée, écouta le gardien dont les paroles bourdonnaient à ses oreilles. L’instant suprême approchait, il était cinq heures moins cinq.

William Hope et le prisonnier avaient surpris cette occasion, se rendant compte que c’était le seul instant où ils pourraient s’entretenir sans être remarqués.

Toujours très maître de lui et pour ne pas attirer les soupçons, Fantômas avait dit à haute voix :