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» Je n’ai jamais essayé de retourner en Belgique… Quelqu’un m’a dit que ma mère était morte dans un asile d’aliénés et que mon père vivait encore…

» Mais il n’a jamais voulu s’occuper de nous… Il a un second ménage…

Et l’homme eut un sourire oblique, comme pour s’excuser.

— Et votre frère ?…

— Ce n’est pas la même chose… Jean était sérieux… A l’école, il a obtenu une bourse et il a pu entrer au collège… Quand j’ai quitté la Belgique pour le Congo, il n’avait que treize ans et depuis je ne l’ai pas revu…

» J’ai eu quelquefois des nouvelles, car il m’arrive de rencontrer des Liégeois… Le collège fini, des gens se sont occupés de lui pour lui permettre de suivre les cours de l’Université…

» Il y a dix ans de cela… Par la suite, tous les compatriotes que j’ai vus m’ont dit qu’ils ne savaient rien de lui, qu’il avait dû gagner l’étranger, car on n’en entendait plus parler…

» Cela m’a porté un coup de voir la photographie, et surtout de penser qu’il était mort à Brême, sous un faux nom…

» Vous ne pouvez pas comprendre… Moi, je suis mal parti… J’ai raté… J’ai fait des bêtises…

» Mais, quand je me souviens de Jean, à treize ans… Il me ressemblait, avec quelque chose de plus calme, de plus sérieux… Il lisait déjà des vers… Il passait des nuits à étudier, tout seul, en s’éclairant de bouts de bougie qu’un sacristain lui donnait…

» J’étais sûr qu’il deviendrait quelque chose… Tenez ! tout gamin, il n’aurait pas couru les rues pour tout l’or du monde… Au point que les mauvais garçons du quartier se moquaient de lui !…

» Moi, j’avais toujours besoin d’argent et je n’hésitais pas à en réclamer à ma mère, qui se privait pour m’en donner… Elle nous adorait… A seize ans, on ne comprend pas… Mais je me souviens maintenant d’un jour que j’ai été odieux, parce que j’avais promis à une gamine de la conduire au cinéma…

» Ma mère n’avait pas d’argent… Je pleurais, je menaçais… Une œuvre venait de lui fournir des médicaments et elle est allée les revendre…

» Vous comprenez ?… Et voilà que c’est Jean qui est mort, comme ça, là-bas, sous un autre nom !…

» J’ignore ce qu’il a fait… Je n’arrive pas à croire qu’il a suivi la même route que moi… Vous penseriez ainsi si vous l’aviez connu enfant…

» Est-ce que vous savez quelque chose ?…

Maigret rendit le passeport à son interlocuteur.

— Connaissez-vous, à Liège, des Belloir, des Van Damme, des Janin, des Lombard ? questionna-t-il.

— Un Belloir, oui… Le père était médecin, dans notre quartier… Le fils faisait des études… Mais c’étaient des gens « bien », qui ne me regardaient pas…

— Et les autres ?…

— J’ai déjà entendu le nom de Van Damme… Il me semble qu’il y avait, rue de la Cathédrale, une grande épicerie de ce nom… Mais c’est déjà si vieux !…

Et Armand Lecocq d’Arneville ajouta après une courte hésitation :

— Je pourrai voir le corps de Jean ?… On l’a ramené ?…

— Il arrivera à Paris demain…

— On est sûr qu’il s’est vraiment tué ?…

Maigret détourna la tête, gêné à l’idée qu’il en était plus que certain, qu’il avait assisté au drame, qu’il l’avait provoqué inconsciemment.

Son interlocuteur tortillait sa casquette, se balançait d’une jambe à l’autre, attendant qu’on lui donnât congé. Et ses yeux enfoncés dans les orbites, ses prunelles pareilles à de gris confetti perdues dans les paupières pâles rappelaient tellement les yeux humbles et anxieux du voyageur de Neuschanz que Maigret sentit dans sa poitrine un âcre pincement qui ressemblait à un remords.

VI

Les pendus

Il était neuf heures du soir. Maigret était chez lui, boulevard Richard-Lenoir, sans faux col, sans veston, et sa femme était occupée à coudre, quand Lucas entra, secoua ses épaules détrempées par la pluie qui tombait à seaux.

— L’homme est parti, dit-il. Comme je ne savais pas si je devais le suivre à l’étranger…

— Liège ?…

— C’est cela ! Vous êtes déjà au courant ? Il avait ses bagages à l’Hôtel du Louvre. Il y a dîné, s’est changé et a pris le rapide de 8h19 pour Liège… Billet simple de première classe… Il a acheté toute une pile de journaux illustrés à la bibliothèque de la gare…

— A croire qu’il le fait exprès de se jeter dans mes jambes ! grommela le commissaire. A Brême, alors que j’ignore même son existence, c’est lui qui se présente à la morgue, m’invite à déjeuner, s’accroche à moi… J’arrive à Paris : il y est quelques heures plus tôt ou plus tard… Probablement plus tôt, car il a voyagé en avion… Je me rends à Reims et il s’y trouve avant moi… Il y a une heure, j’ai décidé d’aller demain à Liège et l’y voilà dès ce soir !… Le plus fort, c’est qu’il sait parfaitement que je vais arriver et que sa présence là-bas est presque une charge contre lui !…

Et Lucas, qui ne connaissait rien de l’affaire, de supposer :

— Il veut peut-être attirer les soupçons sur lui pour sauver quelqu’un d’autre ?…

— Il s’agit d’un crime ? questionna paisiblement Mme Maigret sans cesser de coudre.

Mais son mari se leva en soupirant, regarda le fauteuil où il était si bien installé un instant auparavant.

— A quelle heure y a-t-il encore un train pour la Belgique ?

— Il n’y a plus que le train de nuit, à 21h30. Il arrive à Liège vers six heures du matin…

— Veux-tu préparer ma valise ? dit le commissaire à sa femme. Un verre de quelque chose, Lucas ?… Sers-toi !… Tu connais l’armoire… Je viens de recevoir de la prunelle que ma belle-sœur fait elle-même, en Alsace… C’est la bouteille à long col…

Il s’habilla, tira de la valise de fibre jaune le complet B et le mit, bien enveloppé, dans son sac de voyage. Une demi-heure plus tard, il sortait en compagnie de Lucas, qui questionnait, tandis que tous deux attendaient un taxi :

— Quelle est cette affaire ?… Je n’en ai pas entendu parler dans la maison…

— Et moi, je n’en sais pas beaucoup plus ! affirma le commissaire. Un drôle de gosse est mort, devant moi, bêtement, et il y a autour de ce geste-là un sacré grouillement que j’essaie de démêler… Je fonce là-dedans comme un sanglier et cela ne m’étonnerait pas si je finissais par me faire taper sur les doigts… Voici une voiture… Je te dépose en ville ?…

Il était huit heures du matin quand il quitta l’Hôtel du Chemin-de-Fer, en face de la gare des Guillemins, à Liège. Il avait pris un bain, s’était rasé, et il portait sous le bras un paquet qui contenait, non le complet B tout entier, mais le veston.

Il trouva la rue Haute-Sauvenière, une rue en pente, très animée, où il s’informa du tailleur Morcel. C’était une maison mal éclairée où un homme en manches de chemise saisit le veston, le tourna et le retourna longtemps entre ses mains tout en posant des questions.

— C’est un très vieux vêtement ! affirma-t-il après réflexion. Il est déchiré. On ne peut plus rien en tirer…

— Il ne vous rappelle rien ?

— Rien du tout… Le col est mal coupé… C’est de l’imitation de drap anglais, fabriquée à Verviers…

Et l’homme commençait à bavarder.

— Vous êtes Français ?… Ce veston appartient à quelqu’un que vous connaissez ?…

Maigret soupira, reprit l’objet tandis que son interlocuteur parlait toujours et finissait par où il eût dû commencer :

— Vous comprenez ! Moi, je ne suis installé ici que depuis six mois… Si j’avais fait ce costume-là, on n’aurait pas eu le temps de l’user…