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— Non ! il fait sa tournée habituelle, dans l’Est… Il ne reviendra que vers la mi-novembre… Je lui ai dit qu’il avait dû se tromper… Il a tenu bon… J’ai failli en parler à M. Belloir, en plaisantant… Puis je n’ai pas osé… Il aurait pu se froisser, n’est-ce pas ?… Je vous demanderai de ne pas faire état de ce que je viens de vous raconter… Ou, en tout cas, que cela n’ait pas l’air de venir de moi… Dans notre profession…

Le joueur, qui avait achevé une série de quarante-huit points, regardait autour de lui pour juger de l’effet produit, enduisait de craie verte le bout de sa canne, sourcillait imperceptiblement en voyant Maigret en compagnie du patron.

Car celui-ci, comme la plupart des gens qui veulent prendre un air désinvolte, avait une mine anxieuse de conspirateur.

— A vous de jouer, monsieur Emile !… lui annonça, de loin, Belloir.

IV

Le visiteur inattendu

La maison était neuve et il y avait dans ses lignes, dans les matériaux employés une recherche tendant à donner une sensation de netteté, de confort, de modernisme tempéré et de fortune bien assise.

Des briques rouges, fraîchement rejointoyées ; de la pierre de taille ; une porte en chêne verni, ornée de cuivres…

Il était seulement huit heures et demie du matin quand Maigret se présenta, avec l’arrière-pensée de surprendre ainsi la vie intime de la famille Belloir.

La façade, en tout cas, s’harmonisait avec l’aspect du sous-directeur de banque, et, quand la porte fut ouverte par une domestique au tablier immaculé, cette impression s’accrut. Le corridor était vaste, limité par une porte aux glaces biseautées. Les murs étaient en imitation marbre et le sol en granit de deux tons formant des figures géométriques.

A gauche, des portes à deux battants, en chêne clair : les portes du salon et de la salle à manger.

A un portemanteau, des vêtements, dont un pardessus d’enfant de quatre ou cinq ans. Un porte-parapluie ventru, d’où émergeait un jonc à pommeau d’or.

Le commissaire n’eut que le temps d’un regard pour s’imprégner de cette atmosphère d’existence solidement organisée. Il avait à peine prononcé le nom de M. Belloir que la domestique répliquait :

— Si vous voulez vous donner la peine de me suivre, ces messieurs vous attendent…

Elle marcha vers la porte vitrée. Par l’entrebâillement d’une autre porte, le commissaire aperçut la salle à manger, chaude et propre, la table bien dressée où une jeune femme en peignoir et un gamin de quatre ans prenaient leur petit déjeuner.

Au-delà de la porte vitrée s’amorçait un escalier aux boiseries claires, couvert d’un tapis à ramages rouges retenu à chaque marche par une barre de cuivre.

Une grosse plante verte, sur le palier. Déjà la domestique tenait le bouton d’une nouvelle porte : celle d’un bureau, où trois hommes tournèrent la tête en même temps.

Il y eut comme un choc, une gêne pesante, une angoisse même qui durcit les regards, et seule ne s’en aperçut pas la servante qui prononçait le plus naturellement du monde :

— Si vous voulez vous débarrasser…

Un des trois hommes était Belloir, correct, les cheveux blonds bien lissés ; son voisin, dont la tenue était moins soignée, était un inconnu pour Maigret ; mais le troisième n’était autre que Joseph Van Damme, l’homme d’affaires de Brême.

Deux personnes parlèrent à la fois. Belloir fit un pas en fronçant les sourcils, dit d’une voix un peu sèche, un peu hautaine, en harmonie avec le décor :

— Monsieur ?…

Mais en même temps, Van Damme, s’efforçant d’avoir sa rondeur coutumière, s’écriait en tendant la main à Maigret :

— Par exemple ! Quel hasard de vous rencontrer ici ?…

Le troisième se tut, suivant cette scène des yeux avec l’air de n’y rien comprendre.

— Excusez-moi de vous déranger, commença le commissaire. Je ne m’attendais pas à interrompre une réunion aussi matinale…

— Pas du tout ! Pas du tout !… riposta Van Damme. Asseyez-vous ! Un cigare ?…

Il y en avait une caisse sur le bureau d’acajou. Et l’homme d’affaires s’empressa, ouvrit cette caisse, choisit lui-même un havane, tout en parlant.

— Attendez que je trouve mon briquet !… J’espère que vous n’allez pas me dresser une contravention parce qu’il n’est pas estampillé ?… Pourquoi, à Brême, ne pas m’avoir dit que vous connaissez Belloir ?… Quand je pense que nous aurions pu faire la route ensemble !… Je suis parti quelques heures après vous… Un télégramme, au sujet d’une affaire qui m’appelait à Paris… J’en ai profité pour venir serrer la main de Belloir…

Celui-ci ne perdait rien de sa raideur, regardait tour à tour les deux hommes comme s’il désirait une explication. C’est vers lui que Maigret se tourna pour prononcer :

— Je vais abréger ma visite autant que possible, étant donné que vous attendez quelqu’un…

— Moi ?… Comment le savez-vous ?…

— C’est simple ! Votre domestique m’a dit que j’étais attendu. Or, comme vous ne pouviez pas m’attendre, il est évident que…

Ses yeux riaient, malgré lui, mais ses traits restaient immobiles.

— Commissaire Maigret, de la Police judiciaire !… Vous m’avez peut-être aperçu hier au soir au Café de Paris, où je voulais recueillir certains renseignements au sujet d’une affaire en cours.

— Ce n’est pas l’histoire de Brême, au moins ? fit Van Damme avec une fausse désinvolture.

— Justement si !… Voulez-vous, monsieur Belloir, regarder cette photographie et me dire si c’est bien celle de l’homme que vous avez reçu ici une nuit de la semaine dernière ?…

Il tendit un portrait du mort. Le sous-directeur de banque se pencha, mais sans le regarder, ou plutôt sans y fixer son regard.

— Je ne connais pas cet individu !… affirma-t-il en rendant la photo à Maigret.

— Vous êtes certain que ce n’est pas l’homme qui vous a adressé la parole alors que vous reveniez du Café de Paris ?…

— De quoi parlez-vous ?…

— Vous m’excuserez d’insister… Je suis en quête d’un renseignement qui n’a d’ailleurs qu’une importance médiocre… Et je me suis permis de vous déranger, persuadé que vous n’hésiteriez pas à seconder la justice… Ce soir-là, un ivrogne était assis près du troisième billard, où vous faisiez votre partie… il a attiré l’attention de tous les consommateurs… Il est sorti un peu avant vous et, par la suite, lorsque vous avez quitté vos amis, il s’est approché de vous…

— Je crois me souvenir… Il m’a demandé du feu…

— Et vous êtes rentré ici en sa compagnie, n’est-ce pas ?…

Belloir eut un assez vilain sourire.

— Je ne sais pas qui vous a raconté cette fable. Il n’est guère dans mon caractère de recueillir des rôdeurs…

— Vous pourriez avoir reconnu en lui un ami, ou…

— Je choisis mieux mes amis !

— Si bien que vous êtes rentré seul ?

— Je l’affirme…

— Cet homme était-il le même que celui dont je viens de vous montrer le portrait ?

— Je l’ignore… Je ne l’ai même pas regardé…

Van Damme avait écouté avec une visible impatience et plusieurs fois il avait été sur le point d’intervenir. Quant au troisième personnage, qui portait une petite barbe brune et des vêtements noirs comme en adoptent encore certains artistes, il regardait par la fenêtre, essuyant parfois la buée dont son haleine couvrait la vitre.

— Dans ce cas, il ne me reste qu’à vous remercier et à m’excuser encore, monsieur Belloir…

— Un instant, commissaire ! lança Joseph Van Damme. Vous n’allez pas partir ainsi ?… Restez un moment avec nous, je vous en prie, et Belloir va nous offrir une de ces vieilles fines qu’il a toujours en réserve… Vous savez que je vous en veux de n’être pas venu dîner avec moi, à Brême ?… Je vous ai attendu toute la soirée…