Петр Ершов
Le petit Cheval bossu
La première partie
“Le conte commence…”
Au delà des monts, des plaines,
Des forêts, des mers lointaines,
Au sol, pas au firmament,
Un vieux et ses trois enfants
Vivaient dans un p’tit village.
L’aîné passait pour très sage,
Le deuxième – pour pas trop sot;
Le cadet – pour un idiot.
Charriant à la capitale
Toute la récolte estivale
(Donc, la capitale n’était
Pas loin du village, mais près),
Ils vendaient du blé, du seigle,
Comptaient bien l’argent en règle,
Avec leur sac plein d’argent,
Ils venaient chez eux, contents.
Après bien du temps ou vite,
Une mauvaise chose fut produite:
La nuit, on venait au pré
Et froissait là-bas leur blé.
Jamais de la vie, nos hommes
N’eurent de la peine comme
Ça; ils durent longtemps penser:
“Comment peut-on attraper
Les voleurs?” Puis, ils comprennent
Que, pour éviter cette peine,
Il faut toute la nuit veiller, –
Pour voir ceux qui viennent voler.
La nuit va tomber au monde,
C’est l’aîné qui fait une ronde.
Avec une fourche, une cognée,
Au champ, il lui faut aller.
Comme la nuit est bien pluvieuse,
Et il a une âme peureuse,
Effrayé par tout c’ qu’il craint,
Il se cache sous le foin.
La nuit passe, le jour commence,
Il part de sa surveillance,
S’étant j’té de l’eau au front,
Il frappe fort à leur maison:
“Ohé, vous, les grandes marmottes!
Ouvrez-moi vite, je grelotte!
Sous la pluie, je suis mouillé
De ma tête jusqu’à mes pieds.”
Les frères ouvrent vite la porte
Pour savoir ce qu’il apporte,
Ils se mettent à questionner
Leur frère sur la nuit passée.
Après des prières faites
Et après plusieurs courbettes,
Le gardien tousse, puis il dit:
“Je n’ai pas dormi cette nuit;
C’était pour moi la malchance
De l’intempérie immense:
Il a plu toute la nuit,
Ma ch’mise est mouillée, je dis.
Après cette nuit ennuyeuse,
Quand même, la fin est heureuse”.
Pour ça, le père le louait:
“Toi, Daniel, tu as bien fait!
Tu es comme un fils modèle
Qui me rend service, fidèle,
Car tu y as été et
Ne t’es pas mouché de pied”.
La nuit va tomber au monde,
Le suivant doit faire sa ronde.
Avec une fourche, une cognée,
Au champ, il lui faut aller.
Comme la nuit est très froide,
Le frisson le fait malade,
Ses dents se mettent à claquer;
Il court des champs, effrayé, –
Et toute la nuit, il fait mine
De garder l’enceinte voisine:
Il a peur, le fanfaron!
A l’aube, il est au perron:
“Ohé, vous, les grandes marmottes!
Ouvrez-moi vite, je grelotte!
La nuit, il a gelé, moi,
Je suis transi d’un grand froid!”
Les frères ouvrent vite la porte
Pour savoir ce qu’il apporte,
Ils se mettent à questionner
Leur frère sur la nuit passée.
Après des prières faites
Et après plusieurs courbettes,
Entre ses dents, il leur dit:
“Je n’ai pas dormi cette nuit,
Mon destin est mauvais, frères,
Le froid a fendu des pierres,
Aux entrailles, je suis gelé;
Toute la nuit, j’ai dû sauter;
Mais après cette nuit affreuse,
Quand même, la fin est heureuse”.
Et le père lui dit: “C’est bon,
Gabriel, mon brave garçon!”
La nuit va tomber au monde,
Le cadet doit faire sa ronde;
Mais Ivan ne s’en fait point,
Sur le four, il chante au coin
De toutes ses forces les plus bêtes:
“Oh, vos beaux yeux!..” à tue-tête.
Les frères doivent lui reprocher
Pour qu’il aille plus vite au pré,
Mais ils crient autant qu’ils puissent
Crier, sans qu’ils réussissent:
Ivan ne bouge pas, enfin,
C’est son père qui intervient
Pour lui dire: “Ecoute tes frères,
Fais ce qu’on te prie de faire,
Fais une ronde, et tu auras
Des images, des fèves, des pois”.
Alors, du four, Ivan glisse,
Cherche et met sa vieille pelisse,
Dans son sein, il met un pain
Et va faire sa ronde enfin.
La nuit tombe, la lune se lève;
Ivan fait sa ronde sans grève,
En voyant que tout est bon,
Il s’assied sous un buisson:
Au ciel, il compte des étoiles,
De son pain, il se régale.
Le minuit sonne, brusquement,
Un cheval hennit; Ivan,
De-dessous sa moufle, regarde, –
Une jument, sans prendre garde,
Est là, une si belle jument,
Blanche comme neige d’hiver vraiment!
Elle a une longue crinière
D’or, frisée, jusqu’à la terre.
“Arrête! C’est notre voleur!..
Je ne suis pas un railleur,
Je prendrai ton cou, ma belle,
Voilà comme tu es, saut'relle!
Sois sûre, je suis très sérieux!”
Une minute après, il peut
Courir vers la jument blanche,
Saisir sa queue en revanche
Et s’asseoir vite sur son dos
A l’inverse de comme il faut.
La jument blanche de jeune âge,
Brille des yeux d’une forte rage,
Tourne la tête comme un serpent,
Se lance comme une flèche. Aux champs,
Elle saute et fait de grandes rondes,
Sursaute des fossés en s’conde,
Galope à travers des monts,
Se cabre aux forêts de bonds,
Par la force ou par la fraude,
Pour le vaincre, elle cherche un mode.
Mais Ivan n’est pas peureux –
Il se tient bien par sa queue.
Final’ment, elle devient lasse.
“Ivan, – lui dit-elle, – de grâce!
Si tu as pu te tenir,
Je devrai t’appartenir.
Donne pour mon repos une place,
Comme tu peux, soigne-moi lasse.
Attention! A l’aube, trois fois
De suite, tu me permettras
Seule en rase campagne de faire
Une prom’nade volontaire.
Après ces trois jours, il faut
Que j’accouche de deux chevaux –
Tels qu’on ne trouve pas au monde,
Même si on fait une grande ronde,
Et encore un p’tit Cheval,
Haut de cinq pouces, mais spéciaclass="underline"
Sur le dos, il a deux bosses,
Des oreilles d’âne lui haussent.
Si tu veux, vends ces deux ch’vaux,
Ne vends, ni pour un chapeau, –
Le p’tit, – ni pour une ceinture,
Ni pour une sorcière; j’assure –
Sur la terre et sous la terre,
Il s’ra ton ami en clair;
En hiver, du froid, il cache,
Et du chaud en été, – sache
Ça; si tu veux boire, manger –
Il pourra te le donner.
Après, je prendrai la chance
Aux champs de toute ma puissance”.
Ivan pense: “Soit, c’est assez”,
Et dans la grange des bergers,
Il mène la jument en hâte,
La ferme avec une natte
Et, à l’arrivée du jour,
Au village, est de retour,
En chantant comme une casse-pierres:
“Un gars vient à la rivière…”
Alors, il monte au perron,
Saisit par sa main le rond,
Frappe si fort que tout le monde
Ait peur que le toit ne tombe;
Pour faire du chahut, il crie,
Comme si c’est une incendie.
Les frères sautent vite de leurs couches,
Bègues de peur de quelque louche:
“Qui frappe fort au logis clos?” –
“Mais c’est moi, Ivan l’Idiot!”
Les frères ouvrent vite la porte,
Il entre et se tient de sorte,
Qu’ils se mettent à le gronder:
Comment il ose effrayer!
Ivan, sans qu’ils réussissent,
En chaussures et en pelisse,
Se dirige vers le four,
De là, il tient son discours,
Concernant son aventure,
Etonnant des oreilles pures:
“Eh bien, je n’ai pas dormi,
Comptant les étoiles la nuit;
La lune a pu aussi luire, –
Je n’ai pas vu, – rien à dire.
Soudain, un diable est venu,
Tout barbu et moustachu;
Il a la gueule comme une chatte
Et les yeux comme deux grandes jattes!
Et il s’est mis à sauter,
A battre par la queue le blé.
Je ne fais point de blagues sottes,
Alors, sur son cou, je saute.
Il m’a tant traîné, traîné,
Même, il m’a failli casser
La tête, pour que je le laisse,
Mais je l’ai tenu en presses.
Il battait fort, mon malin,
Et il m’a prié enfin:
“Ne fais pas me détruire:
Toute l’année, pour te suffire,
Je vais me conduire bien –
Laisser en paix des chrétiens”.
Je ne suis pas trop aimable,
Mais j’ai cru mon petit diable”.
En bâillant, il le dit, or,
Après une s’conde, il s’endort.
Quoiqu’ils soient fâchés, les frères
Rient trop, malgré leur colère.
Ils se tiennent aussi les flancs,
Riant de cette histoire longtemps.
Leur père ne se tient pas même
De rire aux larmes de ce thème,
Bien que ça soit mal aux vieux:
De ne pas rire tant, – c’est mieux.