Se dirige vers le four,
De là, il tient son discours,
Concernant son aventure,
Etonnant des oreilles pures:
“Eh bien, je n’ai pas dormi,
Comptant les étoiles la nuit;
La lune a pu aussi luire, –
Je n’ai pas vu, – rien à dire.
Soudain, un diable est venu,
Tout barbu et moustachu;
Il a la gueule comme une chatte
Et les yeux comme deux grandes jattes!
Et il s’est mis à sauter,
A battre par la queue le blé.
Je ne fais point de blagues sottes,
Alors, sur son cou, je saute.
Il m’a tant traîné, traîné,
Même, il m’a failli casser
La tête, pour que je le laisse,
Mais je l’ai tenu en presses.
Il battait fort, mon malin,
Et il m’a prié enfin:
“Ne fais pas me détruire:
Toute l’année, pour te suffire,
Je vais me conduire bien –
Laisser en paix des chrétiens”.
Je ne suis pas trop aimable,
Mais j’ai cru mon petit diable”.
En bâillant, il le dit, or,
Après une s’conde, il s’endort.
Quoiqu’ils soient fâchés, les frères
Rient trop, malgré leur colère.
Ils se tiennent aussi les flancs,
Riant de cette histoire longtemps.
Leur père ne se tient pas même
De rire aux larmes de ce thème,
Bien que ça soit mal aux vieux:
De ne pas rire tant, – c’est mieux.
Peu de temps ou trop ensuite
Fit de cette nuit la fuite, –
Moi, je ne l’entendis pas,
Car personne ne m’en parla.
Mais ce n’est pas une affaire
Pour nous, parce qu’il nous faut faire
Notre bon conte, sans compter
Toutes les années passées.
Donc (à une grande fête),
Dans la grange, avec la tête
Qui lui tourne, pleine d’hydromel,
Se traîna le frère Daniel.
Il voit deux chevaux superbes
A crinière d’or, fine comme l’herbe,
Et un p’tit cheval-jouet
Haut de cinq pouces, comme on sait:
Sur le dos, il a deux bosses,
Des oreilles d’âne lui haussent.
“Tiens! Pour ça, comme j’ai compris,
Notre Idiot y a dormi!” –
Se dit-il, et la merveille,
De l’ivresse, le réveille.
Daniel court à la maison,
Dit à son frère d’un bas ton:
“Gabriel, écoute, mon frère,
Quels chevaux à belle crinière
Appartiennent à notre Idiot:
Tu n’as pas ouï dire un mot”.
Donc, après, les deux grands frères,
Aussi vite qu’ils puissent le faire,
Sur l’ortie, courent, sans dévier,
De toutes leurs forces, à nus-pieds.
Ils trébuchent trois fois en route,
Ont des yeux pochés, sans doute,
En frottant ici et là,
Ils entrent dans la grange – voilà:
Deux chevaux s’ébrouent aux frères,
Leurs yeux lancent une belle lumière
De rubis; et leurs queues d’or
Frisées pendent au sol encore.
Leurs sabots de diamants brillent,
Et de grandes perles y scintillent.
Quel plaisir à regarder!
Seul, le roi peut y monter!
Presque borgnes, les deux frères
Les regardent, sans rien faire.
“Où, donc, les a-t-il trouvés? –
Dit Daniel, le frère aîné. –
Aux sots, la vie est féconde
En biens, comme on dit au monde.
Je me mets en quatre, mais,
Aucune pièce, je n’en gagn’rai.
Gabriel, la s’maine prochaine,
A la capitale, on mène
Ces chevaux, on les vendra;
En parties, on divis’ra
L’argent, avec quoi on mange
Et boit, sans qu’on nous dérange,
Si on tape sur un sac gros.
Notre frère cadet idiot
N’aura pas la conjecture,
Où ses ch’vaux, par leur allure,
Sont partis: qu’il cherche là-bas.
Eh bien, mon ami, tope-là! ”.
Ayant mis tout ça en ligne,
Les deux frères s’embrassent, se signent.
Puis, ils viennent à la maison,
Faisant la conversation
Sur ces ch’vaux, sur une grande fête,
Sur un drôle de petite bête.
Le temps va son train toujours,
L’heure à l’heure, le jour au jour.
Une semaine après, les frères
Partent pour la ville, pour faire
Ceci: vendre des denrées
Et apprendre sur le quai,
Si les barques all’mandes à voiles
Y viennent pour ach’ter des toiles,
Si le roi Saltan y vient
Capturer de bons Chrétiens.
Ayant fait bien de prières,
Ayant demandé au père,
Ils prennent en secret deux ch’vaux
Et s’en vont sans dire un mot.
De la nuit, le soir s’approche,
Le temps du sommeil est proche.
Ivan marche sans penser trop,
Chante et mange son chanteau.
Et avec la conscience franche,
En mettant les mains aux hanches,
En dansant, comme un seigneur,
Dans la grange, il entre, poseur.
Tout est bien, sauf les ch’vaux, comme
S’ils n’étaient pas là, en somme!
Seul, le p’tit Cheval-jouet
Tourne de joie près des pieds,
Bat de longues oreilles sans cesse
Et sautille de l’allégresse.
Ivan se met à hurler,
S’appuie pour ne pas tomber
Contre le mur: “ Ch’vaux superbes!
A crinière d’or fine comme l’herbe!
Mais je vous ai tant aimés,
Quel démon vous a volés?
Peste de lui, le chien, qu’il pleure!
Que, dans un ravin, il meure!
Qu’il s’effondre avec le pont
Là, dans l’autre monde, c’est bon!
Oh, mes ch’vaux bruns-gris superbes,
A crinière d’or fine comme l’herbe!”
Le Ch’val fait un henniss’ment:
“Ne pleure pas, mon cher Ivan,
Ton malheur est une grande chose,
Je t’aid’rai à cette cause.
N’accuse pas le diable en vain:
Tes frères ont pris les ch’vaux. Tiens!
Ne dis pas de choses sottes,
Sois calme, ce n’est pas ta faute.
Mets-toi plus vite sur mon dos
Tiens-toi ferme comme il faut;
Bien que je sois de p’tite taille,
Mieux que d’autres, je travaille:
Je me mets vite à courir,
Le diable, je peux le saisir”.
Il s’étend devant son maître,
Ivan monte au Ch’val, sans être
Lâche; du p’tit Cheval, il prend
Les oreilles, en mugissant.
Le Cheval se lève de terre,
Branle sa petite crinière,
Il s’ébroule, en s’animant,
Se lance comme une flèche, volant.
Il n’y a que de la poussière
Qui y tourbillonne par terre.
En un clin d’oeil, ou en deux,
Il rattrape les astucieux.
Les frères ont peur et s’apprêtent
A montrer vite qu’ils regrettent.
Ivan se met à crier:
“C’est honteux de me voler!
Bien que vous soyez plus sages,
Je suis plus honnête, je gage:
Je ne vous ai rien volé”.
L’aîné de ses frères, crispé,
Dit: “Ivan, notre cher frère,
Rien à nier – c’est notre affaire!
Mais tu dois aussi compter
Avec notre pauvreté:
Tu sais qu’on n’a, quoiqu’on sème,
Pas de pain quotidien même.
La red’vance, où la trouver? –
On n’arrête pas d’exiger.
C’est à cause de cette tristesse
Qu’on a tant parlé sans cesse
Toute la nuit et de bonne heure:
Que faire dans notre malheur?
Enfin, on arrive, tout d’ même,
A résoudre le problème:
On va vendre tes chevaux
Pour mille roubles, si ça vaut.
Pour te dire merci, on pense
Te faire une bonne récompense –
T’ach’ter des bottes, un chapeau
Rouge avec un beau grelot.
De plus, pense à notre père,
Il est vieux, ne peut rien faire;
Mais il faut passer la vie, –
Toi, tu n’es pas sans esprit! ” –
“Si c’est de sorte qu’on prétende,–
Dit Ivan aux frères, – qu’on vende
Mes chevaux à crinière d’or,