Выбрать главу

Quand le petit Chose revient à lui, il est tout étonné de se trouver dans une couchette bien blanche, entourée de grands rideaux bleus qui font de l'ombre tout autour… Lumière douce, chambre tranquille. Pas d'autre bruit que le tic-tac d'une horloge et le tintement d'une cuiller dans la porcelaine… Le petit Chose ne sait pas où il est; mais il se trouve très bien. Les rideaux s'entrouvrent. M. Eyssette père, une tasse à la main, se penche vers lui avec un bon sourire et des larmes plein les yeux. Le petit Chose peut continuer son rêve.

«Est-ce vous, père? Est-ce bien vous?

– Oui, mon Daniel; oui, mon cher enfant, c'est moi.

– Où suis-je donc?

– À l'infirmerie, depuis huit jours…; maintenant tu es guéri, mais tu as été bien malade…

– Mais vous, mon père, comment êtes-vous?

Embrassez-moi donc encore!… Oh! tenez! de vous voir, il me semble que je rêve toujours.»

M. Eyssette père l'embrasse:

«Allons! couvre-toi, sois sage… Le médecin ne veut pas que tu parles.» Et pour empêcher l'enfant de parler, le brave homme parle tout le temps.

«Figure-toi qu'il y a huit jours, la Compagnie vinicole m'envoie faire une tournée dans les Cévennes, Tu penses si j'étais content: une occasion de voir mon Daniel! J'arrive au collège… On t'appelle, on te cherche… Pas de Daniel. Je me fais conduire à ta chambre: la clef était en dedans… Je frappe: personne.

Vlan! j'enfonce ta porte d'un coup de pied, et je te trouve là, par terre, avec une fièvre de cheval!… Ah! pauvre enfant, comme tu as été malade! Cinq jours de délire! Je ne t'ai pas quitté d'une minute… Tu battais la campagne tout le temps; tu parlais toujours de reconstruire le foyer. Quel foyer? dis!… Tu criais: «Pas de clefs? ôtez les clefs des serrures!» Tu ris? Je te jure que je ne riais pas, moi. Dieu! quelles nuits tu m'as fait passer!… Comprends-tu cela! M. Viot – c'est bien M. Viot, n'est ce pas? qui voulait m'empêcher de coucher dans le collège! Il invoquait le règlement… Ah! bien oui, le règlement! Est-ce que je le connais, moi, son règlement? Ce cuistre-là croyait me faire peur en me remuant ses clefs sous le nez. Je l'ai poliment remis à sa place, va!» Le petit Chose frémit de l'audace de M. Eyssette; puis oubliant bien vite les clefs de M. Viot: «Et ma mère?» demande-t-il, en étendant ses bras comme si sa mère était là, à portée de ses caresses.

«Si tu te découvres, tu ne sauras rien, répondit M. Eyssette d'un ton fâché. Voyons! couvre-toi…

Ta mère va bien, elle est chez l'oncle Baptiste.

– Et Jacques?

– Jacques? c'est un âne!… Quand je dis un âne, tu comprends, c'est une façon de parler… Jacques est un très brave enfant, au contraire… Ne te découvre donc pas, mille diables!… Sa position est fort jolie.

Il pleure toujours, par exemple. Mais, du reste, il est très content. Son directeur l'a pris pour secrétaire… Il n'a rien à faire qu'à écrire sous la dictée…

Une situation fort agréable.

– Il sera donc toute sa vie condamné à écrire sous la dictée, ce pauvre Jacques!…» Disant cela, le petit Chose se met à rire de bon cœur, et M. Eyssette rit de le voir rire, tout en le grondant à cause de cette maudite couverture qui se dérange toujours.

Oh! bienheureuse infirmerie! Quelles heures charmantes le petit Chose passe entre les rideaux bleus de sa couchette!… M. Eyssette ne le quitte pas; il reste là tout le jour, assis près du chevet, et le petit Chose voudrait que M. Eyssette ne s'en allât jamais… Hélas! c'est impossible. La Compagnie vinicole a besoin de son voyageur. Il faut reprendre la tournée des Cévennes…

Après le départ de son père, l'enfant reste seul, dans l'infirmerie silencieuse… Il passe ses journées à lire, au fond d'un grand fauteuil roulé près de la fenêtre. Matin et soir, la jaune Mme Cassagne lui apporte ses repas. Le petit Chose boit le bol de bouillon, suce l'aileron de poulet; et dit: «Merci, madame!» Rien de plus. Cette femme sent les fièvres et lui déplaît; il ne la regarde même pas.

Or, un matin qu'il vient de faire son: «Merci, madame!» tout sec comme à l'ordinaire, sans quitter son livre des yeux, il est bien étonné d'entendre une voix très douce lui dire: «Comment cela va-t-il aujourd'hui, monsieur Daniel?» Le petit Chose lève la tête, et devinez ce qu'il voit?…

Les yeux noirs, les yeux noirs en personne, immobiles et souriants devant lui!…

Les yeux noirs annoncent à leur ami que la femme jaune est malade et qu'ils sont chargés de faire son service. Ils ajoutent en se baissant qu'ils éprouvent beaucoup de joie à voir M. Daniel rétabli; puis ils se retirent avec une profonde révérence, en disant qu'ils reviendront le même soir. Le même soir, en effet, les yeux noirs sont revenus, et le lendemain matin aussi, et, le lendemain soir encore. Le petit Chose est ravi. Il bénit sa maladie, la maladie de la femme jaune, toutes les maladies du monde; si personne n'avait été malade, il n'aurait jamais eu de tête-à-tête avec les yeux noirs.

Oh! bienheureuse infirmerie! Quelles heures charmantes le petit Chose passe dans son fauteuil de convalescent, roulé près de la fenêtre!… Le matin, les yeux noirs ont sous leurs grands cils un tas de paillettes d'or que le soleil fait reluire; le soir, ils resplendissent doucement et font, dans l'ombre autour d'eux, de la lumière d'étoile… Le petit Chose rêve aux yeux noirs toutes les nuits, il n'en dort plus.

Dès l'aube, le voilà sur pied pour se préparer à les recevoir: il a tant de confidences à leur faire!…

Puis, quand les yeux noirs arrivent, il ne leur dit rien.

Les yeux noirs ont l'air très étonnés de ce silence. Ils vont et viennent dans l'infirmerie, et trouvent mille prétextes pour rester près du malade, espérant toujours qu'il se décidera à parler; mais ce damné de petit Chose ne se décide pas.

Quelquefois, cependant, il s'arme de tout son courage et commence ainsi bravement: «Mademoiselle!…», Aussitôt les yeux noirs s'allument et le regardent en souriant. Mais de les voir sourire ainsi; le malheureux perd la tête, et d'une voix tremblante, il ajoute:

«Je vous remercie de vos bontés pour moi.» Ou bien encore: «Le bouillon est excellent ce matin.» Alors les yeux noirs font une jolie petite moue qui signifie: «Quoi! ce n'est que cela!» Et ils s'en vont en soupirant.

Quand ils sont partis, le petit Chose se désespère: «Oh! dès demain, dès demain sans faute, je leur parlerai.».

Et puis le lendemain c'est encore à recommencer.

Enfin, de guerre lasse et sentant bien qu'il n'aura jamais le courage de dire ce qu'il pense aux yeux noirs, le petit Chose se décide à leur écrire… Un soir, il demande de l'encre et du papier, pour une lettre importante, oh! très importante… Les yeux noirs ont sans doute deviné quelle est la lettre dont il s'agit; ils sont si malins, les yeux noirs!… Vite, vite, ils courent chercher de l'encre et du papier, les posent devant le malade, et s'en vont en riant tout seuls.

Le petit Chose se met à écrire; il écrit toute la nuit; puis, quand le matin est venu, il s'aperçoit que cette interminable lettre ne contient que trois mots, vous m'entendez bien; seulement ces trois mots sont les plus éloquents du monde, et il compte qu'ils produiront un très grand effet.