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Attention, maintenant… Les yeux noirs, vont venir… Le petit Chose est très ému; il a préparé sa lettre d'avance et se jure de la remettre dès qu'on arrivera… Voici comment cela va se passer. Les yeux noirs entreront, ils poseront le bouillon et le poulet sur la table. «Bonjour, monsieur Daniel!…» Alors, lui, leur dira tout de suite, très courageusement:

«Gentils yeux noirs, voici une lettre pour vous.» Mais chut!… Un pas d'oiseau dans le corridor… Les yeux noirs approchent… Le petit Chose tient la lettre à la main. Son cœur bat; il va mourir…

La porte s'ouvre… Horreur!…

À la place des yeux noirs, paraît la vieille fée, la terrible fée aux lunettes, Le petit Chose n'ose pas demander d'explications; mais il est consterné… Pourquoi ne sont-ils pas revenus?… Il attend le soir avec impatience… Hélas!…

le soir encore, les yeux noirs ne viennent pas, ni le lendemain non plus, ni les jours d'après, ni jamais.

On a chassé les yeux noirs. On les a renvoyés aux Enfants trouvés; où ils resteront enfermés pendant quatre ans, jusqu'à leur majorité… Les yeux noirs volaient du sucre!…

Adieu les beaux jours de l'infirmerie! les yeux noirs s'en sont allés, et pour comble de malheur, voilà les élèves qui reviennent… Et quoi! déjà la rentrée… Oh! que ces vacances ont été courtes! Pour la première fois depuis six semaines, le petit Chose descend dans les cours, pâle, maigre, plus petit Chose que jamais… Tout le collège se réveille.

On le lave du haut en bas. Les corridors ruissellent d'eau. Férocement, comme toujours, les clefs de M. Viot se démènent. Terrible M. Viot, il a profité des vacances pour ajouter quelques articles à son règlement et quelques clefs à son trousseau. Le petit Chose n'a qu'à bien se tenir.

Chaque jour, il arrive des élèves… Clic! clac! On revoit devant la porte les chars à bancs et les berlines de la distribution des prix. Quelques anciens manquent à l'appel, mais des nouveaux les remplacent. Les divisions se reforment. Cette année comme l'an dernier, le petit Chose aura l'étude des moyens.

Le pauvre pion tremble déjà. Après tout, qui sait?

Les enfants seront peut-être moins méchants cette année-ci.

Le matin de la rentrée, grande musique à la chapelle. C'est la messe du Saint-Esprit… Veni, creator Spiritus!… Voici M. le principal avec son bel habit noir et la petite palme d'argent à la boutonnière.

Derrière lui, se tient l'état-major des professeurs en toge de cérémonie: les sciences ont l'hermine orange; les humanités, l'hermine blanche!'. Le professeur de seconde, un freluquet, s'est permis des gants de couleur tendre et une toque de fantaisie; M. Viot n'a pas l'air content. Veni, creator Spiritus!… Au fond de l'église, pêle-mêle avec les élèves, le petit Chose regarde d'un œil d'envie les toges majestueuses et les palmes d'argent… Quand sera-t-il professeur, lui aussi?… Quand pourra-t-il reconstruire le foyer?

Hélas! avant d'en arriver là, que de temps encore et que de peines! Veni creator Spiritus!… Le petit Chose se sent l'âme triste; l'orgue lui donne envie de pleurer… Tout à coup, là-bas, dans un coin du chœur, il aperçoit une belle figure ravagée qui lui sourit… Ce sourire fait du bien au petit Chose, et, de revoir l'abbé Germane, le voilà plein de courage et tout ragaillardi! Veni creator Spiritus!…

Deux jours après la messe du Saint-Esprit, nouvelles solennités. C'était la fête du principal. Ce jour-là – de temps immémorial -, tout le collège célèbre la Saint-Théophile sur l'herbe à grand renfort de viandes froides et de vins de Limouk. Cette fois, comme à l'ordinaire, M. le principal n'épargne rien pour donner du retentissement à ce petit festival de famille, qui satisfait les instincts généreux de son cœur, sans nuire cependant aux intérêts de son collège. Dés l'aube, on s'emplit tous – élèves et maîtres – dans de grandes tapissières, pavoisées aux couleurs municipales, et le convoi part au galop, traînant à sa suite, dans deux énormes fourgons, les paniers de vin mousseux et les corbeilles de mangeaille… En tête, sur le premier char, les gros bonnets et la musique. Ordre aux ophicléides de jouer très fort. Les fouets claquent, les grelots sonnent, les piles d'assiettes se heurtent contre les gamelles de fer-blanc. Tout Sarlande en bonnet de nuit se met aux fenêtres pour voir passer la fête du principal. C'est à la Prairie que le gala doit avoir lieu. À peine arrivé, on étend des nappes sur l'herbe, et les enfants crèvent de rire en voyant messieurs les professeurs assis au frais dans les violettes comme de simples collégiens… Les tranches de pâté circulent.

Les bouchons sautent. Les yeux flambent. On parle beaucoup… Seul, au milieu de l'animation générale, le petit Chose a l'air préoccupé. Tout à coup on le voit rougir… M. le principal vient de se lever, un papier à la main: «Messieurs, on me remet à l'instant même quelques vers que m'adresse un poète anonyme. Il paraît que notre Pindare ordinaire, M. Viot, a un émule cette année. Quoique ces vers soient un peu trop flatteurs pour moi, je vous demande la permission de vous les lire.

– Oui, oui… lisez!… lisez!…» Et de sa belle voix des distributions, M. le principal commence la lecture…

C'est un compliment assez bien tourné, plein de rimes aimables à l'adresse du principal et de tous ces messieurs. Une fleur pour chacun. La fée aux lunettes elle-même n'est pas oubliée. Le poète l'appelle «l'ange du réfectoire», ce qui est charmant.

On l'applaudit longuement. Quelques voix demandent l'auteur. Le petit Chose se lève, rouge comme un pépin de grenade, et s'incline avec modestie, Acclamations générales. Le petit Chose devient le héros de la fête. Le principal veut l'embrasser. De vieux professeurs lui serrent la main d'un air entendu.

Le régent de seconde lui demande ses vers pour les mettre dans le journal. Le petit Chose est très content: tout cet encens lui monte au cerveau avec les fumées du vin de Limoux. Seulement, et ceci le dégrise un peu, il croit entendre l'abbé Germane murmurer: «L'imbécile!» et les clefs de son rival grincer férocement.

Ce premier enthousiasme apaisé, M. le principal frappe dans ses mains pour réclamer le silence.

«Maintenant, Viot, à votre tour! après la Muse badine, la Muse sévère.»

M. Viot tire gravement de sa poche un cahier relié, gros de promesses, et commence sa lecture en jetant sur le petit Chose un regard de côté.

L'œuvre de M. Viot est une idylle, une idylle toute virgilienne en l'honneur du règlement. L'élève Ménalque et l'élève Dorilas s'y répondent en strophes alternées… L'élève Ménalque est d'un collège où fleurit le règlement; l'élève Dorilas, d'un autre collège d'où le règlement est exilé… Ménalque dit les plaisirs austères d'une forte discipline; Dorilas, les joies infécondes d'une folle liberté.

À la fin, Dorilas est terrassé. Il remet entre les mains de son vainqueur le prix de la lutte, et tous deux, unissant leurs voix, entonnent un chant d'allégresse à la gloire du règlement.

Le poème est fini… Silence de mort!… Pendant la lecture, les enfants ont emporté leurs assiettes à l'autre bout de la prairie, et mangent leurs pâtés, tranquilles, loin, bien loin, de l'élève Ménalque et Dorilas. M. Viot les regarde de sa place avec un sourire amer… Les professeurs ont tenu bon, mais pas un n'a le courage d'applaudir… Infortuné M. Viot! C'est une vraie déroute… Le principal essaie de le consoler.