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«Le sujet était aride, messieurs, mais le poète s'en est bien tiré.», «Moi, je trouve cela très beau», dit effrontément le petit Chose, à qui son triomphe commence à faire peur.

Lâchetés perdues! M. Viot ne veut pas être consolé.

Il s'incline sans répondre et garde son sourire amer…

Il le garde tout le jour, et le soir, en rentrant, au milieu des chants des élèves, des couacs de la musique et du fracas des tapissières roulant sur les pavés de la ville endormie, le petit Chose entend dans l'ombre, près de lui, les clefs de son rival qui grondent d'un air méchant: «Frinc! frinc! frinc! monsieur le poète, nous vous revaudrons cela!»

IX L'AFFAIRE BOUCOYRAN

Avec la Saint-Théophile, voilà les vacances enterrées.

Les jours qui suivirent furent tristes; un vrai lendemain de Mardi gras. Personne ne se sentait en train, ni les maîtres, ni les élèves. On s'installait…

Après deux grands mois de repos, le collège avait peine à reprendre son va-et-vient habituel. Les rouages fonctionnaient mal, comme ceux d'une vieille horloge, qu'on aurait depuis longtemps oublié de remonter. Peu à peu, cependant, grâce aux efforts de M. Viot, tout se régularisa. Chaque jour, aux mêmes heures, au son de la même cloche, on vit de petites portes s'ouvrir dans les cours et des litanies d'enfants, roides comme des soldats de bois, défiler deux par deux sous les arbres; puis la cloche sonnait encore, ding! dong! – et les mêmes enfants repassaient sous les mêmes petites portes. Ding! dong! Levez-vous. Ding! dong! Couchez-vous. Ding! dong! Instruisez-vous! Ding! dong! Amusez-vous. Et cela pour toute l'année.

O triomphe du règlement! Comme l'élève Ménalque aurait été heureux de vivre, sous la férule de M. Viot, dans le collège modèle de Sarlande…

Moi seul, je faisais ombre à cet adorable tableau.

Mon étude ne marchait pas, Les terribles moyens m'étaient revenus de leurs montagnes, plus laids, plus âpres, plus féroces que jamais. De mon côté, j'étais aigri; la maladie m'avait rendu nerveux et irritable; je ne pouvais plus rien supporter… Trop doux l'année précédente, je fus trop sévère cette année… J'espérais ainsi mater ces méchants drôles, et, pour la moindre incartade, je foudroyais toute l'étude de pensums et de retenues…

Ce système ne me réussit pas. Mes punitions, à force d'être prodiguées, se déprécièrent et tombèrent aussi bas que les assignats de l'an IV'… Un jour, je me sentis débordé. Mon étude était en pleine révolte, et je n'avais plus de munitions pour faire tête à l'émeute, Je me vois encore dans ma chaire, me débattant comme un beau diable, au milieu des cris, des pleurs, des grognements, des sifflements: «À la porte!… Cocorico!… kss!… kss!… Plus de tyrans!… C'est une injustice!…» Et les encriers pleuvaient, et les papiers mâchés s'épataient sur mon pupitre, et tous ces petits monstres – sous prétexte de réclamations – se pendaient par grappes à ma chaire, avec des hurlements de macaques.

Quelquefois, en désespoir de cause, j'appelais M. Viot à mon secours. Pensez, quelle humiliation! Depuis la Saint-Théophile, l'homme aux clefs me tenait rigueur et je le sentais heureux de ma détresse. Quand il entrait dans l'étude brusquement, ses clefs à la main, c'était comme une pierre dans un étang de grenouilles: en un clin d'œil tout le monde se retrouvait à sa place, le nez sur les livres.

On aurait entendu voler une mouche. M. Viot se promenait un moment de long en large, agitant son trousseau de ferraille, au milieu du grand silence; puis il me regardait ironiquement et se retirait sans rien dire.

J'étais très malheureux. Les maîtres, mes collègues, se moquaient de moi. Le principal, quand je le rencontrais, me faisait mauvais accueil; il y avait sans doute du M. Viot là-dessous… Pour m'achever, survint Boucoyran.

Oh! Cette affaire Boucoyran! Je suis sûr qu'elle est restée dans les annales du collège et que les Sarlandais en parlent encore aujourd'hui… Moi aussi, je veux en parler de cette terrible affaire. Il est temps que le public sache la vérité…

Quinze ans, de gros pieds, de gros yeux, de grosses mains, pas de front, et l'allure d'un valet de ferme: tel était le marquis de Boucoyran, terreur de la cour des moyens et seul échantillon de la noblesse cévenole au collège de Sarlande. Le principal tenait beaucoup à cet élève, en considération du vernis aristocratique que sa présence donnait à l'établissement. Dans le collège, on ne l'appelait que le «marquis». Tout le monde le craignait; moi même je subissais l'influence générale et je ne lui parlais qu'avec des ménagements.

Pendant quelque temps, nous vécûmes en assez bons termes, M. le marquis avait bien par-ci par-là certaines façons impertinentes de me regarder ou de me répondre qui rappelaient par trop l'Ancien Régime, mais j'affectais de n'y point prendre garde, sentant que j'avais affaire à forte partie.

Un jour cependant, ce faquin de marquis se permit de répliquer, en pleine étude, avec une insolence telle que je perdis toute patience.

«Monsieur de Boucoyran, lui dis-je en essayant de garder mon sang-froid, prenez vos livres et sortez sur-le-champ.» C'était un acte d'autorité inouï pour ce drôle. Il en resta stupéfait et me regarda, sans bouger de sa place, avec des gros yeux.

Je compris que je m'engageais dans une méchante affaire, mais j'étais trop avancé pour reculer.

«Sortez, monsieur de Boucoyran!…» commandai-je de nouveau.

Les élèves attendaient, anxieux. Pour la première fois, j'avais du silence.

À ma seconde injonction, le marquis, revenu de sa surprise, me répondit, il fallait voir de quel air:

«Je ne sortirai pas!» Il y eut parmi toute l'étude, un murmure d'admiration. Je me levai dans ma chaire, indigné.

«Vous ne sortirez pas, monsieur?… C'est ce que nous allons voir.» Et je descendis…

Dieu m'est témoin qu'à ce moment-là toute idée de violence était bien loin de moi! Je voulais seulement intimider le marquis par la fermeté de mon attitude; mais, en me voyant descendre de ma chaire, il se mit à ricaner d'une façon si méprisante, que j'eus le geste de le prendre au collet pour le faire sortir de son banc. Le misérable tenait cachée sous sa tunique une énorme règle en fer. À peine eus-je levé la main, qu'il m'assena sur le bras un coup terrible. La douleur m'arracha un cri.

Toute l'étude battit des mains.

«Bravo, marquis!».

Pour le coup, je perdis la tête. D'un bond, je fus sur la table, d'un autre sur le marquis; et alors, le prenant à la gorge, je fis si bien, des pieds, des poings, des dents, de tout, que je l'arrachai de sa place et qu'il s'en alla rouler hors de l'étude jusqu'au milieu de la cour… Ce fut l'affaire d'une seconde; je ne me serais jamais cru tant de vigueur.

Les élèves étaient consternés. On ne criait plus:

«Bravo, marquis!» On avait peur Boucoyran, le fort des forts, mis à la raison par ce gringalet de pion! Quelle aventure!… Je venais de gagner en autorité ce que le marquis venait de perdre en prestige.